Article original de Dmitry Orlov, publié le 20 Octobre 2015 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Partie I, Partie II, Partie III
Dans les parties précédentes de cette série, nous avons
commencé à gratter de loin un très vaste sujet : à quoi ressemblerait
une stratégie efficace pour amener le changement social rapide
nécessaire et éviter les pires ravages d’un changement climatique
catastrophique. Ce changement doit introduire des technologies proches de la nature qui ramèneraient la techno-sphère à un équilibre avec la biosphère.
Pour
être efficace, cette stratégie doit compter sur la technologie, mais
pas dans le sens habituel de gadgets ou de colifichets de fantaisie,
dont les exemples suivants me viennent à l’esprit :
• Smartphones et autres gadgets. (Les stupid people ne savent plus comment vivre sans eux.)
• Les éoliennes qui utilisent beaucoup de charbon et de diesel pour être
construites et entretenues, qui virent les oiseaux migrateurs du ciel
et produisent de l’énergie sous une forme qui ne peut pas être stockée
efficacement.
• Les majestueux voiliers qui transportent le chocolat, le café et le
vin du commerce équitable pour ravir les gourmets efféminés dans les
pays du premier monde.
Non non non ! La technologie en question est une technologie
politique, conçue pour surmonter la force impressionnante de l’inertie
sociale et provoquer la mise en mouvement de la société dans une
direction vers laquelle elle ne veut d’abord pas bouger.
La technologie politique offre les moyens de :
1. Changer les règles du jeu entre les participants au processus politique
2. Introduire dans la conscience de masse de nouveaux concepts, des valeurs, des opinions et des convictions
3. Manipuler directement le comportement humain à travers les médias de masse et les méthodes administratives
Comme le terme technologie politique est nouveau pour la
plupart des lecteurs, nous allons faire un détour afin de le mettre en
contexte. Pour rappel, les technologies politiques peuvent être
utilisées pour poursuivre les objectifs suivants :
1. Améliorer le bien-être de tout le monde par la poursuite du bien
commun de toute la société, tel qu’il est compris par ses membres les
plus instruits, les plus dignes et responsables, les plus intelligents.
Les technologies politiques de ce genre provoquent un cercle vertueux,
se fondant sur les succès précédents pour renforcer la cohésion sociale
et la solidarité et préparant la mise place de grandes réalisations. (Ce
sont les bonnes politiques).
2. Enrichir, augmenter la puissance et protéger les intérêts
particuliers au détriment du reste de la société. Ces types de
technologies politiques ne réussissent pas à cause de contradictions
internes, ou entraînent un cercle vicieux dans lequel ceux qui en
bénéficient visent des niveaux toujours plus élevés de comportement
égoïste au détriment du reste, préparant le terrain à de mauvais
résultats sociaux, à la stagnation économique, à la violence de masse et
pour finir à une guerre civile et à la désintégration politique. (Ce
sont les mauvaises politiques.)
Hélas, la plupart des lecteurs n’ont eu aucune exposition aux
technologies politiques de la première espèce, aussi les deux derniers
articles de cette série ont expliqué à quoi ressemble ce deuxième type,
en prenant le cas des États-Unis comme exemple. Dans la Partie II,
j’explore la façon dont elles sont utilisées pour manipuler et
contraindre la population aux États-Unis. Il y a de nombreux exemples,
mais celui qui est le plus pertinent pour cette série est celui-ci :
Promoteur : Le lobby des combustibles fossiles.
Objectif : Convaincre la population américaine qu’un catastrophique changement climatique anthropique ne se produit pas.
Moyens : Campagnes de diffamation contre les
scientifiques du climat, injection de fausse science, dénigrement de la
science dans son ensemble, caricature du mouvement pour arrêter le
changement climatique catastrophique comme une conspiration, etc.
Ce seul exemple suffit à illustrer à quel point une technologie
politique peut être efficace : nous connaissons tous beaucoup de ses
victimes. Même les gens très intelligents épousent souvent l’opinion que
le changement climatique observé est le produit de la variabilité
naturelle (il ne l’est pas) ou que les efforts visant à atténuer les
changements climatiques sont une conspiration d’un gouvernement mondial
(qui n’existe pas). Cela montre clairement l’efficacité des technologies
politiques : elles peuvent déformer l’esprit tant des gens idiots que
des plus intelligents. Mais elles peuvent également être utilisées pour
défaire ce qui a déjà été fait. Malheureusement, aucun des exemples de
technologies politiques utilisées aux USA n’a eu pour but la poursuite
du bien commun. En ce qui concerne ce qui se passe pour la politique aux
États-Unis, il est préférable d’éviter d’y regarder jusqu’à ce que les
braises refroidissent car vous vous brûleriez les yeux pour rien.
Ensuite, dans la Partie III,
nous avons fouillé dans les méthodes utilisées par les États-Unis pour
saper la souveraineté des pays à travers le monde, car pour le cas, en
réponse, le reste du monde a évolué avec succès en utilisant ses propres
technologies politiques, et il est en train de neutraliser les
États-Unis sur la scène mondiale. Nous allons les étudier dans le
prochain article de cette série. Cette réponse immunitaire globale à
l’agression américaine, qui a pu opérer pratiquement sans opposition
pendant des années entre l’effondrement de l’URSS, dévastant plusieurs
pays à travers le monde, et le récent échec de l’effort pour détruire la
Syrie, est significative : pour travailler dans le sens du bien commun,
il faut d’abord arrêter ce fléau.
Mais avant d’aller trop loin, regardons où nous allons. Que veut dire proche de la nature ?
Certains lecteurs ont proposé la biomimétique, qui est un relookage
modernisé de l’ancien processus consistant à regarder la nature à la
recherche de mécanismes prometteurs : les avions ont des ailes comme les oiseaux ; les plongeurs en apnée ou avec des bouteilles portent des palmes comme les poissons ont des nageoires ; les chaises et les tables ont des jambes, les murs ont des oreilles et
ainsi de suite. Tout a commencé il y a quelques millions d’années
lorsque certains hominidés ont ramassé un rocher pointu et l’ont appelé
une griffe ou un crochet. Non, ce n’est pas cela du tout.
D’autres lecteurs ont dit en chœur que cela pourrait être la
permaculture. C’est vrai que la permaculture est de fait vraiment
intéressante. Le terme couvre la gamme allant des principes généraux
conceptuels aux pratiques spécifiques pour traiter le paysage, en
particulier pour produire de la nourriture. La plupart des technologies
impliquées sont non industrielles et chargées en réflexions plutôt qu’en
énergie, ce qui est une bonne combinaison. La permaculture a
probablement un rôle à jouer, si un chemin peut être trouvé pour
l’enseigner à des gens qui sont trop occupés à survivre tout simplement
pour assister à des cours très chers dans des endroits exotiques.
Pour être proche de la nature, les technologies doivent rétablir l’équilibre entre la biosphère et la techno-sphère (comme
l’a dit Poutine à l’ONU). Pourquoi est-ce nécessaire ? Eh bien, les
populations humaines qui ne parviennent pas à le faire présentent une
tendance marquée à s’éteindre. Ceci est quelque chose qui s’est souvent
passé. Les Vikings du Groenland sont souvent présentés comme un exemple
particulièrement frappant de cet échec : ils se sont installés au
Groenland durant une période climatique relativement courte quand il
était vert plutôt que blanc, et quand il est revenu à son état de désert
aride, ils sont morts. Cette mort n’était pas inéluctable : les tribus
indigènes leur ont survécu, elles qui ont continué à pêcher et à chasser
sur la glace. Mais les Scandinaves voulaient manger du porc et du bœuf,
refusant de devenir des natifs, c’était leur culture et leur sentiment
d’identité.
Le changement culturel qu’auraient dû adopter les Vikings du
Groenland pour survivre est très difficile. Il se produit, mais de
lui-même, tout seul, il a tendance à se mettre en place beaucoup trop
lentement pour faire une quelconque différence lors d’une crise. Les
changements qui obligent les gens à transformer leur mode de vie d’une
manière qui contredise leurs habitudes physiques et leur sentiment
d’identité sont particulièrement difficiles, et sont souvent subis avec
ressentiment et hostilité.
Par exemple, il serait parfaitement logique d’introduire quelques
petits changements aux États-Unis qui permettraient de diminuer
sensiblement l’impact sur l’environnement. Voici trois exemples
simples :
1. Bannir les pelouses. L’herbe ne devrait être tondue qu’une fois
qu’elle est montée en graine pour être utilisée pour faire du foin.
2. Bannir le bœuf et le porc. Plus de hamburgers mais des rabbitburgers Tout le monde mange localement des lapins nourris et élevés à l’herbe.
3. Auto-stop obligatoire. S’il y a un siège libre, vous devez vous
arrêter pour prendre des auto-stoppeurs, ou faire face à une forte
amende.
Bien sûr, les gens prendraient les armes face à de telles mesures. Ils estiment que leurs droits sont violés et leur culture détruite. Ceci nous amène à une autre petite, mais importante mesure :
4. Confisquer toutes les armes.
Notez, cependant, que les gens ne sont pas le moins du monde armés
face aux initiatives suivantes qui rencontrent beaucoup de succès :
1. Forcer les gens à tondre constamment leurs pelouses, endommageant
leur santé au contact de la considérable pollution de l’air due aux
sales tondeuses à gazon à deux temps, à la pollution de l’eau par le
ruissellement des engrais chimiques et à l’exposition aux herbicides
toxiques tels que le glyphosate cancérogène de Monsanto (Roundup).
2. Forcer les gens à manger du bœuf et du porc produit par des usines
d’élevage, viandes bourrées d’hormones de croissance, d’antibiotiques
et autres produits chimiques, en les privant de toute autre source
abordable de protéines animales. Bourrer aussi toute leur nourriture et
leur boisson avec du sirop de maïs à haute teneur en fructose et en
édulcorants artificiels, afin qu’ils deviennent aussi gros que des porcs
et ne puissent plus marcher sur de grandes distances, et soient
condamnés à aller partout en voiture.
3. Forcer tout le monde à posséder sa propre voiture afin d’être en
mesure de se déplacer, même si les voitures restent inactives la plupart
du temps, et même s’il y a beaucoup de chômeurs qui ne seraient que
trop heureux d’être soutenus par un petite fraction de ce qu’il en coûte
de posséder, d’assurer et d’exploiter une voiture.
Ces mesures créent un environnement social qui est si aliéné, plein
d’hostilité et malsain que personne ne se sent particulièrement en
sécurité en son sein. Ce qui nous amène à une autre petite, mais
importante mesure :
4. Forcer tout le monde à penser qu’il a besoin de posséder une arme à
feu (ou deux ou trois) pour lui-mêmes et sa famille afin d’être en
sécurité ; puis prendre du recul et regarder le feu d’artifice.
Arrêter ceux qui ont des démêlés avec les nombreuses lois
contradictoires sur les armes à feu, pour les vendre comme esclaves aux
prisons privées, alors que chacun acclame ces lois, parce qu’on leur a
dit que cela les met plus en sécurité.
Quelle est la différence entre ces deux séries d’initiatives ? Les
deux semblent devoir être très impopulaires. Le premier ensemble serait
bénéfique, en termes d’impact sur la santé publique et l’environnement,
tandis que le second est manifestement nuisible. Mais le premier est
politiquement voué à l’échec, tandis que le second se vend plutôt bien.
La différence est la suivante : tandis que le premier ensemble
d’initiatives n’a pas de technologie politique pour le soutenir, le
dernier est lui soutenu par un ensemble de lois et un rituel civique
quasi-religieux. Les lois punissent ceux qui ne tondent pas
leur pelouse, empêchent les gens de produire et de distribuer de la
viande à moins qu’ils ne possèdent une ferme, et ainsi de suite. Le
rituel civique quasi-religieux, fortement soutenu par la publicité,
implique de se tenir debout sur une pelouse autour d’un barbecue fumant
(l’autel sur lequel reposent des holocaustes de bœuf et de porc venant
d’usines d’élevage), tout en se vantant de ses voitures et de ses armes.
Pour compléter la scène, il y a généralement un drapeau des États-Unis,
quelque part à portée de vue, parce que c’est cela qui signifie être un
Américain : se tenir debout sur une pelouse, communier autour de
viandes d’usines d’élevage, de HFCS,
d’eau bourrée d’aspartame et se vanter de ses voitures et de ses armes.
Tout le reste serait anti-américain et politiquement voué à l’échec.
Les technologies politiques qui rendent ces pratiques
nuisibles populaires et même nécessaires sont soutenues par de puissants
intérêts particuliers : l’industrie de l’entretien de la pelouse,
l’agro-business industriel, l’industrie automobile, les fabricants
d’armes et le complexe industriel des prisons. Ce sont les parasites qui
se régalent sur le corps prostré et boursouflé des États-Unis, rongeant
le cœur du pays de l’intérieur. Et il n’y a absolument pas de
technologies politiques pour s’y opposer, ou pour soutenir les
initiatives qui sont nécessaires et bénéfiques. Pour savoir à quoi
celles-ci ressemblent, nous aurons encore à chercher en dehors des
États-Unis, et c’est ce que nous allons faire dans les articles à venir.
Dmitry Orlov
Liens
Sur l’ingénierie sociale : Chroniques d’un éveil citoyen – Épisode 6 : L’ingénierie sociale
Sur les Vikings : Effondrement – Jared Diamond
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