mercredi 2 août 2017

La conquête de l’homme par la nature

Article original de Dmitry Orlov, publié le 4 juillet 2017 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

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Simon Norfolk
Depuis un peu plus de quatre siècles, à partir des années 1600, le récit dominant en Occident a été « La conquête de la nature par l’homme ». De là, cette histoire s’est répandue dans le monde entier comme l’« Homme » (dans le sens assez spécifique de divers gentlemen et de leurs serviteurs) a vaincu tous ceux qui se tenaient devant lui. Et même maintenant, alors que l’Occident entre dans sa sénescence, déchiré par des conflits internes, défaillant démographiquement, débordé par les migrants d’un large éventail d’États faillis et organisant des catastrophes environnementales à l’échelle planétaire, cette croyance inaltérable des victimes de l’éducation publique autour du monde demeure : « Le but de la nature est de servir l’homme ».


Cette croyance est en contradiction avec la nature car il s’avère, dans le schéma naturel des choses, que la fonction de l’homme est celle d’être mangé et que seuls quelques chanceux pourront finir fossilisés accidentellement. Ces jours-ci, beaucoup d’entre nous sont transformés en cendres, pour économiser de l’espace – un processus de gaspillage, biologiquement parlant – mais normalement, si on est enterré, notre destinée est de nourrir les vers, les insectes et autres décomposeurs, alors que si on tombe sur le sol même, des corbeaux, des vautours, des rats et divers autres charognards ne seront que trop heureux de se régaler de nous.

Mettez cela dans une perspective appropriée et en finir avec nous n’est même pas une tâche si insurmontable. Tassé par un compacteur et empilé en blocs d’un mètre cube, toute l’humanité pourrait entrer dans un cube d’un peu moins d’un kilomètre de côté. Étalés uniformément sur toute la surface de la Terre, nous formerions un film d’à peine un micron d’épaisseur – indétectable sans équipement spécial et facilement digéré par le biote biologique de la planète. Comparez cela aux épais tapis microbiens qui ont donné lieu à des dépôts de pétrole brut que nous brûlons actuellement à une vitesse vertigineuse : l’homme moyen brûle huit fois son poids corporel en pétrole brut chaque année.

C’est le pétrole brut, ainsi que le charbon, le gaz naturel et l’uranium, qui multiplient notre puissance insignifiante à un point où les résultats de notre activité deviennent visibles de l’espace extra-atmosphérique sur de vastes étendues de la surface de la planète. Si on prend les chiffres, il s’avère que le pétrole brut consommé nous permet de multiplier notre énergie physique et endosomatique par environ 44 000 000. Ajoutez du charbon, du gaz naturel et de l’uranium, et vous obtenez environ un facteur d’amplification de nos pouvoirs physiques d’une  centaine de milliers. C’est cela qui a permis la récente « conquête de la nature » par l’homme. Sans les combustibles fossiles, la meilleure énergie exosomatique que nous pouvons exploiter, c’est un équipage de deux chevaux, bœufs, buffles d’eau ou ce que vous avez sous la main. Au delà, cela devient difficile à gérer pour un seul humain. Les chevaux et les autres grands ruminants multiplient notre pouvoir d’un facteur 15 ou plus. Mais déjà cela, si vous y pensez bien, c’est beaucoup.

On sait que l’amplification par cent mille de nos maigres pouvoirs physiques grâce aux combustibles fossiles va diminuer avec le temps, nous laissant avec quelques chevaux sur lesquels nous replier si nous sommes chanceux. Passer d’un facteur cent mille à quinze va sûrement être un choc pour certaines personnes, ce qui leur fait prétendre que cela va sonner la fin de la civilisation humaine. D’autres affirment que la civilisation humaine est condamnée parce que brûler environ la moitié de tous les combustibles fossiles récupérables en seulement quelques siècles a déstabilisé le climat. Comme si cela ne suffisait pas, le Prof. Guy McPherson prédit hardiment que les humains vont s’éteindre avant le 1er janvier 2026 (qui tombe un mercredi). Et à l’autre extrémité du spectre des illuminés qui font des prédictions désastreuses, nous trouvons le professeur Stephen Hawking. En écoutant la radio, je l’ai récemment entendu proclamer, de sa voix robotique vintage, que Trump décidant de quitter l’Accord de Paris sur le changement climatique pourrait finir par faire ressembler la Terre à Vénus, avec des champs de lave et des pluies d’acide sulfurique. Il a dit que nous ferions mieux de commencer à réfléchir à construire des colonies dans l’espace si nous voulons survivre.
Je suis profondément en désaccord avec tout ce qui précède. Pour savoir où je me situe et, plus important encore, pour savoir où vous, vous vous situez, commençons par examiner la suggestion de Hawking selon laquelle la Terre peut finir par ressembler à Venus simplement en brûlant des combustibles fossiles. Il y a très très longtemps la Terre avait une atmosphère sans oxygène. À cette époque, elle était également exempte d’animaux, car il n’y avait rien pour respirer, mais au fil du temps, une flore importante est apparue, sous forme d’algues et d’amas microbiens, qui ont photosynthétisé et photosynthétisé, et ont évolué en divers types de plantes, qui ont continué à photosynthétiser jusqu’à ce que l’atmosphère de la Terre soit remplie d’oxygène, tandis que le CO2 devenait une simple trace chimique.

Beaucoup de ces premiers organismes issus de la photosynthèse ont été enterrés dans la croûte terrestre. Un petit pourcentage d’entre eux ont été transformés en combustibles fossiles, les autres se décomposant ou formant de vastes dépôts de matière organique diffuse économiquement inutilisable. Un petit pourcentage de ces dépôts qui se sont révélés technologiquement accessibles pour nous, nous ont permis de creuser, de pomper et de brûler environ la moitié de ce pourcentage. A aucun moment, la Terre n’a approché le climat de Vénus, pas même quand elle était dépourvue de vie, ni lorsqu’elle était pleine de plantes photosynthétisées primordiales qui étaient occupées à changer l’atmosphère, de riche en CO2 à pauvre en CO2 et riche en oxygène. Il est donc raisonnable de penser que l’atmosphère ne finira pas par devenir comme celle de Vénus même si nous finissons de brûler tout le carbone sur lequel nous pourrions mettre la main.

Cela dit, les changements climatiques sont très réels, et ceux qui nient cette réalité appartiennent malheureusement au grand contingent de personnes dont l’accomplissement personnel consiste à gêner sans cesse des gens qui ne seront jamais comme eux. Nous allons faire face à de nombreux siècles de changements climatiques profonds : les inondations côtières, la désertification des terres agricoles, les glissements de terrain et les inondations causées par les pluies torrentielles, plus d’autres types de phénomènes météorologiques, de tremblements de terre et de tsunamis déclenchés par la fonte glaciaire, etc. Physiquement parlant, le changement climatique est tangible, mesurable, observable et indéniable.

Mais le changement climatique d’un point de vue politique est un canular. Les efforts politiques visant à lutter contre le changement climatique en réduisant les émissions de carbone et en investissant dans les « énergies renouvelables » ne sont utiles que pour alimenter diverses formes de corruption : des projets d’une vanité stupides comme ceux de Tesla et d’autres dont les véhicules électriques, dans une comptabilité honnête, augmentent plutôt que ne réduisent les émissions de carbone ; des moyens de gaspiller l’argent public pour des parcs éoliens et des fermes de panneaux solaires qui deviendront inutiles une fois que la fabrication d’équipements électriques (fonctionnant grâce aux combustibles fossiles) qui entraîne la demande d’électricité va baisser ; les biocarburants et divers types de non-sens liés à la haute technologie. Un effort significatif pour conserver ce qui reste du statut quo climatique impliquerait de réduire la consommation de combustibles fossiles à zéro immédiatement, et aucun politicien n’ira jamais proposer cela. Ainsi, l’idée que les politiciens feront tout ce qui est utile pour lutter contre le changement climatique est juste un rêve.

Ensuite, regardons la suggestion de Hawking selon laquelle nous devons construire des colonies spatiales et évacuer la Terre. Pour Hawking et d’autres comme lui, ces colonies spatiales devraient être accessibles en fauteuil roulant et se conformer pleinement à la Loi sur les Américains handicapés. Cela semble bien, mais partir à la conquête de l’espace avec une personne en fauteuil roulant semble quelque peu incongrue. Supposons que je suis là, assis tranquillement, et que je tape un texte sur un ordinateur portable, je vous propose de bondir, de faire le poirier et de vous lancer dans une course de 10 000 mètres sur vos mains ? Ne serait-ce pas un peu invraisemblable ? Je pense que Hawking devrait s’accrocher à ses trous noirs. C’est un sujet pour lui : peu importe ce qu’il dit à propos d’eux, cela n’influera pas la vie sur terre, à moins qu’il ne dise « Et voici venir un, Capitaine ! »  Et même alors, s’il le dit avec sa voix mécanique, les gens vont se regarder et hocher la tête.

Mais supposons que nous trouvions une telle rhétorique inefficace suffisamment inspirante et que nous commencions à lever les fonds nécessaires. Combien de colonies spatiales allons-nous construire, et combien de personnes vont-elles abriter ? Plus important encore, quel genre de personnes seront-elles ? De toute évidence, pour recueillir suffisamment d’argent pour construire même quelques colonies spatiales capables de loger quelques centaines de personnes, il faudrait des milliards de dollars, et les seuls personnes avec ce genre de ressources à épargner sont les plus riches. Cela répond à la question de savoir qui habiterait ces colonies : les über-riches – les mêmes gens qui dépensent actuellement des millions pour le tourisme spatial.

Cela soulève une autre question : dans la phrase « conquête de la nature par l’homme », qui est cet « homme » ? Est-ce que je manifeste un biais sexiste ? Hélas non, la nature a été largement conquise, dans la mesure où elle a été conquise, par une certaine sous-espèce humaine, si vous voulez : des mâles blancs riches, beaucoup d’entre eux (jusqu’à récemment) venant des pays occidentaux. Certes, certaines femmes, des personnes de couleur et quiconque vous désirez nommer ont bénéficié de cette conquête de façon limitée, alors que beaucoup d’autres l’ont subie ou ont été menacés d’extinction. On s’attend à ce que tous ces autres groupes continuent à souffrir à mesure que la nature va reconquérir « l’homme », tandis que les conquérants de la nature susmentionnés tenteront de faire un dernier effort, peut-être même au point d’évacuer vers des colonies spatiales.

Mais je ne vois pas cela comme un développement particulièrement probable. Le problème avec les colonies spatiales, outre leurs coûts énormes et le manque de technologie éprouvée pour les construire et les lancer, c’est qu’elles doivent être construites sur Terre, par des ingénieurs et des techniciens terriens. Il n’y a pas d’installations ou de matériaux pour les construire dans l’espace. Toutes les fournitures et les pièces de rechange doivent être fabriquées et réapprovisionnées depuis la Terre. Une fois que la civilisation humaine ne sera plus là à la surface de la planète, que deviendront les colonies de l’espace ? Elles manqueront de nourriture, d’eau, d’oxygène, de pièces de rechange et de sang frais (la reproduction humaine dans l’espace doit encore être tentée).

En ce qui concerne la colonisation d’autres planètes, Venus sus-mentionnée n’est pas un candidat et ni Mars après une sobre réflexion. Il y fait trop froid, l’atmosphère est trop mince, la gravité trop faible et le rayonnement trop fort. Mars est un piège mortel. Il n’y a pas d’autres candidats. Jusqu’à présent, les faits me donnent raison : les riches paranoïaques n’investissent pas dans les colonies spatiales. Au lieu de cela, ils mettent beaucoup d’argent sur la table pour des bunkers souterrains et des abris dans des endroits éloignés. À partir de toutes les données disponibles, il semble qu’ils envisagent de faire leur dernier effort ici sur Terre, pas dans l’espace.

Si nous sommes tous bloqués ici sur Terre, notre planète d’habitation, sur laquelle nous évoluons de façon unique pour survivre, allons-nous disparaître avant le mercredi 1er janvier 2026, comme le prétend le Prof. McPherson ? Tout d’abord, cela est un impondérable : les gens victimes d’une extinction n’en sont pas conscients, et si personne n’est là pour observer que nous sommes éteints, comment pouvons-nous être sûrs que nous le sommes ? « Désolé, chéri, mais je suis vraiment éteint ce soir ! » n’a jamais été prononcé. En bref, si vous étiez la dernière personne sur terre, vous ne le sauriez pas, alors pourquoi voudriez-vous perdre du temps à y penser? Ne serait-il pas préférable de vivre dans le présent, et laisser votre film se terminer de lui même, car il le fera inévitablement?
Deuxièmement, je ne peux pas m’empêcher de penser que lorsque certaines personnes utilisent un mot en « e- » , ce dont ils parlent vraiment, c’est de l’extinction du récit de la « conquête de la nature » par l’homme selon la perspective de la classe moyenne occidentale éduquée et de l’échec idéologique et physique de tout ce milieu en même temps que sa disparition. Ceci, je vous le dit, est loin d’être impossible. En fait, si vous souhaitez choisir une date pour cet événement, le 1er janvier 2026 est une aussi bonne date que n’importe laquelle. Assurez-vous de vérifier ensuite et de comparer vos notes.

Mis à part les problèmes d’un certain milieu culturel menacé, je constate clairement que, une fois l’extravagance des combustibles fossiles terminée et que les systèmes de soutien à la vie qui dépendent des combustibles fossiles auront échoué, une vaste mortalité s’ensuivra. Un très grand nombre de personnes ne vont se disputer aucun combat. Après avoir été conditionnées toute leur vie à obéir aux autorités, pour être prises en charge en retour, elles se tiendront là avec patience ou impatience, en attendant l’aide et les instructions venant d’en haut, instructions qui ne viendront jamais.

Mais il y a beaucoup de gens autonomes et accoutumés à vivre près de la nature, et certains d’entre eux vont bien. Il y a aussi certaines personnes qui sont, par nature, proches de la nature sauvage, et elles vont prospérer. Avancez de quelques milliers d’années, et il y aura encore des humains autour de vous, non plus des conquérants de la nature, mais plus une curiosité mineure en son sein : des singes bipèdes nus qui bavardent. Ils ne vont plus conquérir grand chose, ayant déjà utilisé toutes les ressources naturelles non renouvelables sur lesquelles ils pourraient mettre la main pendant leur faible durée de vie de quelques millions d’années comme espèces de mammifères. Mais étant très adaptables et ingénieux, ils trouveront des moyens de survivre.

Ils vont chasser, pêcher, rassembler des fruits et des légumes sauvages, et manger des larves et des insectes s’ils le doivent. Ils vont occuper des journées entières et des mois à se raconter des histoires, à chanter des chansons, à élever des enfants et à passer de bons moments. Quelle chance ils auront, plus besoin de se raser, de se doucher ou d’utiliser des déodorants. Ils n’auront aucune conception de l’inviolabilité de la propriété privée ou de l’espace personnel, et auront tendance à être désinhibés et directs dans leur choix de partenaires sexuels. Donc peut-être que vous ne voudriez probablement pas les voir trainer autour de chez vous et vous pourriez peut-être penser à eux comme à des « sales hippies » ou même comme à des « brutes ». Mais ce n’est pas important. Il n’est pas non plus important qu’ils souhaitent que vous, vous viviez dans le coin : nous, les humains, avons peu d’utilité pour d’autres tribus humaines, à l’exception de quelques  raids et captures de fiancées. Ce qui est important, c’est : êtes-vous prêt à être conquis par la nature  ? Parce que vous devriez peut-être travailler là-dessus.

Dmitry Orlov

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie », c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
Les cinq stades de l'effondrement

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