Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Note du traducteur
Ce second épisode permet de relier les problématiques de crédit et d'endettement à la production d'énergie, base de notre système économique
Comme j’avais commencé à l’évoquer à la fin de la première partie de ce triptyque, je suis très récemment venu à la conclusion que les prix du pétrole ne vont pas avoir une tendance haussière, en raison du resserrement de l’approvisionnement imposé par le pic pétrolier, mais vont au contraire se déprécier. Bien sûr, cela va à l’encontre de la logique commune de l’offre et de la demande, mais lorsque l’on tient compte de la méthode par laquelle la majorité de notre argent est créé, on peut voir entrer en jeu un effet déflationniste. Bizarrement cela m’a pris longtemps pour le deviner, car bien qu’ayant amassé un tas d’éléments divers, je n’avais pas réalisé qu’ils faisaient en fait tous partie du même puzzle.
Avec le pic pétrolier et les banques à réserves fractionnaires comme les deux premières pièces de ce puzzle, la troisième pièce que je devais prendre en compte (et curieusement, j’avais déjà écrit à ce sujet) est le fait que l’argent est un intermédiaire pour l’énergie. Comme je l’écrivais dans un précédent post, l’argent: intermédiaire populaire.
Autrement dit… la fonction de base de l’argent est de nous permettre de domestiquer l’énergie – celle utilisée pour déplacer nos corps, pour alimenter nos machines, pour nourrir les animaux domestiques dont nous utilisons l’énergie ensuite pour faire le travail (ce qui de nos jours signifie généralement nous divertir), etc. En d’autres termes, même si c’est difficile et / ou incommode, on peut se passer d’argent. Mais pas d’énergie [pensez au soleil qui nous chauffe, et permet la vie, NdT].En d’autres termes, à la base, nos économies ne fonctionnent pas sur l’argent, elles fonctionnent sur l’énergie. En outre, la forme de monnaie n’a, à la limite, pas vraiment d’importance, que vous utilisiez des pièces de monnaie, des morceaux de papier, de l’or, des digibits (zéro et un), des coquillages, ou quoi que soit d’autre, parce que si vous ne disposez pas de l’énergie nécessaire pour effectuer le travail et / ou créer les produits que votre société attend, l’argent est pratiquement inutile et sans valeur.
Bien qu’il serait exagéré de dire que tous nos problèmes économiques ont toujours été, à la base, des problèmes d’énergie, le pic pétrolier (et le pic de combustibles fossiles en général) combiné avec le fait que l’argent est un intermédiaire pour l’énergie, impliquerait, à l’inverse, une sorte de pic de l’argent. En d’autres termes, cela implique donc une limite à la création de crédit. Par conséquence, comme les banques créent l’argent sous forme de dette via le système des réserves fractionnaires et doivent continuellement créer de nouveaux crédits de sorte que les intérêts puissent rembourser les crédits précédents (pour que le système n’implose pas), eh bien, le système est un peu dans un cul de sac. En outre, les prix du pétrole et les marchés boursiers à travers le monde ayant pris récemment un bouillon, la situation en Grèce et dans les pays dans une situation similaires restant encore une question épineuse, cette potion diabolique commence à faire son effet.
Quoiqu’il en soit, aucune de ces questions de fond et de ces problèmes ne sont volontiers reconnues (ni même mentionnées) par les médias traditionnels. Comme Business Insider l’a souligné fort à propos, mais peut-être un peu trop adroitement (en ce qui concerne la confusion actuelle du marché):
… ce qui est vraiment au cœur de la confusion des marchés à l’heure actuelle, c’est qu’il n’y a rien à montrer du doigt. Il n’y a aucune bulle technologique prête à éclater ou d’implosion du marché des subprimes… [Il y a quand même une grosse bulle sur les valeurs mobilières et les dérivés, NdT] Et donc les médias, comme par exemple Business Insider, et les acteurs du marché ne peuvent simplement que constater ce qui est arrivé, sans être en mesure de l’expliquer.
Jusqu’à présent, les médias grand public ont surtout mentionné que nous sommes dans une époque de surabondance de pétrole, due à l’augmentation massive de la production de pétrole de schistes aux États-Unis au cours des dernières années, et à l’augmentation de la production de l’OPEP l’année écoulée, ajoutant encore la possibilité de l’arrivée sur le marché du pétrole iranien suite à la levée des sanctions. Toutefois, cette notion d’une surabondance de pétrole est plutôt douteuse pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la consommation mondiale de charbon augmente à son taux le plus faible depuis la crise asiatique de 1998. En plus de cela, plus tôt cette année, le Baltic Dry Index (un indice qui mesure le prix du transport maritime) a atteint son plus bas sur 28 ans. Pendant ce temps, les commandes à l’exportation des usines chinoises viennent de baisser pour le onzième mois consécutif, avec l’activité du mois d’août baissant à son rythme le plus rapide depuis trois ans, ce qui à son tour a conduit à une augmentation des licenciements.
Ce genre de choses ne se produit pas parce qu’il y a trop de pétrole, une surabondance supposée, cela se produit parce que les gens achètent moins. C’est cela entre autre qui a amené certaines personnes à penser que le problème n’est pas tant une surabondance de pétrole que l’absence de demande, autrement dit la destruction de la demande.
Dans le passé, la chute des prix du pétrole a finalement conduit à son propre rétablissement, lorsque la demande est revenue, stimulée par la baisse des prix. Mais ces chocs étaient souvent induits géopolitiquement, tandis que la situation actuelle est un choc sur les prix du pétrole induit géologiquement. Autrement dit, depuis plusieurs années maintenant, le pétrole a été vendu dans une gamme de prix plutôt élevée, de l’ordre de 100 dollars, en raison de conditions d’extraction plus difficiles [rendements décroissants, NdT]. Maintenant il est extrait des sables bitumineux, des plate-formes en haute mer, du pétrole de schiste, et ces sources exigent des prix plus élevés pour permettre aux producteurs de faire des profits. Le pétrole à 100 dollars le baril permettait aux foreurs et aux autres acteurs du marché de faire des bénéfices, rendant possible, pendant assez longtemps, de payer une main d’œuvre importante. Mais le Projet national pour l’emploi et le travail vient d’annoncer que «le salaire moyen en termes réels a chuté de 4% sur la période 2009-2014».
À son tour, la réduction de la demande a contribué à une dépression des prix du pétrole, ce qui a conduit au licenciement massif d’un personnel bien payé («Il est facile de gagner au moins 100 000$ par an»), une perte de 100 000 postes aux États-Unis jusqu’à présent, et 900 autres au Canada la semaine dernière, et ainsi de suite.
Du coup, le nombre croissant de consommateurs laissés en route a fini par avoir moins d’argent à dépenser, conséquence de la perte de l’accès à la forme la plus classique du crédit, l’emploi, tandis que d’autres ne cherchent plus et / ou acceptent autant de crédit que les banques tentent désespérément de distribuer, soit parce que les gens essaient de rembourser les dettes qu’ils ont déjà soit qu’ils se réveillent face aux risques d’en prendre encore plus. Comme le Toronto Star en convient ,
Les difficultés économiques pourraient commencer à peser sur leurs résultats [ceux des grandes banques canadiennes], sinon directement, du moins au travers des défauts plus élevés sur les crédits, avant – indirectement – de réduire la croissance des crédits et des autres sources de revenus.Si vous êtes comme moi, alors vous avez probablement reçu des cargaisons d’offres de cartes de crédit avec des taux d’intérêt à 0% (avec une taxe initiale de 1%, plus une marge sur les transferts) de toutes sortes de banques. En d’autres termes, les banques sont de plus en plus désespérées pour amener les consommateurs à s’endetter pour éviter que la spirale de la dette ne s’arrête et que le système se grippe en fin de compte. De même, c’est la raison pour laquelle les gouvernements [en réalité les banques centrales, NdT] pratiquent l’assouplissement quantitatif (QE) [planche à billets,NdT], pour augmenter la liquidité.
Dans l’intervalle, tandis que le crédit au consommateur final pose un problème, la situation du crédit pour les industries d’extraction et de production d’énergie n’est pas meilleure. Les sables bitumineux canadiens fournissent ainsi un bon exemple pour l’expliquer.
Si on laisse de côté la destruction écologique terrible laissée dans le sillage des projets autour des sables bitumineux, les opérations industrielles massives mises en place pour réaliser des profits nécessitent un prix relativement élevé du pétrole (avec le corollaire que ces prix contribuent à l’insolvabilité de beaucoup de consommateurs). Actuellement, avec des prix aussi bas pour le pétrole, seulement 450 000 des 2,2 millions de barils de brut synthétique produits par jour sont rentables. Cela place de nombreuses sociétés travaillant sur les sables bitumineux entre le marteau et l’enclume. Car, comme l’écrit le Toronto Star :
Le problème est que ces entreprises ne peuvent tout simplement pas cesser de produire. Elles en ont encore besoin pour payer leurs factures, et pour assurer que leurs engagements obligataires soient respectés.
En d’autres termes, avec autant d’argent investi à perte dans leurs opérations, et avec autant d’obligations vendues (en parallèle à toutes les obligations pourries vendues par les opérateurs autour de la fracturation hydraulique, en particulier aux États-Unis), les projets pétroliers non rentables doivent continuer l’extraction pour obtenir un strict minimum de revenus quotidiens, de peur d’avoir à renier leurs paiements et faire faillite.
Cela étant dit, certains producteurs de pétrole ont couvert leurs paris jusqu’en 2015 avec un prix médian de 87,51 dollars, et s’en sortent donc pour le moment. Néanmoins, ces couvertures expirent et les remboursements venant à échéance, les producteurs ont besoin de trouver plus de 500 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années. Ce qui va se passer d’ici là est l’objet de conjectures. Est-ce que les foreurs de puits de pétrole et autres entreprises vont pouvoir restructurer leurs crédits et / ou accéder à de nouveaux crédits s’ils sont saignés à blanc ? Vont-ils faire faillite en masse et se vendre pour quelques centimes par dollar investi et très probablement jeter l’économie mondiale dans une récession induite encore une fois par une autre bulle ? Est-ce que les banques exposées aux dérivés de crédits vont obtenir d’être renflouées encore une fois après avoir fait gonfler et vu éclater leur deuxième bulle en moins d’une décennie ?
D’autre part, avec le problème des prix bas du pétrole, est-il encore possible que certains types d’intervention et / ou de politiques gouvernementales puissent provoquer une remontée des prix du pétrole et sauver les marchés (et, euh… la civilisation industrielle) ? Eh bien, comme il se doit, les gouvernements ont fait deux choses la semaine dernière qui ont entraîné la hausse du prix du pétrole de 27% en trois jours. Tout d’abord, l’Arabie saoudite a annoncé qu’elle était disposée à discuter du prix du pétrole. Cela a rendu le marché heureux et a donc contribué à augmenter les prix. Mais c’était juste histoire de baratiner les marchés car l’Arabie saoudite n’a en réalité rien dit de nouveau, car elle avait depuis longtemps indiqué qu’elle était prête à engager un dialogue (dans le but de restreindre la production courante avec d’autres, pas unilatéralement). Deuxièmement, la branche de New York de la Réserve fédérale a laissé entendre que la prochaine hausse des taux d’intérêt que beaucoup avaient prévue était susceptible d’être retardée. Ainsi les marchés boursiers ont obtenu une autre dose de dopamine et ont regagné la plupart de leurs pertes, tandis que le prix du pétrole a simultanément rebondi. Cependant, vous ne pouvez pas baratiner les marchés trop longtemps.
De même, un certain nombre de circonstances pourraient orienter le prix du pétrole à la hausse, un ouragan bien placé ou le déclenchement d’une guerre dans une partie optimale du monde. En réalité, deviner les prix et les mouvements du pétrole est finalement un jeu de dupes, joué par des imbéciles néanmoins plutôt grassement payés.
Indépendamment de la façon dont tout cela va se terminer, toutes choses étant égales par ailleurs, la tendance est maintenant à ce que les prix du pétrole continuent à diminuer. Nous ne sommes plus dans un cycle de haut plus hauts et de bas plus bas, suivis par des hauts toujours plus élevés et des creux, mais des plus hauts en baisse et des creux inférieurs, suivant leur chemin vers le bas dans la direction opposée de l’économie des niais qui professent dans des journaux comme le New York Times : «Cela se résume à une simple économie de l’offre et de la demande.»
Il est temps de mariner! (photo par Jacki Gallagher)
Pour clore tout cela, et pour souligner une question assez juste – et tout à fait pertinente –, est-ce que cela signifie que le pétrole va se planter tout en bas à 0 $ et être libre ? En bref, non, et les circonstances actuelles peuvent l’expliquer. Bien sûr, si les gouvernements et les banquiers ont décidé de laisser tout le système se gérer seul, alors oui, la chaîne de Ponzi irait probablement à sa ruine en implosant, et le prix du pétrole serait à 0 dollars – ou plutôt à ?? dollars. Cela bien sûr ne sera pas autorisé à se produire. Car puisque le système de crédit est un intermédiaire pour le système énergétique que la civilisation industrielle maintient, cela signifie que le tri des peuples et des nations par la machine industrielle du crédit les trie efficacement pour la fourniture de combustibles fossiles. En supposant que nous puissions même nous le permettre, cela signifie qu’il y aura moins de combustibles fossiles pour eux et plus pour nous afin de maintenir le fonctionnement de nos économies industrielles et continuer à vivre le XXIe siècle avec nos vies alimentées par les combustibles fossiles auxquels nous sommes accros (jusqu’à ce que le tri frappe à notre porte comme il l’a déjà fait pour certains). Et la méthode par laquelle le tri se fait est la méthode bien connue maintenant de l’austérité sur une micro échelle, avec des Grexits et d’autres variantes à une échelle macro.
Aussi ambigu que cela puisse être, il y a cependant une troisième option pour laquelle il peut valoir le coup de se battre. C’est celle que je vais développer dans la partie 3.
Allan Stromfeldt Christensen
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