Article original de Dmitry Orlov, publié le 4 juillet 2017 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Depuis un peu plus de quatre siècles, à partir des années 1600, le récit dominant en Occident a été « La conquête de la nature par l’homme ». De là, cette histoire s’est répandue dans le monde entier comme l’« Homme »
(dans le sens assez spécifique de divers gentlemen et de leurs
serviteurs) a vaincu tous ceux qui se tenaient devant lui. Et même
maintenant, alors que l’Occident entre dans sa sénescence, déchiré par
des conflits internes, défaillant démographiquement, débordé par les
migrants d’un large éventail d’États faillis et organisant des
catastrophes environnementales à l’échelle planétaire, cette croyance
inaltérable des victimes de l’éducation publique autour du monde
demeure : « Le but de la nature est de servir l’homme ».
Cette croyance est en contradiction avec la nature car il s’avère, dans
le schéma naturel des choses, que la fonction de l’homme est celle
d’être mangé et que seuls quelques chanceux pourront finir fossilisés
accidentellement. Ces jours-ci, beaucoup d’entre nous sont transformés
en cendres, pour économiser de l’espace – un processus de gaspillage,
biologiquement parlant – mais normalement, si on est enterré, notre
destinée est de nourrir les vers, les insectes et autres décomposeurs,
alors que si on tombe sur le sol même, des corbeaux, des vautours, des
rats et divers autres charognards ne seront que trop heureux de se
régaler de nous.
Mettez cela dans une perspective appropriée et en finir avec nous
n’est même pas une tâche si insurmontable. Tassé par un compacteur et
empilé en blocs d’un mètre cube, toute l’humanité pourrait entrer dans
un cube d’un peu moins d’un kilomètre de côté. Étalés uniformément sur
toute la surface de la Terre, nous formerions un film d’à peine un
micron d’épaisseur – indétectable sans équipement spécial et facilement
digéré par le biote
biologique de la planète. Comparez cela aux épais tapis microbiens qui
ont donné lieu à des dépôts de pétrole brut que nous brûlons
actuellement à une vitesse vertigineuse : l’homme moyen brûle huit fois
son poids corporel en pétrole brut chaque année.
C’est le pétrole brut, ainsi que le charbon, le gaz naturel et
l’uranium, qui multiplient notre puissance insignifiante à un point où
les résultats de notre activité deviennent visibles de l’espace
extra-atmosphérique sur de vastes étendues de la surface de la planète.
Si on prend les chiffres, il s’avère que le pétrole brut consommé nous
permet de multiplier notre énergie physique et endosomatique par environ
44 000 000. Ajoutez du charbon, du gaz naturel et de l’uranium, et vous
obtenez environ un facteur d’amplification de nos pouvoirs physiques
d’une centaine de milliers. C’est cela qui a permis la récente « conquête de la nature »
par l’homme. Sans les combustibles fossiles, la meilleure énergie
exosomatique que nous pouvons exploiter, c’est un équipage de deux
chevaux, bœufs, buffles d’eau ou ce que vous avez sous la main. Au
delà, cela devient difficile à gérer pour un seul humain. Les chevaux et
les autres grands ruminants multiplient notre pouvoir d’un facteur 15
ou plus. Mais déjà cela, si vous y pensez bien, c’est beaucoup.
On sait que l’amplification par cent mille de nos maigres pouvoirs
physiques grâce aux combustibles fossiles va diminuer avec le temps,
nous laissant avec quelques chevaux sur lesquels nous replier si nous
sommes chanceux. Passer d’un facteur cent mille à quinze va sûrement
être un choc pour certaines personnes, ce qui leur fait prétendre que
cela va sonner la fin de la civilisation humaine. D’autres affirment que
la civilisation humaine est condamnée parce que brûler environ la
moitié de tous les combustibles fossiles récupérables en seulement
quelques siècles a déstabilisé le climat. Comme si cela ne suffisait
pas, le Prof. Guy McPherson prédit hardiment que les humains vont s’éteindre avant le 1er
janvier 2026 (qui tombe un mercredi). Et à l’autre extrémité du spectre
des illuminés qui font des prédictions désastreuses, nous trouvons le
professeur Stephen Hawking.
En écoutant la radio, je l’ai récemment entendu proclamer, de sa voix
robotique vintage, que Trump décidant de quitter l’Accord de Paris sur
le changement climatique pourrait finir par faire ressembler la Terre à
Vénus, avec des champs de lave et des pluies d’acide sulfurique. Il a
dit que nous ferions mieux de commencer à réfléchir à construire des
colonies dans l’espace si nous voulons survivre.
Je suis profondément en désaccord avec tout ce qui précède. Pour
savoir où je me situe et, plus important encore, pour savoir où vous,
vous vous situez, commençons par examiner la suggestion de Hawking selon
laquelle la Terre peut finir par ressembler à Venus simplement en
brûlant des combustibles fossiles. Il y a très très longtemps la Terre
avait une atmosphère sans oxygène. À cette époque, elle était également
exempte d’animaux, car il n’y avait rien pour respirer, mais au fil du
temps, une flore importante est apparue, sous forme d’algues et d’amas
microbiens, qui ont photosynthétisé et photosynthétisé, et ont évolué en
divers types de plantes, qui ont continué à photosynthétiser jusqu’à ce
que l’atmosphère de la Terre soit remplie d’oxygène, tandis que le CO2
devenait une simple trace chimique.
Beaucoup de ces premiers organismes issus de la photosynthèse ont été
enterrés dans la croûte terrestre. Un petit pourcentage d’entre eux ont
été transformés en combustibles fossiles, les autres se décomposant ou
formant de vastes dépôts de matière organique diffuse économiquement
inutilisable. Un petit pourcentage de ces dépôts qui se sont révélés
technologiquement accessibles pour nous, nous ont permis de creuser, de
pomper et de brûler environ la moitié de ce pourcentage. A aucun moment,
la Terre n’a approché le climat de Vénus, pas même quand elle était
dépourvue de vie, ni lorsqu’elle était pleine de plantes
photosynthétisées primordiales qui étaient occupées à changer
l’atmosphère, de riche en CO2 à pauvre en CO2 et riche en oxygène. Il
est donc raisonnable de penser que l’atmosphère ne finira pas par
devenir comme celle de Vénus même si nous finissons de brûler tout le
carbone sur lequel nous pourrions mettre la main.
Cela dit, les changements climatiques sont très réels, et ceux qui
nient cette réalité appartiennent malheureusement au grand contingent de
personnes dont l’accomplissement personnel consiste à gêner sans cesse
des gens qui ne seront jamais comme eux. Nous allons faire face à de
nombreux siècles de changements climatiques profonds : les inondations
côtières, la désertification des terres agricoles, les glissements de
terrain et les inondations causées par les pluies torrentielles, plus
d’autres types de phénomènes météorologiques, de tremblements de terre
et de tsunamis déclenchés par la fonte glaciaire, etc. Physiquement
parlant, le changement climatique est tangible, mesurable, observable et
indéniable.
Mais le changement climatique d’un point de vue politique est un
canular. Les efforts politiques visant à lutter contre le changement
climatique en réduisant les émissions de carbone et en investissant dans
les « énergies renouvelables » ne sont utiles que pour
alimenter diverses formes de corruption : des projets d’une vanité
stupides comme ceux de Tesla et d’autres dont les véhicules électriques,
dans une comptabilité honnête, augmentent plutôt que ne réduisent les
émissions de carbone ; des moyens de gaspiller l’argent public pour des
parcs éoliens et des fermes de panneaux solaires qui deviendront
inutiles une fois que la fabrication d’équipements électriques
(fonctionnant grâce aux combustibles fossiles) qui entraîne la demande
d’électricité va baisser ; les biocarburants et divers types de non-sens
liés à la haute technologie. Un effort significatif pour conserver ce
qui reste du statut quo climatique impliquerait de réduire la
consommation de combustibles fossiles à zéro immédiatement, et aucun
politicien n’ira jamais proposer cela. Ainsi, l’idée que les politiciens
feront tout ce qui est utile pour lutter contre le changement
climatique est juste un rêve.
Ensuite, regardons la suggestion de Hawking selon laquelle nous
devons construire des colonies spatiales et évacuer la Terre. Pour
Hawking et d’autres comme lui, ces colonies spatiales devraient être
accessibles en fauteuil roulant et se conformer pleinement à la Loi sur
les Américains handicapés. Cela semble bien, mais partir à la conquête
de l’espace avec une personne en fauteuil roulant semble quelque peu
incongrue. Supposons que je suis là, assis tranquillement, et que je
tape un texte sur un ordinateur portable, je vous propose de bondir, de
faire le poirier et de vous lancer dans une course de 10 000 mètres sur
vos mains ? Ne serait-ce pas un peu invraisemblable ? Je pense que
Hawking devrait s’accrocher à ses trous noirs. C’est un sujet pour lui :
peu importe ce qu’il dit à propos d’eux, cela n’influera pas la vie sur
terre, à moins qu’il ne dise « Et voici venir un, Capitaine ! » Et même alors, s’il le dit avec sa voix mécanique, les gens vont se regarder et hocher la tête.
Mais supposons que nous trouvions une telle rhétorique inefficace
suffisamment inspirante et que nous commencions à lever les fonds
nécessaires. Combien de colonies spatiales allons-nous construire, et
combien de personnes vont-elles abriter ? Plus important encore, quel
genre de personnes seront-elles ? De toute évidence, pour recueillir
suffisamment d’argent pour construire même quelques colonies spatiales
capables de loger quelques centaines de personnes, il faudrait des
milliards de dollars, et les seuls personnes avec ce genre de ressources
à épargner sont les plus riches. Cela répond à la question de savoir
qui habiterait ces colonies : les über-riches – les mêmes gens qui dépensent actuellement des millions pour le tourisme spatial.
Cela soulève une autre question : dans la phrase « conquête de la nature par l’homme », qui est cet « homme » ?
Est-ce que je manifeste un biais sexiste ? Hélas non, la nature a été
largement conquise, dans la mesure où elle a été conquise, par une
certaine sous-espèce humaine, si vous voulez : des mâles blancs riches,
beaucoup d’entre eux (jusqu’à récemment) venant des pays occidentaux.
Certes, certaines femmes, des personnes de couleur et quiconque vous
désirez nommer ont bénéficié de cette conquête de façon limitée, alors
que beaucoup d’autres l’ont subie ou ont été menacés d’extinction. On
s’attend à ce que tous ces autres groupes continuent à souffrir à mesure
que la nature va reconquérir « l’homme », tandis que les
conquérants de la nature susmentionnés tenteront de faire un dernier
effort, peut-être même au point d’évacuer vers des colonies spatiales.
Mais je ne vois pas cela comme un développement particulièrement
probable. Le problème avec les colonies spatiales, outre leurs coûts
énormes et le manque de technologie éprouvée pour les construire et les
lancer, c’est qu’elles doivent être construites sur Terre, par des
ingénieurs et des techniciens terriens. Il n’y a pas d’installations ou
de matériaux pour les construire dans l’espace. Toutes les fournitures
et les pièces de rechange doivent être fabriquées et réapprovisionnées
depuis la Terre. Une fois que la civilisation humaine ne sera plus là à
la surface de la planète, que deviendront les colonies de l’espace ?
Elles manqueront de nourriture, d’eau, d’oxygène, de pièces de rechange
et de sang frais (la reproduction humaine dans l’espace doit encore être
tentée).
En ce qui concerne la colonisation d’autres planètes, Venus
sus-mentionnée n’est pas un candidat et ni Mars après une sobre
réflexion. Il y fait trop froid, l’atmosphère est trop mince, la gravité
trop faible et le rayonnement trop fort. Mars est un piège mortel. Il
n’y a pas d’autres candidats. Jusqu’à présent, les faits me donnent
raison : les riches paranoïaques n’investissent pas dans les colonies
spatiales. Au lieu de cela, ils mettent beaucoup d’argent sur la table
pour des bunkers souterrains et des abris dans des endroits éloignés. À
partir de toutes les données disponibles, il semble qu’ils envisagent de
faire leur dernier effort ici sur Terre, pas dans l’espace.
Si nous sommes tous bloqués ici sur Terre, notre planète
d’habitation, sur laquelle nous évoluons de façon unique pour survivre,
allons-nous disparaître avant le mercredi 1er janvier 2026,
comme le prétend le Prof. McPherson ? Tout d’abord, cela est un
impondérable : les gens victimes d’une extinction n’en sont pas
conscients, et si personne n’est là pour observer que nous sommes
éteints, comment pouvons-nous être sûrs que nous le sommes ? « Désolé, chéri, mais je suis vraiment éteint ce soir ! » n’a
jamais été prononcé. En bref, si vous étiez la dernière personne sur
terre, vous ne le sauriez pas, alors pourquoi voudriez-vous perdre du
temps à y penser? Ne serait-il pas préférable de vivre dans le présent,
et laisser votre film se terminer de lui même, car il le fera
inévitablement?
Deuxièmement, je ne peux pas m’empêcher de penser que lorsque certaines personnes utilisent un mot en « e- » , ce dont ils parlent vraiment, c’est de l’extinction du récit de la « conquête de la nature »
par l’homme selon la perspective de la classe moyenne occidentale
éduquée et de l’échec idéologique et physique de tout ce milieu en même
temps que sa disparition. Ceci, je vous le dit, est loin d’être
impossible. En fait, si vous souhaitez choisir une date pour cet
événement, le 1er janvier 2026 est une aussi bonne date que n’importe
laquelle. Assurez-vous de vérifier ensuite et de comparer vos notes.
Mis à part les problèmes d’un certain milieu culturel menacé, je
constate clairement que, une fois l’extravagance des combustibles
fossiles terminée et que les systèmes de soutien à la vie qui dépendent
des combustibles fossiles auront échoué, une vaste mortalité s’ensuivra.
Un très grand nombre de personnes ne vont se disputer aucun combat.
Après avoir été conditionnées toute leur vie à obéir aux autorités, pour
être prises en charge en retour, elles se tiendront là avec patience ou
impatience, en attendant l’aide et les instructions venant d’en
haut, instructions qui ne viendront jamais.
Mais il y a beaucoup de gens autonomes et accoutumés à vivre près de
la nature, et certains d’entre eux vont bien. Il y a aussi certaines
personnes qui sont, par nature, proches de la nature sauvage, et elles
vont prospérer. Avancez de quelques milliers d’années, et il y aura
encore des humains autour de vous, non plus des conquérants de la
nature, mais plus une curiosité mineure en son sein : des singes bipèdes
nus qui bavardent. Ils ne vont plus conquérir grand chose, ayant déjà
utilisé toutes les ressources naturelles non renouvelables sur
lesquelles ils pourraient mettre la main pendant leur faible durée de
vie de quelques millions d’années comme espèces de mammifères. Mais
étant très adaptables et ingénieux, ils trouveront des moyens de
survivre.
Ils vont chasser, pêcher, rassembler des fruits et des légumes
sauvages, et manger des larves et des insectes s’ils le doivent. Ils
vont occuper des journées entières et des mois à se raconter des
histoires, à chanter des chansons, à élever des enfants et à passer de
bons moments. Quelle chance ils auront, plus besoin de se raser, de se
doucher ou d’utiliser des déodorants. Ils n’auront aucune conception de
l’inviolabilité de la propriété privée ou de l’espace personnel, et
auront tendance à être désinhibés et directs dans leur choix de
partenaires sexuels. Donc peut-être que vous ne voudriez probablement
pas les voir trainer autour de chez vous et vous pourriez peut-être
penser à eux comme à des « sales hippies » ou même comme à des « brutes ». Mais ce n’est pas important. Il n’est pas non plus important qu’ils souhaitent que vous,
vous viviez dans le coin : nous, les humains, avons peu d’utilité pour
d’autres tribus humaines, à l’exception de quelques raids et captures
de fiancées. Ce qui est important, c’est : êtes-vous prêt à être conquis
par la nature ? Parce que vous devriez peut-être travailler là-dessus.
Dmitry Orlov
Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie », c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
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