Article original de Dmitry Orlov, publié le 24 Mai 2016 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
A peine avais-je publié mon article la semaine dernière, sur
le besoin urgent de taux d’intérêt négatifs, que ces embouchés de la
Réserve fédérale commençaient à psalmodier à l’unisson sur la nécessité
de normaliser les taux. Normal, pensez vous, signifie un taux
d’intérêt positif, pas négatif à l’opposé de ce que j’avais
facétieusement recommandé. Pour citer l’inimitable Lee Camp, «cela signifie donc, si je parle simplement de quelque chose, que c’est annulé ?»
Il faisait allusion au sondage à la sortie des urnes des primaires
démocrates, qui a été annulé dès qu’ils ont souligné la très grande
différence entre les sondages de sortie et les résultats officiels,
prouvant que les machines de vote sont piratées pour favoriser Hillary
Clinton. Par gentillesse pour ceux d’entre vous un peu lents à la
détente, cela signifie ceci : si vous votez dans la primaire démocrate,
et que vous votez pour Bernie Sanders, alors félicitations, vous avez
simplement voté pour Hillary ! Et vous ne saurez jamais la vérité parce
que l’appareil du parti démocrate est si merveilleusement opaque.
J’aurais pu dire corrompu au lieu de opaque, mais opaque sonne plus poétique.
Un peu plus tôt, moins d’une semaine après avoir publié mon petit doodle humoristique sur la nécessité des NIRP (pour ceux d’entre vous en session de rattrapage, c’est la politique de taux d’intérêt négatif, alias argent gratuit),
la Fed a commencé à menacer de relever les taux, mais pas avant juin.
Maintenant, la Fed est une autre institution américaine qui est
merveilleusement – euh… – opaque, et dont nous ne savons pas vraiment
comment elle fonctionne. Mais imaginons que c’est un peu comme ce dément
Tea Party sorti des aventures d’Alice au pays des merveilles, dont Janet Yellen, la présidente de la Réserve fédérale, serait la souris dormeurse.
La semaine dernière, quelqu’un de ce parti, le Chapelier Fou ou le
Lièvre de Mars, nous ne le saurons jamais, a éclaboussé Janet Yellen de
thé tiède,
jusqu’au
museau, la sortant brièvement de sa léthargie pour dire que oui, sur la
base de son indice économique personnel – qui permet de suivre le
nombre de fois où elle a été arrosée de thé tiède divisé par le nombre
de fois où elle s’est coincé la tête dans une théière – il est temps de
relever les taux.
Et avant que vous ne feigniez de prendre ombrage de ma représentation
tendancieuse des procédures insondables de la Fed, laissez-moi vous
dire que je suis totalement d’accord avec vous.
Alors, pourquoi pensez-vous que cela soit arrivé ? La semaine
dernière, j’ai jeté un défi à mes lecteurs, leur demandant de me dire
pourquoi le NIRP était une mauvaise idée : donc si vous pouvez imaginer
une raison particulièrement bonne (ou deux ou trois) qui vous feraient
penser que le NIRP pour toujours va faire effondrer tout le château de cartes financier, nous laissant sans rien, alors parlez.
Et nous n’avons rien entendu. Alors laissez-moi vous le dire. Cette
analyse a été faite par de nombreuses personnes d’un peu partout, mais
je me souviens spécifiquement de Mike Rupert l’écrivant, puis le disant et le répétant suffisamment de fois pour me permettre de m’en souvenir. Le
système financier actuel repose sur trois piliers : la promesse d’une
croissance infinie, l’intérêt composé et le système bancaire de réserve
fractionnaire. Maintenant, nous allons voir ce qui se passe
pour chacun de ces piliers dans un environnement NIRP, en gardant à
l’esprit qu’il suffit que l’un de ces piliers cède pour que l’ensemble
du château de cartes financier dégringole sans rien nous laisser.
1. Le paradigme de la croissance infinie. Une longue
période de contraction économique provoque la dévaluation des actifs
financiers. Les actifs financiers sont des créances sur la consommation
future d’énergie. Il a déjà été souvent dit qu’ils sont des
revendications sur le travail futur, mais si votre esclave énergétique
manque de gaz et que vous devez revenir à l’usage de la machette, alors
votre travail pourrait tout aussi bien devenir gratuit. Et donc
au moment où on découvre qu’il n’y aura plus de croissance, c’est quand
tout le monde se rend compte que ces affirmations sur l’activité
productive future pourraient ne pas être confirmées, c’est alors que les
actifs financiers vont perdre de leur valeur.
Il semblerait que la croissance économique ne soit plus possible, en
raison de tous les problèmes avec les combustibles fossiles. Maintenant,
je me rends compte que, dernièrement, beaucoup de gens ont dit que le
pic du pétrole n’est plus d’actualité, mais, pour le dire aussi poliment
que possible, ils sont fous, et vous pouvez leur dire que j’ai dit ça.
Ils sont comme les autres imbéciles qui se mettent à crier que le
réchauffement planétaire est terminé à chaque fois qu’il y a un coup de
froid.
Tout d’abord, la production mondiale de pétrole conventionnel a
atteint un sommet en 2006 et n’a cessé de décliner depuis lors, de
quelque chose comme 5% par an. Les sources non conventionnelles de
pétrole (pétrole de schiste, sables bitumineux, offshore profond) ont
été utilisées pour combler le gouffre béant entre l’offre et la demande,
mais il y a un problème majeur avec ces sources : elles sont si chères
que cela provoque la faillite des consommateurs d’énergie, avec pour
corollaire la destruction de la demande, et lorsque cela arrive, elles
deviennent tellement peu chères que cela provoque la faillite des
compagnies d’énergie et détruit leurs infrastructures, le processus
pouvant se répéter. J’ai expliqué ce problème l’an dernier dans cet article.
Deuxièmement, les réserves mondiales de pétrole ont été surestimées d’environ 50%. Voici la citation pertinente : «Pour
parler sans ambages, l’affirmation courante selon laquelle le monde a
des réserves prouvées de pétrole conventionnel de près de 1 700
milliards de barils, est surestimée d’environ 875 milliards de barils.
Ainsi, malgré la baisse des prix du pétrole brut à partir d’un nouveau
pic en juin 2014, après celle de juillet 2008, la question du pic pétrolier reste entière.»
Troisièmement, dans tout le remue-ménage sur les sources d’énergie
alternatives, nous semblons avoir perdu de vue le fait qu’elles sont une
perte nette d’énergie. Si vous regardez le cycle de vie du vent et des
installations solaires à grande échelle, y compris toute l’énergie des
combustibles fossiles qui va dans l’exploration, l’exploitation minière,
le transport, le raffinage, la fabrication, la recherche, l’éducation,
les relations publiques, le lobbying, la conception, la formation,
l’installation, la maintenance, le support technique et finalement le
démantèlement et l’élimination sécurisée des parcs éoliens et des
centrales solaires, ils se révèlent être un moyen de déplacer une grande
quantité d’énergie sous forme de combustibles fossiles avec l’aide d’un
peu de vent et de lumière. J’aime le vent à petite échelle et les
installations solaires comme technologie de transition pour générer un
peu d’électricité hors réseau (ce qui est encore possible pendant qu’il y
a une infrastructure pour fournir des pièces de rechange), mais c’est
anecdotique, et cela ne va pas changer le tableau global de manière
significative.
Maintenant, il y a l’idée dans l’air que vous pouvez stimuler la
croissance économique en abaissant les taux d’intérêt. Si vous saignez
la population productive un peu moins, en détournant un peu moins de
leurs revenus vers les parasites financiers, alors ils vont dépenser cet
argent, augmentant la demande, ce qui conduira à plus de production, et
revoilà la croissance ! Cela fonctionne parce que les prêteurs
apportent des fonds aux gens pour se faire de l’argent [un peu plus tard, NdT].
Mais si vous prêtez de l’argent à un taux d’intérêt négatif, alors vous
perdez de l’argent sur votre mise de fonds, admettant implicitement que
l’activité économique productive ne paie plus. Et si vous forcez les
investisseurs à perdre de l’argent, alors ils feront tout ce qu’ils
peuvent pour en perdre le moins possible, en ne l’investissant pas dans
des activités productives (oubliez les !). Il vont plutôt l’investir
dans des choses susceptibles de garder leur valeur parce qu’elles sont
naturellement rares, comme l’or, l’argent ou des terres, afin de se
retrouver avec quelque chose de précieux une fois que l’argent aura
disparu.
2. L’intérêt composé. Il permet à ceux qui
commencent avec le plus d’argent, de rester à jamais devant tout le
monde, tout en ne faisant rien d’autre que déplacer simplement de
l’argent d’ici à là. Mais ce n’est possible que si le taux d’intérêt est
positif. Un taux d’intérêt négatif fait exactement le contraire : il
fait fondre la thésaurisation de l’argent détenu par les parasites
financiers, qui diminue au fil du temps. Pour éviter cela, ils sont
obligés de jouer, d’extorquer, ou tout simplement de voler. Comme il
devient impossible d’obtenir son bifteck de la manière habituelle, ils
ont recours à des systèmes de plus en plus désespérés et destructeurs,
afin d’essayer de maintenir leur monopole sur l’argent.
3. Le système bancaire de réserve fractionnaire.
C’est une technique qui permet aux banques de créer de l’argent à partir
de quasiment rien. Le plan initial permet aux banques de recevoir des
dépôts, de leur payer un taux d’intérêt et de prêter ce même argent [pas tout à fait vrai, NdT]
à un taux d’intérêt légèrement supérieur, empochant la différence en
tant que revenu. Le plan légèrement modifié a permis aux banques de
prêter beaucoup plus que ce qu’elles reçoivent en dépôt, ne maintenant
qu’une réserve en cas d’accident. Avec le temps, les dépôts en
sont venus à être assurés par le gouvernement, les banques ont appris à
compter sur le gouvernement pour les renflouer en cas d’accident, et la
relation entre les dépôts et les prêts est devenue ténue. Mais le
pouvoir que le système de réserve fractionnaire a donné aux banques, a
été énorme : les banques ont redéfini ce qu’est l’argent.
L’apparition du NIRP invalide tout ce système. Sous le NIRP, les
banques vous facturent un taux d’intérêt négatif pour garder votre
argent, puis vous le prêtent à un taux légèrement moins négatif,
empochant la différence en tant que revenu. Jusqu’ici tout va bien, mais
au fil du temps les dépôts rétrécissent, comme les prêts, jusqu’à ce
qu’il n’y ait plus d’argent et plus de banques. Non seulement cela, mais
quel genre de fou garderait son argent en dépôt à un taux d’intérêt
négatif ? Pourquoi ne pas l’utiliser pour acheter quelque chose qui ne
va pas perdre de sa valeur, car c’est une matière naturellement rare,
telle que l’or, l’argent ou la terre ? Et si vous pouvez obtenir un prêt
à un taux d’intérêt négatif, pourquoi ne voudriez-vous pas faire la
même chose et utiliser cet argent pour acheter de l’or, de l’argent ou
de la terre ? Le résultat final est que les banques perdent leur
capacité à définir ce qu’est l’argent, car il revient spontanément à ce
qu’il était au départ : de l’or, de l’argent et de la terre.
Comprenez-vous maintenant pourquoi l’idée même de NIRP suffit à faire
monter un flux de thé tiède jusqu’au museau somnolent de Janet Yellen ?
La Réserve fédérale contrôle le dollar des États-Unis, qui est la
devise principale de toute la planète. Et si sa valeur retourne à l’or, l’argent et la terre,
alors… il va falloir lui jeter une autre tasse de thé jusqu’à ce
qu’elle se réveille ! C’est une urgence ! Le dollar adossé à l’or a été
déclaré impraticable en 1971 ; c’est bien plus qu’impraticable maintenant.
Le fait que le NIRP soit actuellement en cours de mise en place au
Japon et en Europe est un point crucial. Le Japon est en train de mourir
et, dans un style typiquement japonais, on assiste à un seppuku
financier au ralenti. L’UE est en train de mourir aussi, et les
États-Unis aident ce processus, pensant que si l’UE meurt d’abord, les
États-Unis vivront une journée supplémentaire. Si perturber le commerce
avec la Russie ne fonctionne pas, alors nous allons militariser certains
pays d’Europe de l’Est. Et si cela ne fait pas couler l’UE assez vite,
nous allons militariser ISIS et laisser ses combattants envahir l’UE
déguisés en réfugiés. La fameuse phrase de Victoria Nuland «Fuck the EU !»
n’est pas seulement d’elle ; ce même message résonne à travers les
salles du pouvoir à Washington. Et donc, adieu le Japon et l’UE, les
larbins de l’Amérique, désolé, je voulais dire les partenaires. Mais
nous, ici, allons maintenant augmenter les taux d’intérêt…
… Ou pas. Il y a une très bonne raison pour laquelle la Fed a été
contrainte de baisser les taux d’intérêt de façon constante depuis des
décennies, de faire tout ce chemin vers zéro : c’est la seule façon de
garder le château de cartes de la maison financière américaine hors de
l’eau. Si elle essaye de relever les taux, le résultat sera la plus
Grande Dépression jamais vue : l’insolvabilité des États et du
gouvernement fédéral, les faillites et les fermetures d’entreprises, les
licenciements massifs, une stagnation économique, des troubles sociaux
et un flot de ressortissants étrangers (sans lesquels les États-Unis ne
peuvent plus fonctionner du tout) rentrant à la maison en hâte.
Mais si quelques-uns d’entre nous réalisent à l’avance que c’est ce
qui va se passer, alors peut-être que nous pourrions essayer de faire
quelque chose de nouveau et de différent. Voyez-vous, l’ensemble du
système financier n’est pas matériel, c’est juste du logiciel. C’est
juste un système d’exploitation, et ce n’est pas le seul disponible.
Lorsque vous avez découvert que certains ordinateurs anciens ne
fonctionnaient plus sous Windows 2000, il n’y a pas eu besoin de les
jeter ; vous avez simplement abandonné Microsoft, installé Linux et
continué à les utiliser. Il y a encore un problème : Windows a été conçu
pour être utilisé par des idiots, alors que Linux a été conçu par des
gens très intelligents pour être utilisé par d’autres gens intelligents.
Mais est-ce vraiment un problème ? Nous savons que l’avenir est à une
économie nettement plus petite. Il peut ne pas y avoir assez de gens
intelligents pour faire fonctionner une grande économie, mais il en y a
probablement assez pour faire fonctionner une plus petite économie dans
un état stable, qui fonctionne strictement dans des limites
environnementales et énergétiques réalistes.
Il reste encore quelque chose de bon à dire sur l’effondrement
financier. C’est comme une bombe à neutrons qui tue les gens, mais
laisse debout les bâtiments. Sauf qu’un effondrement financier, c’est
encore mieux qu’une bombe à neutrons, car il extermine spécifiquement
les parasites financiers. Et donc un épisode rapide d’effondrement
financier, bien avant que les techniciens ne se précipitent pour
installer le nouveau système d’exploitation, pourrait être très utile.
Dmitry Orlov
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