jeudi 17 août 2017

Les narratives ne sont pas des vérités

Article original de James Howard Kunstler, publié le 31 Juillet 2017 sur le site kunstler.com
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr


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L’administration est un organisme social, bien sûr, ce qui signifie qu’elle est plus que la somme de ses parties, un corps politique, si vous voulez, de même que chacun d’entre nous est plus que son corps. C’est vivant comme nous sommes vivants. Nous avons des besoins. Nous avons des intentions au service de ces besoins. Ces intentions nous animent et nous lancent dans une direction ou une autre pour rester en vie, et même plus que cela, pour prospérer.


La politique américaine n’est pas prospère. Elle a progressivement failli à répondre à ses besoins depuis un bon moment maintenant, se jouant d’elle-même pour prétendre que tout allait bien alors que ses organes institutionnels et ses opérations économiques se dégradaient. L’Amérique tourne dans tous les sens de plus en plus désespérément, zigzaguant comme un ivrogne sur l’autoroute. Elle est saoule des mensonges proférés au service du petit jeu pour éviter de répondre à ses besoins réels. Les narratives ne sont pas des vérités.

Voici une question essentielle que nous pourrions nous poser : voulons-nous vivre dans une société saine ? Avons-nous envie de prospérer ? Dans l’affirmative, quelles sont les narratives qui nous empêchent de nous diriger dans cette direction ?

Commençons par les soins de santé, ainsi nommés, car l’incapacité à faire quelque chose au sujet du système désastreux actuel est d’actualité. Quelle est ici la narrative ? Que les « fournisseurs » (médecins et hôpitaux) peuvent faire équipe avec des opérateurs bancaires appelés « compagnies d’assurance » pour allouer équitablement des « services » à la plus grande partie de la population, avec un peu d’aide du gouvernement. Non, ce n’est pas vraiment comme cela que ça marche. Les trois « joueurs » s’engagent plutôt dans une massive entreprise de rackets. C’est-à-dire qu’ils extraient énormément d’argent du public qu’ils prétendent mettre au service de la population et ils le font deux fois : une fois par des frais exorbitants et de nouveau par des taxes payées pour subventionner l’atténuation des effets de l’escroquerie.

Le public a son propre récit, c’est-à-dire qu’il ne fait pas de lien entre ses problèmes médicaux et la façon dont il vit. Le fait est que les Américains mangent trop de nourriture toxique parce que c’est savoureux et amusant, et ils le font parce que les habitudes de vie qu’ils ont permis de manière complice dans ce pays leur offrent des récompenses dérisoires par ailleurs. Ils habitent dans des environnements moches et punitifs, passent trop de temps et gaspillent trop d’argent pour conduire des voitures seuls et ont fait beaucoup d’efforts pour démanteler les structures d’échanges sociaux communs qui permettent ce qu’on pourrait appeler une dimension humaine de la vie de tous les jours.
Ainsi, le racket médical a fini par peser près de 20% de l’économie, alors que le public devient de plus en plus gros, plus malade et plus déprimé et anxieux. Et il n’y a aucun signe que nous voulions en finir avec ce récit.

Un récit connexe : l’économie américaine « se rétablit » – supposément depuis une mystérieuse sortie de route qui l’a fait déraper en 2008. Non, ce n’est pas le cas. L’économie américaine est entrée dans un état de contraction permanente parce que nous ne pouvons pas nous permettre de payer l’énergie des combustibles fossiles qu’il faut pour continuer à développer nos activités techno-industrielles (et il n’y a pas de substituts adéquats plausibles pour les combustibles fossiles). Nous avons essayé de cacher cet état de choses en empruntant de l’argent sur l’avenir, en émettant des obligations pour « créer de l’argent », et maintenant nous avons atteint la fin de ce racket parce qu’il est clair que nous ne pouvons pas rembourser l’ancienne dette et avoir la perspective de « nous en sortir » avec l’émission de nouvelles créances liées à la dette. Récemment, nous avons émis de nouvelles dettes principalement pour rembourser l’ancienne, et toute personne de douze ans peut voir où cela mène.

La réalité veut que nous gérions la contraction de cette économie défaillante, et parce que c’est difficile et nécessite de changer des arrangements familiers et confortables, nous prétendons simplement pouvoir continuer à développer l’ancien système. Bien sûr, tous les contournements et les jeux augmentent seulement la fragilité du système et nous préparent à une sorte d’échec soudain qui pourrait littéralement détruire la société civilisée.

Un autre récit populaire du moment, une préoccupation dominante parmi les élites « éduquées » de nos jours, c’est que nous pouvons changer la nature humaine, en particulier la sexualité humaine et tous les comportements sociaux qui découlent des mammifères des deux sexes existants. Cet ensemble de récits est profondément lié à la mode et à la recherche de statut, le plus grand statut actuellement conféré à ceux qui optent pour être soit un sexe, soit l’autre, ainsi que les impératifs biologiques associés à l’un ou l’autre. Cela a été identifié par l’essayiste Hugo Salinas Price comme une forme de remise à jour du gnosticisme et est maintenant l’idéologie régnante officielle des campus universitaires. Certains l’appellent « marxisme culturel », mais c’est vraiment une forme de religion. Cela offre une distraction colorée face aux tâches adultes plus difficiles à gérer comme la contraction et la reconstruction de l’économie politique avec ses armatures sociales.

Ainsi, ces conditions pourraient nous inciter à poser une question plus générale : combien de temps, en tant que régime politique, voulons-nous prétendre que ces récits soient identiques à la vérité ? Comme je l’ai prétendu auparavant, je pense que la réalité elle-même doit forcer le problème en provoquant des circonstances si convaincantes qu’il ne sera plus possible de continuer à nous raconter les mêmes histoires anciennes. Et cette reconnaissance n’est plus si loin.

James Howard Kunstler


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