samedi 2 décembre 2017

Le ventre mou de l’industrie pétrolière : un effondrement de Sénèque est-il à venir ?


Article original de Ugo Bardi, publié le 19 Novembre 2017 sur le site CassandraLegacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr


Ugo Bardi
Ugo Bardi explique son idée d’un « effondrement de Sénèque » imminent de l’industrie pétrolière mondiale à la session sur le changement climatique de la réunion du Club de Rome à Vienne, le 10 novembre 2017. Ce qui suit ne sont pas ses mots exacts mais un texte qui reprend l’essentiel de ce bref commentaire. Il est axé sur le concept que l’industrie pétrolière a un « ventre mou » dû au fait qu’elle produit principalement du carburant pour les moteurs utilisés pour le transport. Si ce marché était réduit par l’introduction de véhicules électriques et d’autres innovations en matière de transport, toute cette industrie pourrait s’effondrer. Ce serait une bonne chose pour l’écosystème terrestre et pour l’humanité en général.


« Chers collègues, nous avons eu une discussion intéressante sur la façon d’arrêter le changement climatique et je pense que je pourrais y ajouter quelques réflexions à partir de mon récent travail que j’ai publié sous la forme du livre intituléL’effet Sénèque’.



Le problème dont nous discutons est de savoir comment limiter les émissions et nous avons vu que cela doit être fait rapidement et même de façon drastique si nous voulons éviter les pires effets du changement climatique. Évidemment, ce n’est pas facile. (image de Skeptical Science)

La plupart de ce qui a été dit aujourd’hui était basé sur une approche ‘descendante’, que je peux également décrire comme une limite de l’offre. Autrement dit, nous parlons d’une taxe sur le carbone, des limites d’émission, et autres ; les mesures que les gouvernements devraient prendre pour limiter la production de combustibles fossiles. Je n’ai pas à vous dire que c’est un effort qui dure depuis plusieurs années et pourtant les émissions continuent de croître. Cela ne semble pas fonctionner.

Alors, pouvons-nous adopter l’approche inverse? C’est-à-dire, regarder la demande dans une approche ‘ascendante’?

Pour discuter de ce point, permettez-moi de présenter le concept de l »effet Sénèque’ ou de la ‘falaise de Sénèque’. Voici la forme de la courbe de Sénèque.

Vous savez que j’utilise le terme ‘Effet Sénèque’ en m’inspirant de quelque chose que le philosophe romain Sénèque a dit il y a longtemps; ‘la croissance est lente mais la ruine est rapide’. Et vous voyez comment la courbe ressemble aux projections de réduction des émissions que nous avons vues ici.
Ainsi, la question est : ‘qu’est-ce qui provoque l’effondrement que nous voyons par la courbe de Sénèque dans les systèmes complexes ?’ Eh bien, nous pouvons utiliser la dynamique du système pour modéliser l’effondrement et nous savons que ce n’est pas un effet ‘descendant’ car personne de l’extérieur ne force le système à s’effondrer. C’est un phénomène très général provoqué par les interactions des différents éléments qui composent le système et coopèrent pour le faire tomber. Et c’est un truc qui peut être exploité : comme je le dis dans mon livre, ‘L’Effet Sénèque’, l’effondrement n’est pas un bogue, c’est une fonctionnalité.

Laissez-moi vous l’expliquer en utilisant l’industrie pétrolière à titre d’exemple : voir la figure dessinée au tableau.



Maintenant, vous voyez la ligne en tirets que j’ai dessinée et qui continue de monter. C’est ce que les compagnies pétrolières attendent pour l’avenir. Leurs projections, par exemple celle d’Exxon, disent ceci : avec des investissements suffisants, nous pouvons continuer à faire croître la production de pétrole pendant plusieurs années, peut-être une décennie ou plus.
C’est ce qu’ils ont fait. Malgré divers avertissements, l’industrie pétrolière a pu maintenir une production en croissance. Il est vrai que la production de pétrole classique (‘brut’) a atteint un Peak entre 2005 et 2010, mais elle n’a pas vraiment diminué depuis. Ensuite, la production de ‘tous les types de pétrole’ a continué de croître en exploitant d’autres sources telles que les pétroles de schiste.

Bien sûr, le problème est que si l’industrie continue de déployer tous les efforts nécessaires pour faire croître ou au moins maintenir la production, tout ce que nous disions au sujet de la nécessité de réduire les émissions part en fumée. Oubliez le réchauffement en dessous de 2 degrés. Ce serait un désastre.
Mais regardez la courbe de Sénèque dans ce graphique. Cela générerait plus ou moins le type de courbe de production en déclin rapide dont nous avons besoin pour notre survie future.

L’industrie pétrolière ne prévoit rien de tel, mais elle est vulnérable, très vulnérable. L’industrie a un ‘ventre mou’ : l’effondrement de la demande. Autrement dit, nous n’avons pas besoin de gouvernements pour adopter des règlements draconiens : si le marché d’un produit disparaît, l’industrie qui le produit disparaîtra. Cela peut-il arriver ? Oui cela se peut.

Le point clé de la vulnérabilité de l’industrie pétrolière est le besoin de gros investissements pour maintenir ce marché en activité. Face à l’augmentation des coûts de production, ils ont pu survivre en cultivant et en exploitant des économies d’échelle. Cela a été possible parce que les investisseurs pensaient investir dans une industrie en croissance.

Mais les choses ont changé et le marché de l’industrie pétrolière est maintenant à risque. Considérez que, en moyenne, une bonne moitié de sa production est dédiée à l’essence. À cela, vous pouvez ajouter environ 20% de carburant diesel. Le résultat combiné est qu’environ 70% de la production de l’industrie sert aux moteurs à combustion interne utilisés pour le transport.
Jusqu’à présent, ce marché a pris de l’ampleur, mais la révolution du transport électrique arrive, et pas seulement cela. Il y a tout un changement systémique sous le concept de Transport en tant que service’ (TAAS). La combinaison de la diffusion des véhicules électriques et de l’optimisation du système pourrait rapidement réduire la demande en essence et en carburant diesel.

Nous n’avons pas besoin d’une réduction importante de la demande en carburants de transport pour générer une spirale de déclin pour l’industrie pétrolière. Moins de demande signifie moins de production, moins de production signifie des pertes dans les économies d’échelle qui elles-mêmes signifient des coûts plus élevés qui se traduiront par des prix plus élevés qui vont déprimer finalement la demande. Et ainsi de suite jusqu’à ce que cette industrie coule totalement.

Comme l’a dit Lucius Annaeus Seneca il y a longtemps, ‘la ruine est rapide’. Et la ruine de l’industrie pétrolière n’est pas une mauvaise chose pour l’écosystème terrestre et pour nous tous. »

Notes de l’auteur :

« – Selon cette interprétation, Elon Musk est la personne la plus subversive du monde. Aussi, la chose la plus subversive que vous pouvez faire, de nos jours, est d’acheter une voiture électrique. Dans mon cas, je conduis une moto électrique bien que je doive avouer que j’ai encore un vieux modèle hybride, pas encore une voiture entièrement électrique. J’espère pouvoir faire mieux dans un proche avenir.

– Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi Elon Musk et sa compagnie, Tesla, sont attaqués de manière si féroce par tous ? Eh bien, lisez cet article ci-dessus et vous comprendrez.

– Le phénomène du ‘ventre mou’ décrit ici est relatif à l’industrie pétrolière, mais il ne s’applique pas aux deux autres secteurs de la production de combustibles fossiles  : le charbon et le gaz, qui fournissent principalement de l’électricité et non du carburant. Au moins, cela pourrait éviter la véritable catastrophe qui se produirait si quelqu’un décidait de se tourner vers des technologies telles que ‘du charbon liquéfié et du gaz liquéfié’.

– Un concept similaire à celui discuté ici, la gestion de la demande (‘bottom-up’) comme étant supérieure à la gestion de l’offre (‘top-down’) a été décrit par Carolyn Hansen et Raj Thamotheram dans un récent projet d’article paru sur linkedin. »

Ugo Bardi

Ugo Bardi est professeur de chimie physique à l’Université de Florence, en Italie. Ses intérêts de recherche englobent l’épuisement des ressources, la modélisation de la dynamique des systèmes, la science du climat et les énergies renouvelables. Il est membre du comité scientifique de l’ASPO (Association pour l’étude du pic pétrolier) et des blogs en anglais sur ces sujets sur « Cassandra’s Legacy ». Il est l’auteur du « rapport du Club de Rome », Extrait : Comment la quête de la richesse minière mondiale pille la planète (Chelsea Green, 2014) et « Les limites de la croissance revisitée ». (Springer, 2011), parmi de nombreuses autres publications savantes. 

Note du traducteur

Voici un article intéressant d'Ugo. Il appelle à rien de moins qu'à la fin de l'industrie pétrolière pour un autre modèle basé sur l'électrique. Cela reproduit curieusement, ou pas, la guerre de clocher à Washington entre les pétroliers et les globalistes.

Ce qu'il ne dit pas, c'est qu'avec la fin de l'argent liquide, le tout électrique serait un cran de plus pour suivre les gens à la trace. Les bornes de recharge rapide comme les terminaux de paiement ne seront sûrement bientôt accessibles qu'au travers d'une identification.

Vous pouvez aussi écouter cette intervention de Marc Luyckx Ghisi, autre membre du Club de Rome sur Thinkerview.


Et dans votre élan, je vous conseille d'autres interviews récentes sur cette chaine Youtube, sur les évolutions à venir, chacun défendant son modèle ou sa vision. Elles sont à écouter sans débrancher son esprit critique vu les propos parfois ultra-radicaux et les arrière-pensées pas ou peu contestés par l'interviewer.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire