Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Supposons que vous ayez Napoléon Bonaparte et Jésus-Christ chez vous pour le thé. Napoléon parle de conquête du monde alors que Jésus-Christ le regarde songeur. Une fois que Napoléon finit par se taire, Jésus-Christ l’entretient alors longuement sur le vrai royaume, LUI, qui n’est pas dans ce monde, mais dans le prochain, et comment il n’aura pas de fin. Avec lequel d’entre eux, le cas échéant, devriez-vous être d’accord ? Ce sont des hommes puissants avec de grands egos. Tout faux pas de votre part peut aboutir à ce que vos précieuses tasses de thé personnalisées aux couleurs d’Alice aux Pays des merveilles, délicatement peintes à la main par les dames qualifiées de Stoke-on-Trent, dans le Staffordshire, se brisent en morceaux. Contestez l’un d’entre eux, et cela se retournera contre vous. Renforcez les revendications de l’un contre l’autre, et la situation va dégénérer. Tout un dilemme !
Voici quelques conseils utiles :
1. Ne croyez pas spontanément que vous avez affaire à un couple de schizophrènes. C’est un diagnostic plutôt technique, et vous devriez laisser cela à des spécialistes. Oui, ces deux personnages sont installés dans des récits qui ne ressemblent pas à la réalité consensuelle. Mais peut-être ont-ils commencé un jeu de rôle et ont ensuite été emportés. Finalement, leurs rôles sont liés à leurs egos fragiles et endommagés, et qui n’a pas un ego quelque peu endommagé par les temps qui courent ? Tenter de dénigrer leurs récits fictifs et de démolir leurs identités artificielles peut les pousser à éprouver des ruptures psychotiques, des explosions de violence ou des épisodes de dépression. Il vaut mieux simplement les laisser parler.
2. Être respectueux, montrer de l’intérêt et de l’empathie. Napoléon Bonaparte et Jésus-Christ sont comme deux moutons qui ont perdu leur chemin ; Peut-être que vous pouvez les aider à le retrouver. Tout d’abord, ils sont tous les deux des dramatis personae très intéressants. C’est vous qui les avez invités à prendre le thé, et c’est vous qui, tout simplement par protocole et politesse, devez maintenant les écouter. Vous devez (semblez le faire du moins) les prendre à leur propre mot. Les deux (ils le pensent) ont déjà beaucoup de pain sur la planche, et vous devriez avoir de l’empathie avec cela. Construire un empire mondial dans ce monde, ou un royaume éternel dans le prochain, sont à la fois des tâches intimidantes, épiques dans leur portée, et ils méritent donc votre émotion (feinte) et votre respect.
3. Apaisez les contradictions et les tensions diffuses. Napoléon peut avoir son empire mondial dans ce monde – car, après tout, quelqu’un doit faire le sale travail de gouverner cette planète indisciplinée et difficile. Et Jésus peut laisser ce monde entre les bonnes mains de Napoléon et se concentrer sur la construction de son royaume éternel dans le prochain, ce qui est aussi une tâche formidable. Pour ajouter au côté solennel, citez les Écritures : « Rendez à César ce qui est à César ; et à Dieu ce qui est à Dieu » (Matthieu 22:21). Napoléon se sentira flatté d’être comparé à César, Jésus va sans doute rougir d’être appelé « Dieu » et vous allez apparaître érudit et sage : une affaire gagnant-gagnant-gagnant.
4. Résistez à leurs efforts pour tenter de vous rallier à leur cause. Pour résister efficacement, vous devez avoir une stratégie pour rester imperméable à leurs exigences. La meilleure démarche est d’avoir une cause bien à vous, que vous ne pouvez pas ne pas poursuivre de manière monomaniaque. Elle peut être assez triviale par rapport aux leurs, et vous devriez être humble et admettre cela facilement. Mais puisque vous respectez leurs causes, vous êtes en droit de demander qu’ils respectent la vôtre en retour, même s’il s’agit de rendre votre prochain lot de concombres marinés encore plus croquants ou d’inventer un jeu de trapèze impliquant des chats spécialement formés à la maison. Préparez-vous à discuter sans fin de votre cause spéciale, en insistant énormément sur la répétition. S’ils suggèrent que vous êtes fou, acquiescez doucement avec eux, mais soulignez que cette sorte de folie est parfaitement inoffensive.
5. Restez sur vos gardes en tout temps pendant que ces deux là sont dans le coin. Qu’ils soient dans des jeux de rôles, des schizophrènes délirants ou à part entière, ils ne jouent pas franc jeu et vous ne ne devez pas leur faire confiance. Ne les laissez pas hors de votre vue et assurez-vous qu’ils sont introduits et raccompagnés par vous-même et ne sont pas autorisés à se promener seuls dans les locaux. Regardez leurs yeux et leurs mains et ne laissez aucun élément important ou cher à proximité. Ne leur faites aucune promesse. Soyez poli mais vague sans vous compromettre. Évidemment, ne leur faites pas confiance avec des clés, des commandes, des outils et, encore moins, de l’argent.
6. Gardez ces deux là, et ceux qui les aiment bien, loin des enfants. Les enfants ne comprennent que vaguement qu’il y a une différence entre ce qui est réel et ce qui semble l’être, et ils sont facilement convaincus de choses qui ne sont pas vraies, surtout par des adultes imposants et autonomes. Le fait que de nombreux types de faux semblants soient beaucoup plus attrayants (au moins pour un esprit immature) que la réalité souvent difficile les rend encore plus séduisants. Si ce n’est pas possible, n’oubliez pas d’expliquer aux enfants qu’il s’agit d’un jeu mais que ces gens stupides ne savent pas que c’en est un et que c’est donc un secret. Une fois le jeu terminé, assurez-vous qu’ils comprennent bien que c’est fini, et assurez-vous qu’ils savent ce qui est réel et ce qui est faux. Si les enfants sont sérieusement attrapés par le jeu, vous avez une certaine déprogrammation à faire. Pour ajouter un peu plus de solennité : « Quand j’étais enfant, j’ai parlé comme un enfant, j’ai compris comme un enfant, j’ai pensé comme un enfant : mais quand je suis devenu un homme, j’ai mis de côté les choses enfantines » (1 Corinthiens 11). Vous ne voulez certainement pas que vos enfants traversent la vie en voyant le monde « à travers un verre obscurci » (1 Corinthiens 13).
7. Réalisez que ces deux personnages ont le potentiel de causer des dégâts considérables ou d’être un gaspillage colossal des énergies et du temps de chacun, et veillez à limiter le temps et les ressources (ou de toute autre personne) qu’ils peuvent gaspiller avec leurs quêtes absurdes et sans fin. Cette Fête du thé complètement folle ne peut pas être sans fin : une fois que la théière est vide, c’est « Au revoir et Merci beaucoup d’être venus ». Essentiellement, vos interactions avec eux poursuivent l’objectif de les surveiller tout en leur offrant un traitement humain. Mais ils ne devraient pas être autorisés à s’entendre ou à vous dissuader ou à vous détourner d’aider ceux qui méritent également ou plus votre attention. Plus important encore, assurez-vous que leurs opinions et leurs efforts n’ont aucun effet néfaste sur la vie de votre communauté.
8. Gardez à l’esprit que les troubles qui nuisent à leur esprit peuvent être contagieux et qu’ils doivent être mis en quarantaine. Ce ne sont pas seulement les enfants qui préfèrent souvent un faux-semblant séduisant à une réalité beaucoup plus dure : les adultes les plus faibles et les plus influençables peuvent être séduits. Pour éviter une épidémie de pensées délirantes, il peut s’avérer nécessaire de consacrer beaucoup d’efforts à maintenir et à sauvegarder les limites de la réalité consensuelle basée sur les faits et à appliquer des normes d’adéquation mentale. La pensée délirante ne doit pas être acceptée comme un « désordre du spectre » où tout le monde est considéré comme un peu sénile et un peu délirant à un degré ou un autre, et est autorisé à faire circuler des « faits alternatifs » ou à injecter des hypothèses, des conjectures ou des insinuations à la place des faits. Plus précisément, tout soupçon d’une personne qui persiste dans l’illusion devrait automatiquement disqualifier celle-ci pour participer aux délibérations et à la prise de décision en groupe.
Quel est l’intérêt pratique de la discussion ci-dessus ? Par chance, je crois que les conseils décrits s’appliquent dans le domaine des relations internationales. Plus précisément, il existe actuellement un grand pays en particulier qui est particulièrement impliqué dans une illusion :
- Il croit être riche alors qu’il est en faillite.
- Il croit être prospère alors qu’il a dégénéré en une série de rackets.
- Il estime être militairement puissant même s’il n’a pas pris l’avantage dans un seul conflit militaire depuis plus d’un demi-siècle.
- Il croit être une « ville brillante sur une colline » même s’il est la nation la plus corrompue sur terre et ne peut servir d’exemple à personne.
- Il croit être démocratique pourtant son système est mité et contrôlé par l’argent, y compris de l’argent étranger, au lieu d’être contrôlé par les préférences et les votes de ses citoyens.
- Il croit être une nation souveraine malgré le contrôle de sa législature par une puissance étrangère, et plutôt petite d’ailleurs.
- Il croit être gouverné par la règle du droit alors qu’il l’est en réalité par l’argent, ce qui le rend très peu fiable et très inefficace, avec un système de justice pénale qui transforme les citoyens en esclaves.
- Il englobe des normes culturelles qui sont opposées à ce qui a été considéré comme normal dans l’histoire de l’humanité, déguisant la déviance sexuelle et toute sorte de vice en utilisant la rhétorique des droits de l’homme, attaquant le comportement vertical et la vertu traditionnelle comme formes d’oppression et incapable de voir que cela le rend abominable pour la grande majorité de la population mondiale.
- Enfin, il croit avoir le droit de dire à tous les autres ce qu’il faut faire malgré le fait que, compte tenu de tout ce qui précède, personne ne veut plus l’écouter.
Mais vous pourriez dire : « Alors, quoi ? Les pays et les empires grandissent et tombent, mais le monde continue de tourner de toute façon. Quelle différence cela ferait-il si les États-Unis traversent une crise mentale carabinée, s’effritent et ont cessé d’apparaître sur le radar de quiconque ? Les États-Unis ne représentent que le vingtième de la population mondiale et, pour la plupart des indicateurs, ce n’est même pas la meilleure partie (bien qu’elle soit la plus fortement armée, la plus fortement médicalisée avec des substances légales et illégales, et de loin la plus obèse). »
Je ne souhaite pas discuter de la déclaration ci-dessus. Ce que je veux faire, c’est résoudre un problème spécifique. Il y a un certain autre pays dont je me préoccupe, et il se trouve être au centre d’une hystérie de masse qui saisit actuellement les États-Unis. Ce pays, c’est la Russie. Après avoir lu et écouté les analyses offertes par les experts de la politique étrangère en Russie, j’en suis arrivé à la conclusion qu’ils ont une tendance indésirable à prendre les messages et les déclarations officielles qui arrivent des États-Unis à leur valeur nominale. Ceci, je crois, est une erreur très grave. Les personnes déclarées non compos mentis ne peuvent être parties prenantes dans des négociations de bonne foi ; ni les pays malades mentaux.
Il y a beaucoup de raisons qui expliquent la tendance russe à considérer les États-Unis comme ce qu’ils ont été autrefois plutôt que ce qu’ils sont devenus depuis. L’une des raisons, historiquement, est que la Russie a considéré les États-Unis comme un adversaire sérieux et un grand nombre de Russes ont construit leur carrière en les voyant de cette façon. S’il s’avère soudain que les États-Unis sont une mauvaise blague, ils perdraient indubitablement la face. Une autre raison est que la relation contradictoire avec les États-Unis a donné l’impulsion à la Russie pour pratiquer une certaine discipline personnelle dans ce qui a trait à la gestion de ses affaires intérieures. Mais s’il s’avère que les États-Unis doivent maintenant n’être plus dignes que de pitié au lieu d’être craints et combattus becs et ongles, cette impulsion serait perdue.
Ces raisons sont en quelque sorte légitimes. Mais il y a un danger derrière la tendance russe à continuer à prendre les États-Unis au sérieux. Considérez ce qui se passe si quelqu’un prend les désirs d’un schizophrène à leur valeur nominale et commence à agir en fonction de cela : le schizophrène se sent légitimé et habilité et devient encore plus dangereux, il peut provoquer des conflits mineurs en spirale et devenir hors de contrôle. Une meilleure stratégie pour y faire face est ce qui est indiqué ci-dessus : écoutez-les, plaisantez avec eux, détournez leur attention, gardez-les à l’œil, si besoin contraignez-les, mais surtout, ignorez-les et poursuivez la tâche que vous avez à accomplir. J’espère que les experts et les spécialistes de Moscou en prendront note.
Si la Russie continue à prendre les États-Unis au sérieux, cela menace à la fois les États-Unis et la Russie. Alors que l’élite dirigeante aux États-Unis convulse dans son agonie, il est primordial de considérer ses mots et ses actions pour ce qu’ils sont – les discernements et les frappes aléatoires de fous – plutôt que des provocations de bonne foi. Il est d’une importance vitale de les empêcher de tenter le « suicide par les armes nucléaires russes » [Allusion au suicide par policier, NdT], mais il devrait leur être permis de divaguer et de vitupérer.
Bien que le refus de prendre les États-Unis au sérieux soit une première étape nécessaire, le fait de ne pas les prendre au sérieux n’est guère mieux, car il est contraire à l’éthique d’utiliser les malades mentaux comme un divertissement. Au lieu de cela, un certain nombre de spécialistes devraient être affectés à la tâche d’observer de manière décontractée les États-Unis à une distance sûre et de communiquer avec eux sur la base d’un protocole psychiatrique approuvé. Au-delà, les États-Unis devraient tout simplement être mis sous camisole de force et en quarantaine – politiquement, économiquement et, surtout, culturellement. Les États-Unis représentent encore une menace formidable – une menace pour la santé mentale – et continueront à l’être dans un avenir prévisible, car il n’y a pas de limite pratique ou théorique à la durée ou à la gravité de leur état.
Dmitry Orlov
Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie », c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire