samedi 24 novembre 2018

Pourquoi la surpopulation est-elle ignorée par les médias ?

Article original de Ugo Bardi, publié le 25 octobre 2018 sur le site Cassandra Legacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

Les raisons d’un échec historique



Certains pensent qu’il existe une conspiration qui empêche les médias de mentionner ce mot aussi connoté, « surpopulation ». Il existe des complots, mais, dans ce cas-ci, j’ai l’impression que la population est une question tellement chargée simplement parce qu’elle est liée au fait que nous sommes tous des humains et que les discussions sur la réduction de la population touchent certains mécanismes internes de notre psychisme qui nous mettent mal à l’aise.




Mais il y a plus que cela : le vrai problème de la surpopulation, c’est que la plupart des décideurs n’ont pas compris le concept de « dépassement de population », une vision qui n’existait pas dans l’étude des systèmes sociaux jusqu’à ce que Jay Forrester l’introduise dans les années 1960 ; si vous ne comprenez pas le concept de « dépassement de population », vous pouvez quand même comprendre que la population a ses limites, mais vous ne pouvez pas comprendre que celle-ci pourrait dépasser ces limites et tomber en ruines sous l’effet de la détérioration du système agricole qui l’alimente.

L’absence d’un concept de « dépassement de population » peut très bien être ce qui amène l’intéressé et l’insouciant à minimiser le problème. Beaucoup de gens semblent penser que la « transition démographique », la réduction de la fécondité observée dans la plupart des pays riches du monde, va s’étendre à toute l’humanité et stabiliser la population mondiale à un niveau durable sans que les gouvernements aient à intervenir pour faire baisser les taux de natalité.

Il est presque certain qu’il est trop tard pour cela : nous aurions dû commencer il y a des décennies. Mais seule la Chine a mis en œuvre une politique sérieuse de contrôle des naissances – pour le reste du monde, ce fut un échec historique.
Dans le texte ci-dessous, Bernard Gilland discute des problèmes auxquels nous serons confrontés dans la tentative de stabilisation de la population humaine, principalement en termes de dégradation du système agricole dans sa dépendance vis-à-vis des ressources non durables. Ce n’est pas le seul problème, le changement climatique peut potentiellement causer encore plus de dommages à l’agriculture. Dans le même temps, les nombreux jeunes des pays pauvres pousseront la population sur une trajectoire toujours croissante. Si ces deux tendances, croissance démographique et déclin agricole, s’adossent l’une contre l’autre, le résultat pourrait bien être une falaise de Sénèque pour la population humaine mondiale.

Ugo Bardi


Une population mondiale durable

Et pourquoi nous ne pouvons pas l’atteindre

Entre 1975 et 2018, la population mondiale a augmenté en moyenne de 83 millions d’habitants par an, pour atteindre 7,6 milliards en 2018. L’augmentation en 2017 représentait la différence entre environ 145 millions de naissances et 62 millions de décès. Malgré la croissance démographique, l’apport alimentaire quotidien moyen par personne dans le monde est passé de 2440 kilocalories en 1975 à 2940 kilocalories en 2015. 1. Cependant, plus de 800 millions de personnes sont sous-alimentées et 300 millions d’adultes sont obèses.

Les céréales sont les cultures les plus importantes pour l’alimentation humaine et animale ; au niveau mondial, 45% de la production céréalière est consommée par l’homme et 35% par le bétail. Le reste est utilisé à des fins industrielles, notamment pour l’éthanol, la bière, le whisky et la vodka. L’augmentation de la production céréalière mondiale depuis les années 1960 est principalement due à deux avancées technologiques. La première était la synthèse d’ammoniaque de Haber-Bosch, dans laquelle l’azote atmosphérique est fixé sous forme d’ammoniaque (contenant 82% d’azote) que les plantes utilisent pour la formation des protéines. La production d’ammoniaque de Haber-Bosch a commencé en 1913, mais n’a commencé à augmenter rapidement que dans les années 1960. La deuxième avancée a été la révolution verte qui a commencé au milieu des années 1960, après que l’agronome Norman Borlaug eut créé des variétés de blé nain qui donnent des rendements plus élevés en réponse à des applications plus importantes d’engrais azotés, au phosphore et au potassium, de pesticides et d’irrigation. La sélection et l’utilisation du riz semi-nain et du maïs hybride se sont développées parallèlement à celles du blé.

La réalisation la plus frappante de l’agriculture chimique est le rendement du maïs aux États-Unis, qui est passé de 2,5 tonnes par hectare (40 boisseaux par acre) en 1950 à 11,0 tonnes par hectare (175 boisseaux par acre) en 2016. Le rendement céréalier mondial est passé de 2,81 tonnes par hectare en 1992-96 à 3,91 tonnes en 2012-16. 2. L’extrapolation linéaire de la tendance des rendements de 1992 à 2016 (52,3 kg par hectare et par an) donne un rendement de 5,73 tonnes par hectare en 2050. Si l’on considère que la population en 2050 sera de 9,85 milliards d’habitants 3, et que la superficie céréalière récoltée reste de 718 millions d’hectares (comme en 2016), la production par personne en 2050 serait de 420 kg, soit 10% de plus qu’en 2016 (382 kg) ; l’incertitude est de 10 % dans les deux cas. En supposant que le rendement céréalier moyen mondial sans engrais azoté est de 1,6 tonne par hectare et que l’engrais augmente le rendement céréalier de 30 kg par kg d’azote appliqué, l’application moyenne mondiale d’azote sur les cultures céréalières, 80 kg par hectare en 2015, serait d’environ 140 kg par hectare. Si le rapport rendement supplémentaire/azote atteint 35 d’ici 2050, l’épandage d’azote serait de 120 kg par hectare.

Le succès de la Révolution verte a créé trois problèmes écologiques majeurs :
1. Globalement, environ la moitié de l’azote appliqué est absorbé par les plantes cultivées ; le reste se volatilise sous forme d’ammoniaque et d’oxyde nitreux (un puissant gaz à effet de serre) ou s’infiltre dans les eaux souterraines, entraînant l’eutrophisation (formation d’algues) des rivières, lacs et eaux côtières ; cela crée des « zones mortes » dans lesquelles les poissons ne peuvent vivre.

2. L’application d’engrais azotés, phosphorés et potassiques aux cultures modifie l’équilibre entre ces nutriments et ceux dont on a besoin en petites quantités ou à l’état de traces ; ces derniers comprennent le calcium ; le soufre ; le magnésium ; le fer ; le manganèse ; le cuivre ; le zinc ; le cobalt ; le bore et le sélénium.

3. Environ 40% de l’eau d’irrigation mondiale est obtenue en pompant l’eau souterraine à partir de puits tubulaires, ce qui a entraîné l’épuisement des nappes aquifères et la baisse du niveau des eaux souterraines, contribuant ainsi à hauteur de 0,4 mm à l’élévation mondiale du niveau de la mer sur 3,4 mm par an. 4.
Comme la croissance de la population augmente le besoin d’engrais, il s’ensuit que la réduction de la population résoudrait en fin de compte les problèmes écologiques. Malheureusement, la nature humaine est telle qu’il n’est pas possible de réduire la population mondiale. Les raisons de cette situation sont exposées ci-après.

En 1950, la France comptait 42 millions d’habitants et 20 millions d’hectares de terres arables, soit 2 personnes par hectare. L’épandage d’engrais azoté sur les céréales était négligeable et la production céréalière par personne était d’environ 400 kg par an, légèrement supérieure à la moyenne mondiale actuelle. Si le rapport entre la population et les terres arables était de 2 personnes par hectare sur les 1,6 milliard d’hectares cultivables dans le monde, la population mondiale serait de 3,2 milliards. Réduire la population mondiale à cette taille signifierait réduire le taux de fécondité moyen mondial (actuellement 2,5 enfants par femme) à 1,5 d’ici 2050 et le maintenir à ce niveau jusqu’en 2200. La proportion de la population âgée de 65 ans et plus atteindrait 35%. Un changement aussi radical dans la répartition par âge signifierait porter l’âge de la retraite à 70 ans ou plus.

L’adoption et l’application d’une limite de population pour chaque pays serait un obstacle insurmontable, comme Charles Galton Darwin l’a souligné en 1952. 5. Pour abaisser la moyenne mondiale à 2 habitants par hectare de terre arable, des pays comme le Canada, la Russie, l’Australie et l’Argentine ne seraient pas tenus de réduire leur population, mais ne seraient pas autorisés à atteindre 2 habitants par hectare de terre arable ; ils seraient obligés d’avoir un excédent de céréales à exporter vers les pays qui en ont besoin. La Chine et l’Inde devraient chacune réduire leur population à environ 300 millions d’habitants ; la population combinée des deux pays représenterait alors 20% de la population mondiale au lieu des 35% actuels. Les réductions relatives de population au Japon et en Égypte, qui comptent respectivement 30 et 33 habitants par hectare arable, seraient beaucoup plus importantes. 6.

La population de la Chine devrait culminer à 1,45 milliard d’habitants vers 2030 et tomber à un milliard d’ici 2100. Cette situation résulte en partie de la politique dite de l’enfant unique, lancée en 1979 (en réalité une politique de l’enfant unique et demi). Elle a été remplacée par une limite de deux enfants en 2016, mais le taux de fécondité reste à 1,6. Le Japon a une population de 126 millions d’habitants et un taux de fécondité de 1,4 ; la population devrait tomber à 102 millions en 2050 et 60 millions en 2100. Ces baisses projetées à long terme devraient être stoppées par des politiques pro-natalistes fondées sur les conseils d’économistes obsédés par la croissance qui croient que le déclin démographique entraîne une pénurie de main-d’œuvre. Un pic de population mondiale d’au moins 10 milliards d’habitants est presque inévitable, ce qui rendrait 70% de la population mondiale dépendante de l’ammoniaque de Haber-Bosch. Ce n’est pas durable, mais il n’y a pas de solution en vue. Étant donné qu’une population durable ne peut être atteinte par le seul déclin de la fécondité, une augmentation de la mortalité est hautement probable. On ne peut que s’interroger sur la date et les modalités.

Bernard Gillan est un chercheur indépendant diplômé en ingénierie, basé à Copenhague, Danemark. Il est l’auteur de plusieurs articles sur la démographie et la population.

Note du traducteur

On peut être intéressé ou horrifié par ces analyses froides mais dans le dernier chapitre, cette analyse converge avec celles de Chris Hamilton sur la solvabilité des populations et leur capacité à soutenir la fameuse croissance et le système politico-financier qui est derrière.

  1. Données FAOSTAT ↩
  2. Données de la Banque mondiale ↩
  3. Population Reference Bureau. Fiche de données sur la population mondiale 2018 ↩
  4. Konikov, L.F. 2011. Contribution de l’appauvrissement mondial des eaux souterraines depuis 1900 à l’élévation du niveau de la mer. Geophysical Research Letters, 38 ; L17401 ↩
  5. Darwin, C.G. 1952. Le prochain million d’années. Hart-Davis, Londres ↩
  6. Lionos, T.P., A. Pseiridis. 2016. Bien-être durable et taille optimale de la population. Environment, Development and Sustainability, 18(6), 1679-1699. Selon les auteurs, la population mondiale optimale serait de 3,1 milliards d’habitants et, dans ce cadre, les populations (en millions) des dix pays les plus peuplés seraient elles de : Chine 253, Inde 341, États-Unis 326, Indonésie 88, Brésil 156, Pakistan 43, Nigeria 79, Bangladesh 17, Russie 249, Japon 9.2. Le chiffre pour l’Égypte serait de 7,4 ↩

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