Article original de Dmitry Orlov, publié le 7 mars 2017 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Le 26 janvier 2017, le Bulletin de la Commission des
sciences et de la sécurité des scientifiques atomiques a avancé son
Horloge du Jugement dernier, 30 secondes plus près du minuit
métaphorique, et elle est maintenant à seulement 2,5 minutes de minuit. Pourquoi le Conseil a-t-il décidé de faire ce changement? Essentiellement, « parce que Donald Trump ».
Dans d’autres informations, le Conseil a également observé que, bien
que l’accord de Paris sur le climat soit une bonne chose, le climat est
assez proche de minuit aussi.
Ce sont des gens très sérieux : bien formés, des
professionnels, des lauréats de prix Nobel, en un mot, des experts. Nous
devrions faire confiance à leur parole. Mais eux, ils font confiance à
la parole de Donald Trump ! Apparemment, aucun d’entre eux n’est expert
en Donald Trump. Je ne prétends pas l’être non plus, donc pour le
paragraphe qui suit, permettez-moi de m’en remettre à mon vieil ami et
expert attitré sur toutes les choses concernant Trump, le Capitaine Obvious.
Si vous regardez la manière de Trump de faire des affaires, il a
toujours été très prudent et peu adepte du risque. Si vous regardez ses
manœuvres politiques et si vous feuilletez son livre, L’art de conclure une affaire,
vous allez découvrir que sa technique de négociation consiste toujours à
faire une première offre extrême, puis à faire des compromis. Et si
vous regardez son flux Twitter, vous découvrirez qu’il aime troller les
gens. Ces savants atomiques respectés ont-ils été trollés? Il semblerait
que oui…
Ainsi, je reste assez peu impressionné par l’hypothèse indémontrable
faite par les experts atomiques, que la bouche de Trump est capable de
faire bouger l’aiguille minuscule de l’horloge du jugement dernier. Mais
je suis encore moins impressionné par quelque chose d’autre : l’échec
total et absolu de ces experts du nucléaire pour comprendre ce qu’est la
menace nucléaire réelle, qui est, à ce moment, extrême. Pour cela, ils
peuvent peut-être être pardonnés ; si tout ce qu’ils font, c’est de lire
et d’écouter les médias occidentaux, alors ils ne trouveront jamais
rien à ce sujet. Les sources de renseignements occidentales ne sont pas
meilleures, car elles semblent avoir été « piratées par les Russes ».
En fait, il semblerait que la seule façon de se faire une idée de ce
qui se passe réellement… c’est d’accorder une attention aux Russes
eux-mêmes. Voici quelques liens :
http://vz.ru/opinions/2017/3/3/860454.html
https://jpgazeta.ru/ukrainskiy-mirnyiy-atom-priglashenie-na-mirotvorcheskuyu-operatsiyu/
http://ren.tv/novosti/2017-03-05/neadekvatno-i-nevozmozhno-vtoroy-energoblok-krupneyshey-aes-ukrainy-otklyuchili
https://riafan.ru/645355-pogruzhenie-vo-tmu-chto-oznachaet-goryachii-ostanov-bloka-2-zaporozhskoi-aes
Oui, c’est tout en russe, et non, GoogleTranslate n’est pas votre
ami, il n’y a pas de substitut pour esquiver au moins six semestres de
russe.
Mais ici,
vous pouvez trouver une bonne mise à jour en français de la situation
générale en Ukraine. Malheureusement, l’auteur ignore la dimension du
risque nucléaire. Le Saker
est bon, mais il y a un gros morceau de l’image qui manque, alors s’il
vous plaît, lisez son article mais je vais y ajouter des détails assez
importants.
Tout d’abord, posons un peu le cadre. L’Ukraine a hérité d’un secteur
de l’énergie très impressionnant de l’URSS, qui comprenait 15 réacteurs
nucléaires, d’énormes installations hydroélectriques et une grande
capacité de production thermique, utilisant le gaz naturel et le
charbon. À l’exception de trois réacteurs nucléaires qui ont été
ravitaillés par Westinghouse (avec des résultats mitigés, leurs barres
de combustible tendent à se déformer et à se bloquer, désactivant le
réacteur), tout le combustible nucléaire de l’Ukraine provient d’un seul
fournisseur, en Russie. Tout le gaz naturel de l’Ukraine provient
également de la Russie, mais comme les politiciens ukrainiens ne veulent
pas travailler avec la Russie pour des raisons nationalistes, le gaz
russe arrive maintenant en Ukraine depuis l’Ouest, mais à un coût plus
élevé. En outre, il n’y en a pas assez. Les centrales thermiques à
charbon de l’Ukraine ont été conçues pour brûler le charbon ukrainien,
en particulier l’anthracite, qui provient spécifiquement de la région du
Donbass, maintenant sous contrôle séparatiste.
Si on creuse encore, on peut commencer à comprendre quelle est la
nature du risque réel. La demande en électricité fluctue d’heure en
heure et de jour en jour. La demande d’électricité maximale, c’est le
matin et le soir, avec une demande plus élevée en semaine que pendant la
nuit ou le week-end. Les centrales nucléaires, hydroélectriques,
alimentées au charbon et au gaz diffèrent, dans la mesure où elles
peuvent compenser les variations de la demande d’électricité en
augmentant et en diminuant leur production. L’hydroélectricité est de
loin la plus souple, car les vannes peuvent être ouvertes et fermées en
quelques minutes, ce qui coupe les turbines. Le gaz l’est également,
suivi du charbon. Le nucléaire est la source la moins flexible, parce
que le combustible nucléaire produit de la chaleur en se décomposant le
long d’une chaîne de désintégration qui se compose de nombreux isotopes
radioactifs se dissociant à des taux différents – certains rapides,
certains lents – conférant au système entier une énorme inertie. À moins
qu’un réacteur nucléaire ne soit activé ou arrêté assez lentement, la
production d’énergie ne sera pas directement proportionnelle à la
commande. Si l’opérateur est négligent, il est possible de provoquer une
fusion, comme cela s’est produit en Ukraine, à Tchernobyl, en avril
1986.
Depuis le renversement du gouvernement ukrainien au printemps 2014,
l’économie ukrainienne, qui n’a pas bien fonctionné depuis l’éclatement
de l’URSS, est tombée en panne, avec un recul annuel du PIB à deux
chiffres, la transformant en un pays de réfugiés et de pauvres. Jusqu’à
maintenant, l’Ukraine possédait une capacité industrielle très
impressionnante, qu’elle avait héritée de l’URSS et qui était attachée à
l’industrie russe par une multitude de relations d’affaires. Quand en
2014, les nationalistes ukrainiens ont pris le pouvoir, ils ont commencé
à travailler dur pour couper ces liens, et une grande partie de ces
industrie ont été fermées. C’étaient ces industries, travaillant en
équipes 24 heures sur 24, qui produisaient la charge de base de la
demande électrique que les centrales nucléaires fournissaient si bien.
Avec la baisse spectaculaire de l’activité industrielle, la charge de
base a été beaucoup réduite. Les importations de gaz naturel étant
restreintes, en raison de l’incapacité des Ukrainiens à négocier un
rabais avec les Russes ou à payer le plein prix du gaz dont ils ont
besoin, leur capacité de manœuvre à l’aide des centrales au gaz a été
beaucoup réduite. Et avec la guerre civile en Ukraine orientale, les
fournitures de charbon ont aussi été réduites.
Et voici le coup de grâce. Un petit groupe armé de nationalistes
ukrainiens a décidé de bloquer le Donbass et de faire un coup politique.
Même si l’armée ukrainienne aurait dû se débarrasser de ce groupe non
autorisé, l’état de décadence politique est si profond que rien n’a été
fait, ni même dit à ce sujet. En réponse, les autorités séparatistes du
Donbass ont annoncé un contre-blocage et n’exportent plus de charbon
vers l’Ukraine. Elles l’exporteront vers la Russie.
Gardez à l’esprit que les usines ukrainiennes utilisant du charbon
n’ont pas besoin de charbon mais d’anthracite, et le seul endroit où
elles pourraient éventuellement s’en procurer, c’est le Donbass. Tout
d’abord, il n’y a pas tant de sources d’anthracite que cela de par le
monde, mais même si l’Ukraine pouvait trouver un moyen de brûler les
couches inférieures – la lignite et le charbon bitumineux –, elle n’a
pas les ports pour recevoir ces importations. Rappelez-vous, toute la
capacité industrielle ukrainienne fait partie de l’héritage soviétique,
et les planificateurs centraux soviétiques ne prévoyaient aucune
importation de charbon.
Il en résulte que l’énergie nucléaire est désormais responsable de
60% de la production d’électricité en Ukraine, tandis que la production
de charbon et de gaz a chuté de 39%. Ce que cela implique, c’est que les
réacteurs nucléaires sont sur des cycles d’arrêt / redémarrage
journalier, une prescription pour la catastrophe. Cette situation
s’accompagne de la montée en flèche des tarifs de l’électricité et de
pannes de courant généralisées. Ce n’est pas une situation propice à la
stabilité sociale, dans un pays qui est déjà un État défaillant, dépassé
par des gangs de voyous errants, lourdement armés. Les nationalistes
farouchement nationalistes – comme ceux qui ont bloqué le Donbass –
peuvent très bien décider de bloquer les livraisons de combustible
nucléaire russe. Et alors quoi ?
Même avant cela, la montée en puissance incessante des 15 réacteurs
nucléaires de l’Ukraine entraînera tôt ou tard des pannes et peut-être
même des effondrements. Comment un État défaillant, en proie au
sentiment séparatiste (non seulement dans le Donbass, mais aussi à
Marioupol, Odessa, Kharkov et d’autres régions), est-il censé agir, face
aux calamités nucléaires au milieu des pannes de courant généralisées ?
Certaines voix en Russie proclament que pour éviter de multiples
catastrophes nucléaires au cœur de l’Europe, il est essentiel de prendre
les installations nucléaires de l’Ukraine sous contrôle international.
Les seuls qui peuvent effectivement le faire sont des forces spéciales
russes (comme celles qui se sont frottées récemment à ISIS à Palmyre).
Face à la perspective de 14 Tchernobyls à sa porte, l’Union européenne
est peu susceptible de s’y opposer. Bien sûr, cela mettra fin à
l’expérience ukrainienne d’indépendance la plus récente, et jusqu’à
présent la plus longue, et marquera la fin de l’Ukraine comme une entité
nationale soi-disant souveraine.
Je pense donc que c’est la plus grande menace nucléaire à laquelle
est confrontée l’humanité. Contrairement à ces experts en chambre
hyper-ventilés aux tweets de Trump, qui ont déterminé qu’on est
maintenant précisément 3,5 minutes avant minuit, je ne vais pas fixer de
délai. Je ne recommande pas non plus de rester debout et de regarder ce
qui reste de l’Ukraine dégénérer en Somalie ou en Libye, avec 15
Fukushimas.
Dmitry Orlov
Liens
Andrew Korybko : 19/10/2017 : Préparez-vous à un nouveau Tchernobyl en Ukraine
Note du traducteur
Dmitry a rendu payants ses articles en anglais et nous fait la gentillesse de nous permettre de les traduire pour vous, intégralement. N'hésitez pas à approfondir ses analyses croisées de l'URSS et des USA en matière de collapsologie.
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