lundi 6 mars 2017

Guerre Hybride 8. Les dessous chic du Mozambique

Article original de Andrew Korybko, publié le 27 Janvier 2017 sur le site Oriental Review
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr


Hybrid Wars 8. There’s more than meets the eye in Mozambique

Avant-propos

La recherche sur la guerre hybride est maintenant passée de la Corne de l’Afrique et de l’Afrique de l’Est à une ceinture d’États que l’auteur a appelée l’Afrique Centrale Sud, qui comprend le Mozambique, le Malawi, la Zambie et l’Angola. Cette partie de l’Afrique est importante parce qu’elle relie l’espace de l’Afrique centrale et orientale à celui de l’Afrique du Sud beaucoup plus développé et économiquement mature, la République d’Afrique du Sud (RSA) étant naturellement le centre de gravité de cette grande région.

Le Mozambique figure dans le calcul stratégique à cause de ses énormes réserves de gaz offshore, et aussi parce que son territoire pourrait théoriquement être la route la plus directe reliant la RSA à la Communauté de l’Afrique de l’Est, à condition bien entendu que l’insurrection RENAMO soit définitivement vaincue. Le Malawi, quant à lui, se trouve à l’intersection de trois nouveaux pays de la Route de la Soie, la Tanzanie, la Zambie et le Mozambique, ce qui en fait une « charnière géopolitique ».

 

La Zambie est l’ultime pivot du fait que cinq corridors multipolaires distincts de l’infrastructure connective transnationale traversent son territoire, tandis que l’Angola est une puissance régionale ascendante qui sert de terminus atlantique pour l’Itinéraire transafricain Sud (STAR). Au total, ces quatre États ont leurs propres rôles à jouer dans la vision One Belt One Road de la Chine, mais parce qu’ils sont malheureusement sous-étudiés par les stratèges multipolaires, les vulnérabilités de la guerre hybride à l’intérieur de chacun d’entre eux pourraient surprendre tout le monde si elles restent non identifiées à l’avance et doivent être analysées avant que l’un des scénarios de déstabilisation ne soit activé.

Introduction sur le Mozambique

Jusqu’à ces dernières années, de nombreux observateurs ont convenu que le Mozambique était finalement sur la voie de la reprise après une guerre civile ruineuse lors de la guerre froide. L’économie grandissait, l’investissement s’accumulait et les deux parties belligérantes s’étaient engagées dans une longue période de paix. Cela a toutefois changé à la fin de 2012, après que les prospecteurs italiens ont découvert certaines des plus grandes réserves de gaz naturel offshore au monde. RENAMO, le parti d’« opposition » censé se démilitariser après la guerre, a rapidement repris les armes et a renouvelé son insurrection historique contre le gouvernement quelques mois plus tard au printemps 2013. Le leader militant Afonso Dhlakama a allégué que c’était parce que le gouvernement n’avait pas rempli sa partie des Accords de Rome de 1992, accord qui mettait fin à la guerre civile, et que donc son organisation n’était plus obligée de s’y conformer non plus.
Il devrait être évident pour tous les observateurs neutres que la motivation principale de RENAMO est de perturber, de contrôler ou d’influencer les dépôts d’énergie et les itinéraires d’exportation du Mozambique avant qu’ils n’atteignent le marché mondial dans les années 2020 et que le groupe se cache simplement derrière une « rhétorique démocratique » comme une excuse commode. Les insurgés ne sont pas des « combattants de la liberté », mais des pions de la guerre hybride qui ont l’intention d’usurper le pouvoir dans l’un des plus grands pays exportateurs de GNL au monde dans les prochaines années, ce qui en ferait un des acteurs les plus importants du marché mondial. Non seulement leurs marionnettistes exerceraient une influence considérable en conséquence, mais le groupe lui-même deviendrait très riche s’il devait obtenir un contrôle « légal » rémunéré sur le flux de revenus résultant. Le FMI avait prévu que l’économie mozambicaine connaîtrait une croissance étonnante de 24% par an entre 2012-2015. Dans un pays aussi pauvre comme l’est le Mozambique actuellement, il n’est pas étonnant que certaines personnes soient prêtes à en tuer d’autres et peut-être même à mourir pour avoir la chance d’administrer les gains financiers de cette découverte.

La stratégie cachée

Il y a beaucoup plus à dire de la guerre hybride du Mozambique que ce qui saute aux yeux au premier regard, alors que la RENAMO n’a pas à diriger le gouvernement national pour recevoir ces privilèges envisagés. En fait, tout ce qu’il a à faire est de jouer ses cartes dans les négociations de paix menées par le Vatican. Si le groupe se coordonne avec les donateurs intéressés occidentaux du Mozambique qui font déjà chanter le pays tel qu’il est, les deux pourraient inciter les autorités à accéder à la demande politique supposée de la RENAMO d’autonomie régionale.
Le « redémarrage du régime » que cela produirait serait beaucoup plus bénéfique pour les clients par procuration qu’un changement de régime traditionnel dans ce contexte, car cela leur permettrait d’atteindre fonctionnellement tous leurs objectifs, qu’ils réussissent ou non à atteindre pleinement les objectifs nationaux de leadership par le biais d’élections.
En outre, un autre détail qui est difficile à percevoir, c’est que l’autonomie régionale permettrait non seulement à la RENAMO et ses soutiens de contrôler les exportations d’énergie du Mozambique, mais cela leur permettrait également de projeter leur influence dans tout le reste de l’Afrique australe via leur prise de contrôle du deuxième plus grand port du pays, Beira, de la rivière Zambèze et du réseau hydroélectrique international du barrage de Cahora Bassa. En d’autres termes, la RENAMO et ses patrons étrangers contrôleraient toutes les ressources stratégiques du Mozambique et seraient libres de les exploiter comme bon leur semble pour atteindre leurs objectifs régionaux.

Découper le pays

Dhlakama a déclaré en mars que six provinces – Tete, Manica, Sofala, Zambézie, Nampula et Niassa – devraient relever du contrôle officiel de la RENAMO, prétendument parce que la majorité de la population appuie son mouvement. Il ne veut pas seulement que l’organisation ait le droit de nommer ses gouverneurs partisans au pouvoir (bien que cela fasse partie de leurs revendications), mais le chef militant est également en faveur de l’octroi à chacune de ces provinces d’une autonomie par rapport au gouvernement central. Il est difficile d’apprécier à quel point une telle proposition est radicale, à moins que l’on ne fasse une cartographie physique et que l’on sache la taille du pays que la RENAMO revendique pour elle-même :

  • Rouge : Territoire revendiqué par la RENAMO (66,5% du territoire national et 69,8% de la population totale).
  • Étoile noire : La capitale mozambicaine de Maputo.
  • Carré noir : Gisements de gaz naturel du bassin de Rovuma.
  • Ligne noire : Itinéraire provisoire du pipeline de la Renaissance africaine à Johannesburg.
  • Ligne bleue : Fleuve Zambèze.
  • Carré bleue : Barrage de Cahora Bassa.
  • Cercle vert : Beira, deuxième plus grande ville et port du pays.

Le faiseur de roi mozambicain

La stratégie de Dhlakama est de positionner la RENAMO comme un faiseur de roi protégé constitutionnellement pour gérer les affaires intérieures et internationales du Mozambique, ce qui signifie que son groupe n’aurait même pas à remporter une élection nationale pour déterminer les politiques les plus importantes du pays. La carte ci-dessus le démontre très bien, car la réalisation des plans de la RENAMO visant à transférer le pouvoir de l’État à son réseau de provinces contiguës contrôlées par le parti aurait pour effet incontestable de faire de Dhlakama la force la plus puissante du pays. Voici pourquoi.

Le pipeline de la Renaissance africaine

La Chine prévoit de contribuer à 70% du financement nécessaire à la construction du pipeline African Renaissance de 6 milliards de dollars, un projet d’infrastructure de gaz naturel pour relier les réserves monstrueuses du bassin du Rovuma au marché sud-africain en pleine croissance. Bien que la carte n’indique qu’un chemin provisoire que cette route pourrait suivre, en tout cas, il est évident que la majeure partie de celui-ci devrait passer par les provinces contrôlées par la RENAMO. Associé à l’autonomie proposée pour laquelle Dhlakama se bat, cela signifie que sont parti pourrait avoir le pouvoir d’imposer des frais de transport lucratifs et de perturber l’approvisionnement de l’envoi chaque fois qu’il le choisirait, ce qui en ferait une « Ukraine du Sud-Est » à cet égard. Cela aurait pour effet que la RENAMO et ses soutiens contrôleraient de facto l’approvisionnement en gaz naturel de l’Afrique du Sud, ce qui représenterait un risque stratégique majeur pour ce pays des BRICS.

Barrage de Cahora Bassa

Ce projet de grande envergure a été terminé par les Portugais pendant les années crépusculaires de l’ère impériale, et c’est l’un des plus grands projets hydroélectriques d’Afrique australe. En conséquence, une grande partie de l’énergie qu’il produit est exportée vers le reste de la région, y compris vers l’Afrique du Sud, où cela représente 3% des besoins totaux du pays. Bien que ce chiffre puisse sembler minime (et c’est vrai dans l’absolu), il reste un élément important de la politique énergétique du pays car il alimente de façon fiable la grille énergétique sud africaine au milieu des nombreuses perturbations internes qui ont frappé ce pays au cours de la dernière décennie. Ce barrage était si important dans le passé que la RENAMO avait auparavant voulu que la région environnante forme la « République de Rombésie » à la fin de la guerre civile, même si le parti FRELIMO a refusé et a réussi à préserver l’intégrité territoriale du pays. Néanmoins, ce méga-projet est encore possible aujourd’hui et la RENAMO pourrait utiliser ses exportations comme un instrument politique si elle arrivait jamais à acquérir le pouvoir sur cette infrastructure.

Rivière Zambèze

Le quatrième fleuve le plus long d’Afrique serpente à travers la partie sud du continent et il pourrait un jour fournir un débouché maritime direct pour les économies sans littoral de la Zambie et du Zimbabwe. Le Zambèze est difficile à naviguer et n’a pas encore été développé au point où le transport de marchandises à grande échelle pourrait être envisagé, mais la Société de la Voie Maritime du Zambèze explore les possibilités de le faire. Même en l’absence d’une quelconque concrétisation, cependant, il y a une chance pour le Mozambique et le Malawi de conclure un accord sur la voie navigable Shire-Zambezi, qui relierait la ville portuaire du sud du Malawi de Nsanje à l’océan Indien via cette route. Tel qu’il existe, ce pays abjectement appauvri reçoit la plupart de ses importations des ports mozambicains de Beira et de Nacala, qui seraient sous le contrôle de la RENAMO quelque soit le schéma d’autonomie à venir, donnant ainsi à cet acteur non-étatique un contrôle presque total sur le Malawi s’il réussissait dans ses plans de réarrangement domestique pour un « redémarrage du régime ».

Port de Beira

Le deuxième plus grand port du Mozambique est situé dans une ville de la même taille, et Beira fonctionne également comme l’un des seuls accès du Zimbabwe à la mer. Un chemin de fer et un oléoduc contribuent à lier ce pays sans littoral au reste du monde, et le premier fait même partie du corridor de Beira qui s’étend jusqu’à la capitale zambienne de Lusaka. De toute évidence, cette ville côtière n’est pas seulement importante pour le Mozambique, mais elle joue aussi un rôle central pour ses voisins de l’arrière-pays, de sorte que réussir à la placer sous la coupe d’une forte « autonomie » de la RENAMO, impacterait les économies d’autres États. Du coup, les bailleurs de fonds étrangers recevraient également cet avantage indirect.

Pensées finales

La guerre hybride naissante au Mozambique n’a certes pas atteint un conflit d’une trop grande échelle et il a manqué beaucoup des éléments d’une révolution de couleur qui sous-tend typiquement ce stratagème. Néanmoins, cela ne signifie pas que les troubles n’ont pas été conçus dans le même but que les autres guerres hybrides, à savoir perturber, contrôler ou influencer les projets d’infrastructures de raccordement transnationaux multipolaires. Bien que le barrage existant de Cahora Bassa soit certainement un trophée significatif, le futur pipeline, appelé African Renaissance, vers l’Afrique du Sud est un élément beaucoup plus important dans le contexte géopolitique contemporain, ce que la RENAMO veut absolument saisir grâce à sa proposition d’autonomie.
Si elle est mise en œuvre à un degré tangible, cette version de fait du « fédéralisme identitaire » serait probablement jumelé à une réinterprétation radicale des Accords de Rome de 1992 censés avoir mis fin à la guerre civile, avec pour résultat que la RENAMO aurait une indépendance militaire dans l’administration des provinces revendiquées. En conséquence, Elle aurait plus d’influence sur ces territoires que le gouvernement central lui-même, ce qui conduirait le groupe de l’opposition à avoir plus d’impact régional que les autorités élues elles-mêmes dans cette partie du pays. Si la RENAMO décide de tirer parti de son nouveau contrôle sur le barrage de Cahora Bassa, sur le fleuve Zambèze et sur le port de Beira, elle pourrait exercer une influence énorme sur le Malawi, le Zimbabwe et même la Zambie.
Naturellement, ce ne serait qu’une question de temps avant que la RENAMO ne commence à provoquer de nouveaux problèmes à l’intérieur du reste du pays hors de son contrôle, que cela soit ou non précédé d’une démonstration de force devant la communauté internationale par les voies susmentionnées. Le groupe pourrait chercher à « justifier » ses actions sous un volet « démocratique » qu’il n’est pas « équitable » que le tiers restant du pays (territoire et population) tenu par la FRELIMO soit toujours décisionnaire sur les autres affaires du pays. Cela pourrait amener RENAMO à tenter une prise de pouvoir sur la province de Cabo Delgado, source des gisements de gaz du bassin de Rovuma. En cas de succès par convention ou par chantage, le pouvoir direct ou indirect de RENAMO sur cette région viendrait compléter son contrôle du transit actuel sur le pipeline African Renaissance et lui accorderait, ainsi qu’à ses bailleurs de fonds étrangers, la composante GNL manquante nécessaire pour influencer le marché mondial du gaz liquéfié à une échelle plus grande.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie « Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime » (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

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