Article original de François-Xavier Chevallerau, publié le 6 Mars 2017 sur le site Cassandra Legacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Un rapport sur le problème mondial de l’épuisement du pétrole publié il y a plusieurs années par une obscure association d’ingénieurs-conseils anonymes et de gestionnaires de projets professionnels est soudainement soumis à de fortes critiques.
Note de Ugo Bardi
Il s'agit d'un article de François-Xavier Chevallerau, un spécialiste des politiques publiques basé à Bruxelles qui est en train de mettre en place un nouveau think tank international pour soutenir l'émergence et la promotion de l'économie biophysique dans le débat public et la conversation politique. Ici, il commente le « Hill's Report » qui a également été discuté dans un précédent post sur mon blog.
En décembre 2013, une « association d’ingénieurs-conseils et de gestionnaires de projet professionnels » appelée The Hill’s Group a publié un rapport intitulé « Épuisement : un facteur déterminant pour les réserves mondiales de pétrole. » L’épuisement, comme on le sait, est la conséquence inévitable de l’extraction des ressources non renouvelables, et la détermination de la façon dont cet épuisement affectera la production pétrolière a été l’un des principaux objectifs des analystes et des chercheurs en énergie depuis longtemps.
On est généralement tenté d’arriver à une estimation des réserves de pétrole extractibles restantes en ajoutant la quantité de pétrole qu’on croit présente dans chaque champ, méthode sujette à erreurs et qui reste imprécise. L’étude du Hill’s Group a proposé un modèle alternatif d’extraction et d’épuisement du pétrole, enraciné dans la thermodynamique – c’est-à-dire la branche des sciences physiques qui traite des relations entre toutes les formes d’énergie. Ce modèle, appelé ETP (Energy Total Production ), serait dérivé des propriétés physiques fondamentales du pétrole, des première et deuxième lois de la thermodynamique et de l’histoire de la production du pétrole.
La méthodologie utilisée par le Hill’s Group est basée sur une « analyse exergétique ». Exergie en thermodynamique signifie « la quantité maximale de travail qui peut être extraite d’un système ». Le système considéré, dans ce cas, est une unité de pétrole. L’étude du Hill’s Group calcule la quantité maximale de travail qui peut être extraite d’une unité de pétrole, en utilisant les propriétés physiques du pétrole brut en question, les équations dérivées des études de la première et de la deuxième lois de la thermodynamique et l’historique cumulatif de production de pétrole. Elle utilise alors ces valeurs pour construire un modèle mathématique qui, selon elle, peut prédire l’état des réserves pétrolières mondiales avec une marge d’erreur beaucoup plus faible que celle qui peut être fournie par l’approche de mesure de la quantité.
Selon des estimations optimistes, la réserve mondiale de pétrole est de 4 300 milliards de barils. Sur cette quantité, le modèle proposé par The Hill’s Group prévoit qu’il ne sera possible d’extraire que 1 760,5 milliards de barils, soit 40,9% de la réserve totale. Son modèle suggère que la capacité des industries pétrolières à fournir l’énergie nécessaire pour maintenir son propre processus de production est en baisse, que l’épuisement du pétrole est plus avancé que ce qui est généralement supposé et que la production pétrolière va diminuer ou même s’effondrer beaucoup plus vite que prévu.
À partir de son modèle ETP, The Hill’s Group en déduit également une courbe de coût du pétrole qui, selon lui, cartographie le prix du pétrole depuis 1960 avec un coefficient de corrélation de 0,965, ce qui en fait le modèle de tarification pétrolière le plus précis jamais développé. Il indique également que le prix du pétrole dépend, en plus des coûts de production, du montant que le consommateur final peut se permettre de payer pour cela, et déduit de son modèle ETP une courbe du prix à la consommation maximum représentant le prix maximal que le consommateur final peut payer au fil du temps pour ce pétrole. Cette étude est basée sur l’observation que le prix d’une unité de pétrole ne peut pas dépasser la valeur de l’activité économique que l’énergie qu’elle fournit au consommateur final peut générer.
Selon The Hill’s Group, son modèle montre que l’année 2012 a été celle où on a atteint la moitié énergétique de la production pétrolière, c’est-à-dire l’année où la moitié du contenu énergétique du pétrole extrait est devenu nécessaire pour produire le pétrole et ses produits dérivés. Dès lors, le prix du pétrole ne peut plus être que tiré vers le bas le long de la courbe descendante du prix de la consommation maximum, qui, selon lui, sera réduit à 11,76 $ le baril en 2020. À ce moment-là, le pétrole n’agira plus comme une importante source d’énergie pour l’économie, et sa seule fonction sera celle de support énergétique pour d’autres sources. En d’autres termes, l’industrie pétrolière telle que nous la connaissons se désintègre, avec une myriade de conséquences négatives pour l’économie mondiale.
Le rapport original du groupe Hill’s a été publié il y a plus de trois ans et une deuxième version a été publiée en mars 2015. Elle a gagné une popularité considérable et a été favorablement commentée sur de nombreux blogs et sites Web. Tout cela semble toutefois avoir changé, et le modèle du groupe ETP de Hill’s Group fait maintenant l’objet de fortes critiques de diverses sources :
SK, professeur émérite au département de génie mécanique et aéronautique d’une université américaine majeure, a livré une forte critique du modèle d’extraction de pétrole ETP sur peakoilbarrel.com. Le fait que The Hill’s Group a déclaré qu’un seuil pour les marchés pétroliers a été passé en 2012 et que les prix du pétrole tendraient à baisser peu après semble donner au rapport une crédibilité superficielle. Mais selon SK, l’analyse thermodynamique est incorrecte et donc tous les calculs et les graphiques basés sur cette analyse pourraient également être peu fiables.
Le physicien espagnol Antonio Turiel a publié sur son site web une analyse des bases théoriques du modèle ETP (en espagnol). « Appliquer les principes de la thermodynamique pour évaluer les limites de la capacité du pétrole à fournir de l’énergie nette à la société a du sens, dit-il, à condition que ce soit fait de manière appropriée ». Le modèle ETP, cependant, est selon lui basé sur une utilisation incorrecte de la théorie de la thermodynamique, fait des déductions erronées, pose des définitions qui n’ont pas de sens du point de vue de la physique, fait un traitement des données déficient, et ignore les interactions entre la production pétrolière et l’économie. On peut aussi le dire pour d’autres sources d’énergie. Compte tenu de ces lacunes importantes, le modèle de l’ETP ne peut être utilisé pour une discussion sérieuse sur l’épuisement du pétrole, du moins jusqu’à ce qu’il soit fondamentalement révisé et reconstruit.
Un autre physicien espagnol, Carlos de Castro de l’Université de Valladolid, a également publié une critique cinglante du rapport du Hill’s Group (en espagnol). « Les fondements physiques, technologiques et économiques du rapport sont erronés », dit-il. Le Hill’s Group se concentre en fait sur la perte d’énergie thermique impliquée dans le processus d’extraction du pétrole (le pétrole se déplaçant d’un réservoir à haute température vers l’extérieur à température ambiante) qui, dit-il, n’a rien à voir avec le coût énergétique du processus d’approvisionnement en pétrole des sociétés humaines. « Ce qui importe pour la société, dit-il, n’est pas l’énergie thermique du pétrole mais son énergie chimique. – même si cette énergie chimique peut alors être utilisée pour générer de la chaleur. Le modèle ETP, conclut-il, n’est pas un modèle adéquat pour évaluer l’énergie nette dérivée de l’extraction pétrolière et de son évolution. »
Le Prof. Ugo Bardi de l’Université de Florence a également ciblé les travaux du Hill’s group dans un billet récent sur son blog. « Le rapport du Hill’s Group, dit-il, est très vicié. S’il est vrai que l’industrie pétrolière est en difficulté, les calculs du Hill’s group sont, au mieux, sans pertinence et probablement simplement faux. Le problème de la diminution des rendements énergétiques de la production pétrolière est réel, dit Bardi, mais la manière de l’étudier est basée sur l’analyse du cycle de vie (ACV) du processus. Cette méthode prend en compte l’entropie indirectement, en termes de pertes de chaleur, sans tenter la tâche impossible de la calculer à partir des principes thermodynamiques des manuels scolaires. Grâce à cette méthode, nous pouvons comprendre que la production de pétrole fournit toujours un rendement énergétique sur investissement (EROI) raisonnable. Il est de toute façon erroné, dit Bardi, de tirer des conclusions sur l’économie à partir de l’analyse énergétique nette. L’économie est un système adaptatif complexe qui évolue d’une manière qui ne peut être comprise en termes de simples considérations de rendement énergétique. »
Cette controverse entourant le rapport du Hill’s group révèle quelques vérités incommodes que la communauté du « pic pétrolier » doit maintenant affronter. Le travail du Groupe a été largement adopté et diffusé dans cette communauté, sans aucun examen critique ou alors limité. Il a en effet une aura de précision scientifique qui vient de son utilisation des principes thermodynamiques de base et du concept d’entropie, correctement compris comme la force derrière le problème d’épuisement. Mais derrière la terminologie thermodynamique, elle propose une série d’hypothèses, pas toujours explicites, et de calculs mathématiques complexes que personne jusqu’à récemment n’avait apparemment pris le temps de réviser. Comme l’a souligné Antonio Turiel, les travaux du Hill’s Group n’auraient probablement pas passé un processus approprié d’examen par les pairs dans sa forme actuelle.
Pourtant, le rapport a été largement accepté et commenté dans la communauté du « pic pétrolier ». Selon Ugo Bardi, cet épisode montre qu’« un rapport qui prétend être basé sur la thermodynamique et utilise des mots retentissants tels que ‘entropie’ joue avec la tendance humaine de croire ce qu’on veut croire ». Comme beaucoup de gens de la communauté du « pic pétrolier » veulent croire à l’effondrement et à la catastrophe imminente, des travaux comme ce rapport du Hill’s Group sont perçus comme fournissant une base scientifique sérieuse au catastrophisme et sont donc largement acceptés. Si la base scientifique est révélée ne pas être aussi solide que l’on pensait initialement, comme cela semble être le cas pour le travail du Hill’s Group, son appropriation et sa diffusion ne peuvent que nuire à la communauté du peak oil et miner sa crédibilité.
Les chercheurs et les analystes de l’énergie devraient être particulièrement prudents et vigilants lorsqu’ils utilisent le concept d’entropie. Comme l’a souligné Ugo Bardi, « l’entropie est un concept important, mais il doit être correctement compris pour être utile. Il n’est pas bon de l’utiliser comme excuse pour diffuser un catastrophisme effréné ». Le problème étant, bien sûr, que l’entropie ne peut pas être correctement comprise si facilement. Comme le célèbre scientifique John von Neumann (1903-1957) l’a conseillé un collègue : « Vous devriez l’appeler entropie (…) personne ne sait vraiment ce qu’est vraiment l’entropie, donc dans un débat, vous aurez toujours l’avantage. »
François-Xavier Chevallerau
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