Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Aussi prometteur de potentiel que soit le Grand Heartland dans l’accomplissement de ce qui semble être le destin inévitable multipolaire du monde, il court le risque d’être freiné par la manipulation adroite de ses vulnérabilités socio-politiques de type Balkans eurasiens.
Les Balkans eurasiens
Pour mettre en jambe rapidement le lecteur, c’est l’idée première adoptée par Zbigniew Brzezinski que la masse des territoires allant de l’Afrique du Nord à l’Asie centrale est dangereusement menacée par la fragmentation à grande échelle le long des lignes identitaires (ethniques, religieuses, historiques, etc.), comme le reflet à une échelle beaucoup plus grande des irrégularités démographiques qui ont intensifié les guerres balkaniques fratricides au début des années 1990.Ces différences d’identité préexistantes n’ont jamais joué un grand rôle dans les affaires intérieures ou régionales, jusqu’à ce que les États-Unis commencent à expérimenter en les utilisant au milieu des années 2000 jusqu’à nos jours, et les fruits de ce travail socio-politique ont déjà conduit à la fabrication d’une rivalité sunnite-chiite. Étant donné que les États-Unis ont connu de grands succès en relançant activement le conflit quelque peu endormi des divisions sectaires dans l’islam, vieux d’un millénaire (qui s’étaient jusqu’ici exprimées pacifiquement la plupart du temps), il n’est pas improbable que cela puisse aboutir au même résultat avec des conflits d’identité moins grandioses et aux occurrences plus récentes, tels que ceux qui seront de manière concise (mais pas exhaustive) énumérés ci-dessous:
L’Iran
L’État successeur de l’ancienne civilisation de la Perse est composé d’une multitude d’identités qui incluent les Azéris, les Kurdes et les Baloutches. Pour la plupart, ils partagent leur patriotisme civilisationnel entre les ethnicités disparates, et le militantisme explicite exprimé contre eux par l’ennemi externe américain au cours des décennies a gardé toutes ces unités démographiques largement unies, mais les tendances actuelles indiquent un possible affaiblissement de cette symbiose civile. Pour commencer, la montée du nationalisme azéri pourrait poser un défi sécessionniste aux autorités s’il n’était pas gardé sous contrôle. En effet, ce groupe est estimé constituer un énorme 25% de la population selon certaines mesures et est fortement concentré dans le centre économique au nord-ouest du pays.En outre, il y a aussi la minorité kurde qui vit à proximité de cette zone et le long de près de la moitié de la frontière irakienne. On sait comment les Kurdes ont été nationalistes au cours des deux dernières années, et avec la guerre contre ISIS, ce nationalisme s’est régulièrement renforcé. Il est prévisible que ce groupe ethnique transnational va prendre un rôle plus influent et indépendant dans les affaires régionales. Dans la lutte autour de cette nouvelle guerre froide entre les mondes unipolaires et multipolaires, gagner la loyauté kurde est absolument essentiel dans la détermination de la sécurité future de l’Iran, car si ce groupe influent venait à basculer plus avec les États-Unis qu’avec ses rivaux, il pourrait être utilisé comme un proxy déstabilisateur en essayant activement de parvenir à un Kurdistan transnational pro-américain.
Un autre facteur à considérer pour envisager les vulnérabilités de guerre hybride en Iran, sont les Baloutches qui habitent la zone peu peuplée mais géographiquement grande de l’est du pays. Un nombre important de ces Baloutches réside également dans une région géographiquement plus grande du Pakistan, le Baloutchistan, plus une petite minorité en Afghanistan. Au cours des dernières années, un grand nombre d’organisations militantes a tenté de mener une insurrection de faible intensité au Pakistan (qui sera décrit plus en détails dans la section suivante), et qui bien sûr porte en elle le risque de se répandre dans les parties peuplées de Baloutches de l’Iran, déséquilibrant le leadership hors du pays. De manière significative, le port de Chabahar, financé par des Indiens, et l’un des nœuds les plus importants sur le Corridor Nord-Sud, est situé dans les provinces du Sistan et du Baloutchistan, et ses infrastructures ferroviaires associées pourraient être compromises de façon prédictive si le conflit jusqu’à présent basé au Pakistan se déplace vers l’ouest.
Le dernier scénario majeur dans lequel la guerre hybride pourrait prendre racine en Iran, est par la rivalité permanente modérés-conservateurs se produisant au sommet de la direction du pays. Pour résumer, les modérés, dirigés par Rouhani, pourrait plus précisément être décrits comme occidentalistes, tandis que les conservateurs, représentés par l’ayatollah et le Corps des gardiens de la révolution iranien, sont plus proches des patriotes nationalistes. L’accord nucléaire iranien a été fondé sur l’élargissement de la fracture entre les deux, et les États-Unis espéraient utiliser la menace implicite d’une réduction de la Révolution verte de 2009 afin d’assurer la conformité de l’accord. Dans les mois qui ont suivi, cependant, les patriotes ont fait un retour dans la réaffirmation de leur rôle dominant dans les affaires nationales, comme on le voit par la coopération de l’Iran avec la Russie, incluant la coalition anti-ISIS (symboliquement importante dans le contexte de la nouvelle guerre froide), l’ayatollah Khamenei a produit un édit interdisant la poursuite des négociations avec les États-Unis, et décrivant les précautions de sécurité à prendre contre les éléments hostiles promouvant le pré-conditionnement social. Ce dernier mouvement a été critiqué par Rouhani, ce qui ne démontre pas les sympathies crypto-occidentales qu’il incarne réellement, mais révèle cependant qu’il comprend combien cela l’affecte lui et la capacité de son camp à projeter son influence à l’avenir.
Pakistan
Se référant à ce qui a été mentionné précédemment, le Pakistan fait face à un sérieux défi de stabilité dans la province du Baloutchistan riche en ressources. Le port de Gwadar est d’une importance géo-économique certaine, en étant l’extrémité sud du corridor économique sino-pakistanais ; et il se trouve dans cette région, ce qui signifie donc que la déstabilisation ici pourrait également avoir un impact sur les projets conjoints transnationaux de la Chine, tout autant que son frère jumeau en Iran avec les provinces du Sistan et du Balouchistan, pourrait en avoir pour l’Inde. Toutefois, étant donné que la Chine est le véritable moteur du changement multipolaire de transformation dans le monde entier, alors que l’Inde est beaucoup plus tiède à cet égard (en dépit de son statut de membre des BRICS et de l’OCS et sa relation spéciale avec la Russie), il est prévisible que la déstabilisation des Baloutches basés au Pakistan est beaucoup plus susceptible d’être provoquée par les États-Unis que par leurs homologues iraniens, tout au moins dans les premiers stades.Contrairement à l’Iran qui n’a pas d’insurrections nationales (pour l’instant), le Pakistan est en proie à l’action des talibans transnationaux, qui se déplacent entre les zones tribales sous administration fédérale (FATA) dans le nord et l’Afghanistan. Il serait donc dans une position désavantageuse vis-à-vis d’un conflit frémissant avec les Baloutches, si ce pays devait diviser son attention à ce moment critique de l’action anti-terroriste. Ceci présente une ouverture stratégique attrayante pour les États-Unis s’ils choisissaient d’agir là dessus, ce qui augmente d’autant la probabilité que cela pourrait se produire dans une certaine mesure. De même, et comme on le verra bientôt en parlant de l’Afghanistan, cela signifie aussi que tous les efforts américains pour guider les talibans, ISIS, et / ou toute guerre hybride à venir à travers eux, ou une toute nouvelle entité terroriste autour de la frontière pakistanaise, pourraient créer rapidement un scénario de crise pour Islamabad qui, par réaction, entraînerait une baisse d’attention au Baloutchistan pendant cette période critique, présentant encore un autre scénario stratégique pour une insurrection ethnique à faire fleurir.
Pour compléter les possibilités de guerre hybrides au Pakistan, il existe le potentiel pour une révolution de couleur 1.5, inspirée par les dernières technologies politiques déployées en Arménie, au Liban et en Malaisie. Décrit à l’origine dans l’un des articles de l’auteur pour l’Institut russe d’études stratégiques, cette forme de troubles par étreinte[s] avec des slogans anti-corruption est dirigée depuis une société civile amorphe et superficiellement apolitique. Cette innovation structurelle permet aux dirigeants du coup d’État de réajuster leur infrastructure sociale (leadership, membres, slogans, etc.) à la volée beaucoup plus efficacement que si elles suivaient les pratiques relativement rigides de leurs prédécesseurs dans l’organisation de l’événement autour des partis politiques clairement définis conduits par quelques têtes bien connues (et facilement compromises). Les manifestations de grande ampleur contre le Premier ministre Nawaz Sharif en août 2014, prouvent qu’il y a une base socio-politique pour mobiliser davantage d’activisme contre le gouvernement, et il est concevable qu’une scénario mis à jour pourrait être redéployé contre lui ou son successeur à l’avenir, alors que le Corridor économique sino-pakistanais commence à prendre plus concrètement forme.
Afghanistan
La plus grande menace de guerre hybride en Afghanistan est le terrorisme affilié à État islamique dirigé par les talibans et ISIS, qui, tous deux, gagnent du terrain dans le pays. L’ONU a déclaré en octobre 2015 que les conquêtes des talibans n’ont jamais été aussi grandes depuis leur renversement en 2001, et les rapports ont confirmé qu’ISIS a pris pied dans le pays. Cela étant dit, les relations entre les deux groupes terroristes ne sont pas claires, et il y a à craindre qu’un différend entre dirigeants talibans puisse créer des faiblesses exploitables par ISIS pour prendre le pas sur ses rivaux, de la même manière qu’ils l’ont fait avec al-Qaïda au Moyen-Orient, acquérant ainsi un territoire gouvernable à partir duquel établir une franchise de leur califat. Selon l’emplacement de la terre qu’ils saisiraient, ils pourraient être en mesure d’étendre leur État islamique, soit en Asie centrale et / ou au Pakistan. A partir de ce scénario, il y a une chance (peu probable) que les talibans envahissent d’autres pays de leur propre initiative, ou qu’ils fassent équipe avec ISIS pour conquérir l’Afghanistan avant de rediriger leur terreur commune vers l’extérieur (même si une scission violente entre les deux pourrait apparaître avant cela), ou qu’un groupe terroriste nouveau et moins connu tels que Hizb ut-Tahrir le fasse à leur place.Une autre possibilité de déstabilisation transnationale pourrait émaner de l’Afghanistan si les rumeurs de zones tampons à base ethniques dans le nord, entre les communautés turkmène, ouzbek et tadjik deviennent une pomme de discorde entre leurs patrons respectifs. Bien qu’aucune preuve n’existe pour suggérer que celles-ci ont été officiellement mises en place ou sont en concurrence les unes avec les autres, si ces zones devaient, de fait, prendre une forme d’États plus solide qu’elles n’en ont maintenant, les conflits inter-ethniques en Afghanistan pourraient provoquer des tensions inter-étatiques entre leurs sponsors d’Asie centrale. Nulle part ailleurs cela n’est plus plausible qu’entre le Tadjikistan et l’Ouzbékistan, comme leur éternel conflit pourrait, de façon prévisible, s’étendre autour de la frontière afghane jusqu’à ce que l’un d’eux s’engage dans une action résolue, soit par des intermédiaires ou par les chefs de guerre eux-mêmes, avec toutes les conséquences qui en découleraient pour une guerre régionale plus large.
Andrew Korybko est un commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride.
Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici
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