dimanche 7 avril 2019

Le vrai taux de retour énergétique du pétrole brut

Article original de Ugo Bardi, publié le 5 mars 2019 sur le site CassandraLegacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr


… est plus petit que vous ne l’auriez imaginé.

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Une étude simple mais importante de Luciano Celi montre quel est le taux de retour énergétique réel que les compagnies pétrolières parviennent à atteindre. Beaucoup plus petit que vous ne l’auriez imaginé. Dans plusieurs cas, il est aujourd’hui bien en dessous de 10. Ce qui signifie que les énergies renouvelables produisent déjà un TRE plus important que le pétrole et le gaz. Plus d’excuses pour ne pas passer aussi vite que possible aux énergies renouvelables, et nous devons le faire vite car, comme le montre Celi, nous sommes au bord de la falaise de l’énergie nette des combustibles fossiles.




Par Luciano Celi

Les chercheurs impliqués dans le secteur de l’énergie savent très bien ce qu’est le TRE et avec quelle fréquence il est cité dans les publications scientifiques, malgré les différences de définition entre les chercheurs.

Conscient du fait que je suis arrivé le dernier au milieu d’un conflit qui engage les chercheurs depuis des décennies, j’ai relevé le défi et essayé de comprendre, avec Claudio Della Volpe, Luca Pardi et Stefano Siboni, s’il y avait un moyen de découvrir ce qui est difficile à trouver : le TRE des compagnies pétrolières.

La méthode que nous avons mise en œuvre est assez simple, même si elle comporte une simplification utile dont nous avons discuté en détail dans notre document.

Le dénominateur de la valeur du TRE est l’énergie investie, tandis que le numérateur est le rendement énergétique (la quantité d’énergie gagnée par rapport à l’investissement). Connaissant le numérateur, c’est assez simple (on parle de compagnies pétrolières) car cette valeur correspond à la production d’un jour (ou d’une année). Dans différents cas, il s’agissait de connaître la valeur du coût énergétique de cette production. Il est difficile de savoir combien d’énergie elles utilisent pour leur production annuelle (ou journalière), assis dans un bureau sans errer dans le monde en frappant aux portes des entreprises. Cependant … nous avons trouvé un moyen indirect d’avoir ces données.

Les compagnies pétrolières sont priées d’établir chaque année un rapport sur le développement durable (RS). Même si ce n’est pas obligatoire, de nombreuses entreprises ont accepté de les préparer probablement sous la pression de l’opinion publique et/ou de la branche d’activité appelée RSE (Responsabilité sociale des entreprises), surtout après les alertes lancées lors des dernières conférences mondiales sur le climat.

Dans ces rapports, il est possible de trouver les émissions de leurs activités en amont et en aval exprimées en équivalent CO2. C’est une bonne nouvelle car nous pouvons essayer de faire une expérience mentale : brûler tout le pétrole produit par une entreprise et le convertir en équivalent CO2, avec un simple rapport Stœchiométrique. De cette façon, nous avons la valeur équivalente en CO2 de la production (numérateur) et la valeur équivalente en CO2 des émissions (dénominateur).

Comme nous l’avons déjà mentionné, il s’agit d’une approximation – tout d’abord, nous avons de nombreux types de mazout, de plus la production de pétrole comprend presque toujours un quota de gaz naturel qui a une composition différente (principalement du méthane) et un PCS (pouvoir calorifique supérieur) différent du pétrole – mais nous avons corrigé notre estimation en prenant en compte ces variables. L’aspect intéressant de la question est que les données sont au-dessus des critiques parce qu’elles proviennent directement des rapports des compagnies pétrolières (Soutenabilité, annuel, commercial, etc.).

Le choix des entreprises

J’ai concentré mon activité de recherche sur l’année 2015 et j’ai examiné les entreprises ayant les revenus les plus élevés au monde. J’ai trouvé cette liste (sur worldatlas.com ou Wikipedia : ces deux sources – la seconde reprend les données de la précédente – sont mises à jour jusqu’en 2017) et j’ai choisi de faire un tri pour ne garder que celles ayant une part de marché supérieure à 1%. Selon ce critère, les entreprises sélectionnées sont au nombre de 30 :
# Société En milliards de dollars Part de marché en %
1. Saudi Aramco 478,00 8,31 34,77
2. Sinopec 455,50 7,92
3. China National Petroleum Co. 428,62 7,45
4. PetroChina 367,98 6,40
5. Exxon Mobil 268,90 4,68
6. Royal Dutch Shell 265,00 4,61
7. Kuwait Petroleum Corporation 251,94 4,38
8. BP 222,80 3,88
9. Total SA 212,00 3,69
10. Lukoil 144,17 2,51
11. Eni 131,82 2,29
12. Valero Energy 130,84 2,28
13. Petrobras 130,00 2,26
14. Chevron Corporation 129,90 2,26
15. PDVSA 128,44 2,23
16. Pemex 117,50 2,04
17. National Iranian Oil 110,00 1,91
18. Gazprom 106,30 1,85
19. Petronas 100,74 1,75
20. China National Offshore Oil 98,53 1,71
21. Marathon Petroleum 97,81 1,70
22. PTT 93,55 1,63
23. Rosneft 91,72 1,60
24. JX Holdings 90,67 1,58
25. Engie 89,64 1,56
26. Statoil 82,48 1,43
27. Indian Oil Corporation 81,55 1,42
28. Sonatrach 76,10 1,32
29. Reliance Industries 73,10 1,27
30.  Pertamina 70,65 1,23

Autres 623,27 10,84 <1%

Montant total 5 749,52 100,00

En italique, on trouve le montant total de la part de marché des cinq premières entreprises : cette valeur est assez élevée si l’on considère que les trente premières entreprises représentent près de 90% de la part de marché, et que les seules 16,6% d’entre elles détiennent 34,7% de part de marché.

Les valeurs de TRE

En appliquant la méthode brièvement décrite ci-dessus, les valeurs estimées de du TRE sont représentées dans le graphique ci-dessous :



Si l’on considère que la contribution totale du pétrole et du gaz à la demande mondiale d’énergie primaire en 2016 représentait 57,41 % du total (comme le montre le graphique ci-dessous), la moyenne pondérée du TRE est plutôt faible. Pourquoi n’y a-t-il rien qui se passe ?

L’explication se trouve dans la relation entre TRE et Énergie Nette.


L’énergie nette et la falaise de Sénèque

L’énergie nette est définie comme suit :

Énergie nette (EN) = énergie rendue (ER) – investissement énergétique.

Si nous divisons tous les termes pour la seule quantité ER, le résultat est :
EN/ER = 1-(1/TRE)

et, dans l’hypothèse où ER est toujours égal à 100, la valeur EN peut être exprimée en pourcentage.

Donc, l’équation est :

EN(%) = [1-(1/TRE)]*100.

Si nous faisons un graphique EN/TRE (EN/EROI en anglais), le résultat est le suivant :



La société industrielle connaît un déclin de l’énergie nette, et non de son TRE. Comme le montre le graphique ci-dessus, il existe une forte relation non linéaire entre l’énergie nette et le TRE. Pour une longue plage de valeurs de TRE, disons de 100 à 10, l’énergie nette diminue très lentement. Actuellement, bien que la baisse de TRE soit assez claire, l’énergie nette est encore bien au-dessus de 90%. La société se sent en sécurité. Le problème est que nous marchons le long d’une falaise et qu’il est de plus en plus urgent de faire une transition énergétique, avant de se retrouver finalement dans l’abîme.

Ugo Bardi

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