Article original de James Howard Kunstler, publié le 28 Avril 2017 sur le site kunstler.com
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Alors que les informations gémissent avec des histoires sur « L’épidémie d’opiacés en Amérique »,
vous pouvez constater qu’il n’y a guère d’efforts de fait pour
comprendre réellement ce qui se cache derrière, à savoir que la vie aux
États-Unis est devenue incontestablement déprimante, vide et sans but,
pour une grande partie des citoyens. Je veux dire littéralement
indescriptible. Si vous voulez des preuves de notre incapacité à
construire une histoire cohérente sur ce qui se passe dans ce pays, en
voici.
Je vis dans un coin de cette Amérique périphérique, où vous pouvez
facilement lire les conditions de vie sur les murs : les rues
principales vides, surtout quand la nuit tombe, les maisons sans soins
et se dégradant d’année en année, les fermes abandonnées avec des
granges qui tombent en ruine, les outils agricoles rouillant sous la
pluie et les pâturages couverts de sumacs, ces chaînes nationales de
magasins parasites, poussant comme des tumeurs aux abords de chaque
ville.
Vous pouvez le lire dans le corps des gens dans ces nouveaux
centre-ville, c’est-à-dire le supermarché : des personnes prématurément
vieilles, engraissées et rendues malades par la consommation de
mauvaises nourritures, faites pour avoir l’air et avoir un goût
irrésistible, aux pauvres qui s’enfoncent dans le désespoir, une
consolation mortelle pour des vies remplies par des heures vides,
occupées à regarder la trash-télé, des jeux informatiques addictifs et
leurs propres mélodrames familiers conçus pour donner un sens narratif à
des vies qui, autrement, ne comportent aucun événement ou effort.
Ce sont des personnes qui ont perdu leurs rôles économiques et
sociaux, dans une vie qui leur a été volée. Ils ne sont plus concernés
par des choses qui comptent. Ils n’ont pas de perspectives pour une vie
meilleure – et, de toute façon, toute notion noble de la vie a été
réduite à des fantasmes absurdes de luxe kardashien, c’est-à-dire un
maximum de confort sans autre but que de permettre l’auto-dramatisation.
Et rien ne dramatise plus une vie désespérée, que l’habitude de se
droguer. Cela concentre l’esprit, comme l’a remarqué Samuel Johnson,
comme l’attente d’être pendu.
Pour confirmer les informations sur le mystère de l’épidémie d’opiacés, il y a la dépendance névrotique de l’Amérique à des « études »
supposément scientifiques. Jamais dans l’Histoire, une société n’a
autant étudié et si peu appris – ce qui se passe lorsque vous recourez à
la science pour piloter des questions de comportement. Cela repose sur
l’erreur que, si vous compilez suffisamment de statistiques sur quelque
chose, vous pouvez le contrôler.
La dépendance aux opiacés n’est qu’un autre racket, sur chacun, dans
une culture de l’escroquerie qui flirte avec le véritable échec de notre
époque, pour la simple raison que ces rackets sont malhonnêtes, que
cette malhonnêteté omniprésente est en contradiction avec la réalité, et
que la réalité a toujours le dernier mot.
La chose étrange, à propos de cette lecture du désespoir peint sur
les murs, est que vous pouvez y voir le fantôme des buts et leurs
significations. Avant 1970, il y avait au moins cinq usines dans ma
petite ville, toutes conçues à l’origine pour fonctionner avec la
puissance de l’eau (ou hydro-électrique) de la rivière Battenkill, un
affluent de l’Hudson à proximité. Les ruines de ces entreprises sont
encore là, leurs murs de briques rouges avec leurs toits éventrés, les
clôtures torsadées qui n’ont plus rien à protéger, les maçonneries
brisées des moulins.
Les fantômes des commerces sont également clairement visibles, sur
les os de la rue principale. Il s’agissait d’entreprises appartenant à
des gens qui vivaient en ville, qui employaient d’autres personnes qui
vivaient aussi en ville, qui souvent achetaient et vendaient des
produits cultivés ou fabriqués dans et autour de la ville. Chaque niveau
de cette activité a occupé des personnes et a donné un but et un sens à
leur vie, même si le travail associé était parfois difficile. Au total,
cela formait un riche réseau d’interdépendance, de vie humaine en
réseau et d’histoires familiales.
Ce qui me gêne, c’est la façon dont le pays accepte les forces qui
ont permis d’ébranler ces relations. Aucune des informations ou des « études »
sur la dépendance aux opiacés ne remettra en question ou même ne
mentionnera la logique mortelle de Wal Mart et les opérations du même
genre, qui ont systématiquement détruit les économies locales de vente
au détail (et les vies qui y étaient associées). Les médias voudraient
vous faire croire que nous apprécions encore les « bonnes affaires » au-dessus de toutes les autres dynamiques sociales. À la fin, nous ne savons plus de quoi nous parlons.
J’ai maintenu pendant de nombreuses années qu’il faudra probablement
l’effondrement des dispositions actuelles, pour que la nation réactive
des sensations basées sur la réalité pour se redonner des buts et du
sens. Je suis assez content de voir l’échec des chaînes nationales de
vente au détail, une des mauvaises choses les moins importantes dans la
vie américaine. Trump était juste un symptôme brutal du désir douloureux
du public pour une nouvelle disposition des choses. Il sera balayé avec
l’effondrement des rackets, y compris le racket immobilier pour lequel
il a travaillé. Une fois que l’effondrement commencera sérieusement, en
commençant par le racket le plus toxique de tous, celui de la finance
globalisée, il y aura beaucoup à faire. Le jour se lèvera, en Amérique,
où les gens seront trop occupés pour recourir aux opiacés, tout en
tirant une certaine satisfaction de leurs occupations.
James Howard Kunstler
le chemin de la barbarie passe par la démocratie.
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