vendredi 5 mai 2017

Le blues national

Article original de James Howard Kunstler, publié le 28 Avril 2017 sur le site kunstler.com
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr 



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Alors que les informations gémissent avec des histoires sur «  L’épidémie d’opiacés en Amérique », vous pouvez constater qu’il n’y a guère d’efforts de fait pour comprendre réellement ce qui se cache derrière, à savoir que la vie aux États-Unis est devenue incontestablement déprimante, vide et sans but, pour une grande partie des citoyens. Je veux dire littéralement indescriptible. Si vous voulez des preuves de notre incapacité à construire une histoire cohérente sur ce qui se passe dans ce pays, en voici.


Je vis dans un coin de cette Amérique périphérique, où vous pouvez facilement lire les conditions de vie sur les murs : les rues principales vides, surtout quand la nuit tombe, les maisons sans soins et se dégradant d’année en année, les fermes abandonnées avec des granges qui tombent en ruine, les outils agricoles rouillant sous la pluie et les pâturages couverts de sumacs, ces chaînes nationales de magasins parasites, poussant comme des tumeurs aux abords de chaque ville.

Vous pouvez le lire dans le corps des gens dans ces nouveaux centre-ville, c’est-à-dire le supermarché : des personnes prématurément vieilles, engraissées et rendues malades par la consommation de mauvaises nourritures, faites pour avoir l’air et avoir un goût irrésistible, aux pauvres qui s’enfoncent dans le désespoir, une consolation mortelle pour des vies remplies par des heures vides, occupées à regarder la trash-télé, des jeux informatiques addictifs et leurs propres mélodrames familiers conçus pour donner un sens narratif à des vies qui, autrement, ne comportent aucun événement ou effort.

Ce sont des personnes qui ont perdu leurs rôles économiques et sociaux, dans une vie qui leur a été volée. Ils ne sont plus concernés par des choses qui comptent. Ils n’ont pas de perspectives pour une vie meilleure – et, de toute façon, toute notion noble de la vie a été réduite à des fantasmes absurdes de luxe kardashien, c’est-à-dire un maximum de confort sans autre but que de permettre l’auto-dramatisation. Et rien ne dramatise plus une vie désespérée, que l’habitude de se droguer. Cela concentre l’esprit, comme l’a remarqué Samuel Johnson, comme l’attente d’être pendu.

Pour confirmer les informations sur le mystère de l’épidémie d’opiacés, il y a la dépendance névrotique de l’Amérique à des « études » supposément scientifiques. Jamais dans l’Histoire, une société n’a autant étudié et si peu appris – ce qui se passe lorsque vous recourez à la science pour piloter des questions de comportement. Cela repose sur l’erreur que, si vous compilez suffisamment de statistiques sur quelque chose, vous pouvez le contrôler.

La dépendance aux opiacés n’est qu’un autre racket, sur chacun, dans une culture de l’escroquerie qui flirte avec le véritable échec de notre époque, pour la simple raison que ces rackets sont malhonnêtes, que cette malhonnêteté omniprésente est en contradiction avec la réalité, et que la réalité a toujours le dernier mot.

La chose étrange, à propos de cette lecture du désespoir peint sur les murs, est que vous pouvez y voir le fantôme des buts et leurs significations. Avant 1970, il y avait au moins cinq usines dans ma petite ville, toutes conçues à l’origine pour fonctionner avec la puissance de l’eau (ou hydro-électrique) de la rivière Battenkill, un affluent de l’Hudson à proximité. Les ruines de ces entreprises sont encore là, leurs murs de briques rouges avec leurs toits éventrés, les clôtures torsadées qui n’ont plus rien à protéger, les maçonneries brisées des moulins.

Les fantômes des commerces sont également clairement visibles, sur les os de la rue principale. Il s’agissait d’entreprises appartenant à des gens qui vivaient en ville, qui employaient d’autres personnes qui vivaient aussi en ville, qui souvent achetaient et vendaient des produits cultivés ou fabriqués dans et autour de la ville. Chaque niveau de cette activité a occupé des personnes et a donné un but et un sens à leur vie, même si le travail associé était parfois difficile. Au total, cela formait un riche réseau d’interdépendance, de vie humaine en réseau et d’histoires familiales.

Ce qui me gêne, c’est la façon dont le pays accepte les forces qui ont permis d’ébranler ces relations. Aucune des informations ou des « études » sur la dépendance aux opiacés ne remettra en question ou même ne mentionnera la logique mortelle de Wal Mart et les opérations du même genre, qui ont systématiquement détruit les économies locales de vente au détail (et les vies qui y étaient associées). Les médias voudraient vous faire croire que nous apprécions encore les « bonnes affaires » au-dessus de toutes les autres dynamiques sociales. À la fin, nous ne savons plus de quoi nous parlons.

J’ai maintenu pendant de nombreuses années qu’il faudra probablement l’effondrement des dispositions actuelles, pour que la nation réactive des sensations basées sur la réalité pour se redonner des buts et du sens. Je suis assez content de voir l’échec des chaînes nationales de vente au détail, une des mauvaises choses les moins importantes dans la vie américaine. Trump était juste un symptôme brutal du désir douloureux du public pour une nouvelle disposition des choses. Il sera balayé avec l’effondrement des rackets, y compris le racket immobilier pour lequel il a travaillé. Une fois que l’effondrement commencera sérieusement, en commençant par le racket le plus toxique de tous, celui de la finance globalisée, il y aura beaucoup à faire. Le jour se lèvera, en Amérique, où les gens seront trop occupés pour recourir aux opiacés, tout en tirant une certaine satisfaction de leurs occupations.

James Howard Kunstler

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