lundi 18 mai 2020

Tant qu’il y a de la vie …

Article original de James Howard Kunstler, publié le 4 mai 2020 sur le site kunstler.com
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr


Big Fat Lady – Titre original
Le printemps éclot maintenant avec une énergie féroce qui ne peut que rappeler aux masses maussades séquestrées que la vie continue sans elles. Tous les êtres vivants sont occupés à faire-des-choses ici et là, sauf les pauvres humains, désœuvrés sans travail ni but. Cela ne durera pas longtemps. Les gens ne se soumettent pas automatiquement à la zombification parce que des bureaucrates minables leur remettent des chèques de 1 200 dollars. Ils aspirent à s’épanouir comme tout le reste sur cette planète vivante. Et s’ils ne peuvent pas le faire de la bonne manière, eh bien…



La méga-machine que nous avons construite pour faire fonctionner cette société a coulé une bielle. La machine est cassée, peu importe la quantité de carburant que les mécaniciens injectent. On soupçonne que quelqu’un a peut-être coupé le carburant avec du sucre. De toute façon, la machine est devenue trop grosse et trop complexe, avec trop d’accessoires étrangers d’alerte, lumineuse ou auditive, et avec beaucoup trop de contrôles informatisés intégrés, si bien que les mécaniciens ont à peine remarqué qu’elle partait en quenouille – ils étaient trop occupés à faire la fête. Pour le moment, cette grosse machine est en train de se consumer, en fumant, dans un fossé. Les passagers étourdis et ensanglantés se rendent compte que la chevauchée est terminée, et qu’ils doivent maintenant marcher pour se rendre quelque part, n’importe où, loin de ce misérable fossé et de l’épave qui s’y trouve. Le beau temps printanier est leur seule consolation.

Nous voici donc à un moment délicat de la crise convergente du virus corona et du système économique en déliquescence qu’il a infecté, avec toutes ses terribles conditions de co-morbidité préexistantes. Bien sûr, ce n’est pas le soi-disant capitalisme qui échoue, mais les perversions du capitalisme, à commencer par l’appendice du terme gênant : isme. Ce n’est pas une religion, ni même une pseudo-religion comme le zoroastrisme ou le communisme. C’est simplement le système d’extraction des excédents de richesse au profit d’une minorité [Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’a pas forgé ses dogmes, comme une religion, NdT]. Dans une société hyper-complexe, l’accaparement des richesses doit apparaître hyper-complexe aussi, avec des opportunités réelles de tentations, de chicanerie, de tricherie, de fraude et d’escroquerie – les perversions du capital. Il est dans l’intérêt des profiteurs de dissimuler toute cette perversité hyper-complexe dans un jargon opaque, pour qu’elle paraisse acceptable.

Combien d’Américains ordinaires ont une idée de ce que sont les Municipal Liquidity Facilities, Primary Dealer Credit Facilities, Primary and Secondary Market Corporate Credit Facilities, Money Market Mutual Fund Liquidity Facilities, Main Street New Loan Facilities and Expanded Loan Facilities, Commercial Paper Funding Facilities, Main Street New Loan Facilities, Expanded Loan Facilities, Commercial Paper Funding Facilities, swap de devises, et encore, jusque là ce sont des vrais mots, mais que représentent les TALF les TARP, les PPP, les SPV – sinon le transfert, par simple appui sur des touches, de « l’argent » d’un monde souterrain à un autre, tous deux commodément situés à Wall Street, aux frais des citoyens « déplorables », car non élitaires en général, et au grand dam de la progéniture des enfants, et des enfants de leurs enfants ?

Le capital réel est fondé sur la production de choses réelles ayant une valeur réelle, bien sûr, et lorsqu’il est détaché de tout cela, il ne s’agit plus de capital réel.

L’argent représente le capital, et quand le capital n’est pas réel, l’argent représente quoi au juste ? Eh bien, justement … rien ! Et il cesse d’être de l’argent réel. En ce moment même, l’Amérique ne produit presque rien d’autre que de l’argent, de l’argent en telle quantité que l’imagination reste sidérée – des milliers de milliards ici, là et partout, infini, comme des années lumières. Le problème, c’est que l’argent disparaît, face à la réalité, aussi vite qu’il est créé, [comme l’anti-matière, NdT]. C’est parce qu’il est basé sur des promesses de remboursement qui ne seront jamais tenues, en plus des promesses antérieures de remboursement, qui, elles-mêmes, déjà, n’ont jamais été tenues. Le résultat net est que l’argent disparaît en fait plus vite qu’il ne peut être créé, même en grande quantité.

Tout cela ressemble à des conneries métaphysiques, je suppose, mais il est évident que nous assistons à la disparition de l’argent. Votre chèque de paie a disparu. L’activité que vous avez lancée – un café-brasserie, un gymnase, une agence de publicité – ne produit plus de revenus. Le département des ressources humaines de la grande entreprise pour laquelle vous travaillez vous a dit : ne vous donnez pas la peine de venir au bureau demain, et même peut-être plus jamais. Vos factures s’accumulent. Votre compte en banque est à zéro ou moins. Cela ressemble vraiment à de l’argent qui disparaît. Attendez-vous à ce que les chèques de pension et les cartes SNAP [Tickets de nourriture, Food Stamp, NdT] ne trouvent plus, mystérieusement, le chemin de votre boîte aux lettres.

Il va y avoir beaucoup de grabuge. Les Américains ordinaires vont être super énervés si l’argent ne disparaît pas aussi des marchés boursiers. Ils ont vu ce film avant. Ils savent avec certitude qu’ils ont été floués, que la classe des gens qui détiennent la plupart des actions sont dans une forme éblouissante, alors que tout le monde regarde dans le monstrueux trou de l’abîme qui les appelle. Je ne voudrais pas être près des Hamptons [lieu de villégiature huppé de la haute société, NdT] ce jour fatidique.

Tout cela parce que nous ne pouvons tout simplement pas faire face à la tâche de réorganiser notre économie domestique pour l’adapter aux nouvelles circonstances. La nature le fera donc pour nous. La nature nous fournira un trou noir merveilleusement efficace où nous pourrons facilement vider notre faux argent pour ne plus jamais le revoir. La nature fera éclater nos institutions géantes, nos sociétés géantes, nos réseaux géants d’obligations financières. Et après une période de confusion et de désordre social, certains humains intelligents se regrouperont en réseaux plus petits et réorganiseront leurs activités à une échelle plus réduite, qui soutiendra mieux des relations véritablement saines entre la production de choses réputées utiles et l’argent qui représente ces choses.

La beauté du printemps est sublime et, comme l’a fait remarquer Edmund Burke, c’est cette même beauté qui plonge nos pensées dans la douleur et la terreur.

Too much magic : L'Amérique désenchantée 

James Howard Kunstler

Pour lui, les choses sont claires, le monde actuel se termine et un nouveau arrive. Il ne dépend que de nous de le construire ou de le subir mais il faut d’abord faire notre deuil de ces pensées magiques qui font monter les statistiques jusqu’au ciel.

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