Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Dans ce post, je soutiens que la montée de Donald Trump dans la course présidentielle américaine est un symptôme de la décomposition en cours de la société, à son tour, causée par la perte de contrôle générée par l’épuisement des ressources. Au bas de ce post, vous trouverez un modèle simple de la dynamique du système décrivant la situation et générant un autre exemple de falaise de Sénèque.
Donald Trump semble avoir pris tout le monde par surprise. Qu’il gagne ou non l’investiture républicaine, et s’il devient oui ou non, président, il a mis les médias dans la tempête: les gens qui écrivent sur les blogs et les journaux sont sous le choc de l’impact, se demandant: d’où ce diable vient-il? Qui est-il? Un dieu? La réincarnation de Hitler? Ou de Mussolini? Le diable? Quoi d’autre ?
Personnellement, je ne prétends pas avoir été moins surpris que tout le monde par Trump, mais, en repensant à la situation, je pense qu’il est raisonnable de dire que quelque chose comme Trump était inévitable. Il est, vraiment, la meilleure définition d’un effet visible de transition de phase sociale en cours. Un discret changement sur notre chemin dans la direction de l’effondrement.
Depuis un bon nombre d’années, j’étudie les raisons de l’effondrement des sociétés. Au début, j’ai eu tendance à expliquer ce phénomène principalement comme le résultat de l’épuisement des ressources essentielles; pétrole brut, dans notre cas. Mais, plus je pense à ce sujet, plus je comprends que la relation entre épuisement et effondrement est loin d’être simple. Une société peut très bien s’effondrer sans manquer de quoi que ce soit; pensez au cas de l’Union soviétique. Quand elle est effondrée, l’URSS avait encore beaucoup de ressources minérales, mais elle ne pouvait plus trouver un moyen de les exploiter d’une manière commode. Dans le cas de l’Empire romain, aussi, il n’y a aucune preuve qu’il ait été à court de nourriture ou de toute autre ressource de base. Il a plutôt manqué de la ressource qu’il utilisait pour payer ses troupes, l’or et l’argent de sa monnaie. Dans les deux cas, il était question de l’effondrement du contrôle. Comme nous le savons tous, le pouvoir sans contrôle n’est rien.
Notez que la perte de contrôle est liée à l’épuisement des ressources, mais la relation n’est pas directe. Elle fonctionne comme ceci: toute société complexe ne peut exister que dans certaines conditions: il ne suffit pas d’avoir accès aux ressources naturelles. Il est essentiel d’être en mesure de distribuer ces ressources de manière à garder tous les secteurs de la société en activité; ceci est une question de contrôle. Vous pouvez également utiliser le terme gouvernance si vous voulez éviter un terme qui a une connotation militaire. Il est clair que si une société est incapable d’allouer les ressources de telle manière que la plupart des gens acceptent leur part, elle se décomposera, ou s’effondrera, ou les deux en même temps.
Dans notre monde, l’allocation des ressources est contrôlée par l’entité que nous appelons le marché, avec une correction de la part d’une autre entité que nous appelons le gouvernement. D’une manière générale, le gouvernement est censé corriger le fait que le marché ne soit pas censé fournir une répartition équitable de la richesse. Par exemple, le gouvernement est censé fournir des services de soins de santé, même pour les personnes qui ne peuvent pas se le permettre. Ceci est la raison pour laquelle les impôts sont progressifs (enfin c’était l’habitude avant que le président Trump ne prenne ses fonctions). Ceci est ce que nous appelons normalement la démocratie: elle fonctionne sur la conviction partagée que la société est maintenue ensemble par un certain degré de partage équitable des ressources disponibles.
Cela fonctionne, mais seulement dans certaines conditions. En particulier, cela fonctionne avec l’hypothèse que les ressources disponibles sont relativement abondantes. Si tel est le cas, il est plus pratique de créer de nouvelles richesses en exploitant une ressource inexploitée que de voler la richesse de ceux qui en ont déjà. Mais ce n’est pas toujours le cas. Imaginons que vous êtes sans travail. Dans des conditions normales, vous chercheriez un autre emploi. Mais s’il n’y a pas d’emplois disponibles, ou si vous êtes trop vieux pour en obtenir un, votre seule stratégie possible de survie est le crime ou le vol (c’est arrivé au Japon). Donc, si les Arabes sont assis sur notre pétrole, il est alors logique de les bombarder pour l’obtenir. Et pourquoi les pauvres devraient avoir notre argent pour résoudre leurs problèmes de santé?
Notez que vous ne devez pas en arriver à une quelconque rupture d’approvisionnement pour traverser le point critique. Dans certaines limites, vous pouvez supposer que le coût de l’exploitation d’une ressource naturelle suit la courbe inverse de celle de l’abondance des ressources, alors que le coût de le voler à quelqu’un qui en a, peut être considéré comme à peu près constant. Donc, Il existe un point où le vol devient une meilleure stratégie que de trouver de nouvelles ressources. C’est une phase de transition dans la société (voir le modèle ci-dessous). À ce stade, la société s’enfonce dans une crise qui l’amène à des ruptures, y compris par le nettoyage ethnique, ou par une sorte de contrôle militaire centralisé. Le deuxième résultat peut être considéré comme meilleur que le premier. Voilà ce que les Romains ont fait quand ils sont passés d’une république à un système impérial. Voilà le chemin devant nous.
Si nous voyons la situation en ces termes, alors Trump n’a vraiment rien d’inattendu. Il est un symptôme de la panne en cours du pacte social aux États-Unis et partout dans l’Ouest. En effet, il capitalise sur cette rupture en utilisant sa rhétorique agressive, en jouant sur la tentative de l’ancienne classe moyenne blanche pour maintenir au moins une partie de sa prospérité et de ses privilèges précédents. Trump n’est pas (encore) un empereur et probablement il n’en sera jamais un. Mais il est un pas dans cette direction; une conséquence inévitable de l’épuisement des ressources.
Lorsque le premier baril de pétrole a été extrait du sous-sol en 1859, il aurait été possible d’imaginer que l’épuisement causerait de gros problèmes, à un certain moment dans l’avenir. Il aurait été impossible d’imaginer qu’un siècle et demi plus tard, il conduirait à un candidat présidentiel avec des cheveux couleur carotte dont la devise pourrait être We shall overcomb 1. Mais il en est ainsi de l’avenir: il vous surprend toujours.
Ugo Bardi
Les renards cannibales et la falaise de Sénèque
Par Ugo Bardi, avril 2016Voici un modèle simple qui explique la transition d’une société complexe à partir d’une stratégie principalement basée sur l’exploitation de nouvelles ressources à un système basé sur le vol des ressources de ceux qui en ont déjà. Le modèle est basé sur le modèle bien connu des renards et des lapins ; où nous supposons que les renards sont les prédateurs, et la proie des lapins. Ici, nous examinons seulement un seul cycle du modèle; en supposant que les lapins se reproduisent trop lentement pour faire une différence. Pour plus de détails sur la façon dont ce modèle fonctionne et comment il peut être utilisé pour ajuster les données historiques, jetez un œil à un de mes articles.
Pour décrire la transition de phase, je suppose ici que quelques renards peuvent devenir cannibales et mangent d’autres renards. Ces renards anthropophages peuvent utiliser une double stratégie: si les lapins sont abondants, ils vont manger des lapins, mais si ce n’est plus le cas, ils vont manger d’autres renards, surtout si ces derniers sont très abondants. Voici le modèle, mis en œuvre en utilisant les conventions standard de la dynamique du système et le logiciel Vensim.
Et voici quelques résultats du modèle, montrant l’évolution de la population des renards réguliers et ceux anthropophages.
Vous pouvez voir comment les renards anthropophages poussent comme un parasite sur les renards réguliers, provoquant à un effondrement plus rapide de leur population qu’il ne l’aurait été sans les anthropophages. Ceci est un autre exemple de la falaise de Sénèque.
Ceci, bien sûr, est un modèle très simple, mais je pense qu’il véhicule le mécanisme de base de l’effondrement d’une société. Cette panne ne se produit pas lorsque la société arrive à user complètement ses ressources, mais beaucoup plus tôt. Cela semble être ce qui se passe pour nous, et Donald Trump est juste un symptôme du changement.
Ugo Bardi
Note du traducteur
La stratégie du vol à coût constant est éphémère, car elle ne vaut que tant que le coût de gardiennage est supérieur au coût de l'assurance, par exemple, mais rapidement, ceux qui possèdent des ressources vont les défendre très agressivement et les voleurs vont perdre une grande partie de leur avantage avec l'effet de surprise – et ils ne perdront qu'une fois. La mort est au bout de cette stratégie. Le parasitisme ne peut être que discret ou alors il doit tuer sa victime. Il n'y a pas de moyen terme. Le seul, consistant à nous convaincre de leur utilité comme parasite, a été exploité avec force propagande et même usé jusqu'à la corde par notre oligarchie.
Les résistants de demain seront experts en guerre hybride. Pour être complet sur Trump, voici un lien vers la traduction du dernier F. William Engdahl qui remonte le sombre passé de Trump et ses accointances réelles avec la mafia, son possible rôle à venir en se grillant volontairement, propulsant Hillary vers la Maison Blanche. C'est tout à fait possible, tellement il est étonnant que ces anciennes amitiés n'aient pas encore été exploitées par Ted Cruz ou la presse mondialiste. Il est aussi possible que les Américains, tout en calculant le bonhomme, le préfèrent quand même, tellement Hillary est repoussante. De Charybde en Scylla ...
- Chanson de Pete Seeger, We shall overcome / Nous vaincrons. On traduit comb par se peigner, on a donc un jeu de mot suggérant une victoire tirée par les cheveux en référence à l’improbable coupe de Donald
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