Article original de Dmitry Orlov, publié le 10 avril 2018 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
C’est un travail difficile d’être un hégémon
mondial et la seule superpuissance du monde. Vous devez garder la
planète entière bien alignée. Chaque pays a besoin d’être renseigné sur
sa place et gardé là, par la force si besoin est. De temps en temps un
pays ou deux doit être conquis ou détruit, juste pour donner une leçon
aux autres. De plus, vous devez vous mêler sans relâche de la politique
des autres pays, truquer les élections afin que seuls les candidats
favorables aux États-Unis puissent gagner, mener des opérations de
changement de régime et organiser des révolutions colorées. Si vous
cessez de le faire, certains pays vont commencer à vous ignorer. Et le
reste réalisera rapidement que vous perdez le contrôle et ils
commenceront à s’émanciper.
Les États-Unis sont-ils toujours la plus grande puissance du monde,
contrôlant toute la planète, ou ce moment de l’histoire est-il déjà en
train de passer ? Nous entendons constamment parler de la situation
géopolitique : les relations entre les États-Unis et les pays de l’OTAN
d’un côté et la Russie de l’autre vont de mal en pis ; il y a une guerre
commerciale en cours avec la Chine ; La Corée du Nord reste un problème
insoluble et un embarras. Beaucoup de gens soutiennent que nous sommes
très proches d’une guerre mondiale. Mais « très proche »
signifie-t-il réellement quelque chose ? Il est tout à fait possible de
rester des heures avec ses orteils suspendus au bord d’une falaise et de
ne jamais sauter. Le suicide est une grande décision : même pour une
personne et encore plus pour un grand pays.
Le 1er mars 2018, le président Poutine a dévoilé les
nouveaux systèmes d’armement de la Russie contre lesquels les États-Unis
sont sans défense et le resteront dans un avenir prévisible.
Auparavant, le plan était de cerner la Russie par des bases militaires
et des batteries de missiles, puis de lancer une première frappe
préventive, détruisant sa capacité à riposter et l’obligeant à
capituler. Ce plan a maintenant échoué de manière évidente et une
attaque des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie est de nouveau une
garantie de suicide. Pire encore, même des affrontements militaires
limités sont maintenant impensables car la Russie peut désormais
infliger des dommages inacceptables aux forces américaines et de l’OTAN,
à distance et sans mettre en danger ses propres biens. Si la Russie
n’attaque pas et si les États-Unis et l’OTAN ne peuvent pas attaquer,
quelle est la probabilité d’une guerre ?
Les nouveaux systèmes d’armes ont permis à la Russie de commencer à
ignorer les États-Unis. Il est toujours important de maintenir une
posture militaire crédible, mais politiquement, les États-Unis ne
contrôlent déjà plus le monde, pas plus que les institutions mondiales
sur lesquelles ils se sont appuyés. Au lieu de cela, ce que nous voyons
est la réapparition des États-nations et même des empires. L’avenir
politique de la Syrie est décidé par la Russie, la Turquie et l’Iran,
sans aucune contribution utile des États-Unis. De manière significative,
alors que la Russie et l’Iran sont déjà indépendants des États-Unis, la
Turquie a été un de leurs alliés et elle est la deuxième force armée de
l’OTAN. Le fait que la Turquie ne soit plus désireuse de plaire aux
Américains est assez révélateur.
Sauf pendant l’étrange et tumultueux XXe siècle au cours
duquel les États-Unis ont brièvement dominé la scène mondiale, ces trois
pays ont suivi différents chemins, dont au moins une des dénomination
contenait le mot « empire » : l’Empire russe, l’Empire ottoman
et l’Empire perse. Des trois, les empires russe et ottoman furent les
héritiers du Saint Empire romain germanique, dont la moitié orientale −
avec Constantinople, sa capitale − continua à exister pendant des
siècles après que Rome fut devenue une ruine dépeuplée et qu’un âge
sombre tombait sur l’Europe. Après, Constantinople est tombée aux mains
des Turcs et l’islam a pris le contrôle de la région, le centre du
christianisme orthodoxe a, lui, migré vers le nord à Moscou. Maintenant,
ajoutez la Chine ou l’Empire chinois si vous voulez, qui est maintenant
aligné avec la Russie et complétez le tableau : tous les plus grands et
les plus anciens empires eurasiens sont revenus sur le devant de la
scène, se parlent et coopèrent, tandis que le parvenu de l’autre côté de
la planète n’est même plus invité.
Compte tenu de cette situation, que doivent faire les États-Unis ?
Ils ont trois choix. Le premier est de déclencher une guerre majeure,
commettant ainsi un suicide national (tout en emportant d’autres pays
avec eux). Ils n’ont pas la volonté politique de prendre cette décision,
bien qu’ils puissent lancer une guerre majeure par accident. Le
deuxième choix consiste simplement à se coucher : renoncer à essayer de
projeter leur pouvoir autour du monde, se retirer dans leurs propres
frontières et lécher leurs blessures. Ils n’ont pas la volonté politique
de le faire également ; tout ce qui reste comme possibilité est de
prétendre que tout va toujours bien aussi longtemps que possible.
Mais comment est-il possible de prétendre que tout va toujours bien
alors que tout s’effondre ? La réponse est de commencer à faire
semblant. Si les États-Unis réussissent à convaincre suffisamment de
gens, ici et ailleurs dans le monde, qu’ils sont encore dangereux, ils
pourront cacher leur affaiblissement croissant pendant un certain temps.
Ils ne sont peut-être plus capables de réaliser aucun de leurs
objectifs, mais encore très capables de meurtres de masse, comme l’ont
récemment démontré les bombardements « de la coalition »
américaine à Mossoul et à Raqqa, qui sont maintenant en ruines. Des
actes similaires de meurtres de masse ont été commis au Yémen par le
proxy arabo-saoudien de l’Amérique, ainsi que par leur proxy ukrainien
dans le Donbass.
Mais même les occasions de commettre impunément des meurtres de masse
aveugles sont de moins en moins nombreuses, forçant les États-Unis à
recourir à plus d’actes de violence de seconde zone. Pour justifier ces
actes, les États-Unis (et une grande partie de l’Europe) se
ridiculisent aux yeux du reste du monde en utilisant un mur élaboré de
non-sens complet. Une des histoires préférées a à voir avec les armes
chimiques rêvées comme source d’un effroi primordial. Jetez un coup
d’œil à la récente attaque à la roquette des israéliens contre la Syrie.
Elle était justifiée par l’utilisation, de toute évidence, de fausses
séquences vidéo produites par les Casques blancs, un groupe connu pour
avoir organisé de faux événements terroristes. À ce stade, ils ne se
soucient même plus de l’apparence de leur produit : cette fois-ci, ils
n’ont pas pris la peine d’expurger le clap initial (utilisé pour
synchroniser la vidéo avec le son). Le décor était évidemment celui d’un
décor de cinéma mais la qualité de la production manquait vraiment à
l’appel. Au lieu de cela, nous avions des acteurs, certains portant des
casques blancs, mais aucun équipement de protection, déversant des seaux
d’eau sur des enfants frissonnants. Comment cela est-il censé avoir un
sens ?
Et puis notez que les roquettes (cinq ont été abattues par les
Syriens, seulement trois sont passées) sont venues d’Israël. Pourquoi
Israël ? Parce que les Russes avaient averti les États-Unis qu’ils
savaient que la provocation par de fausses armes chimiques était
organisée comme prétexte pour lancer une attaque à la roquette et qu’ils
allaient tirer non seulement sur les roquettes mais aussi sur ceux qui
les lancent. Par conséquent, les Américains ont décidé qu’il serait trop
risqué de lancer l’attaque depuis des navires de la marine et ont
demandé aux Israéliens de lancer eux-mêmes quelques missiles sur une
base aérienne éloignée en Syrie, pensant à juste titre que les Russes ne
riposteraient pas immédiatement contre Israël si aucun Russe n’était
touché, sachant qu’il n’y aurait pas de Russes sur cette base aérienne
pendant leur attaque. Ceci est, d’une part, assez pathétique mais
d’autre part, cela montre que les Américains sont encore capables d’un
minimum de pensée rationnelle.
C’est une étrange période de l’histoire que nous traversons. Les
États-Unis mentent sans arrêt (puisque la vérité n’est pas de leur côté)
tout en prétendant être encore dangereux en commettant des meurtres de
masse (à petite échelle, qu’ils peuvent être sûrs de mener en toute
impunité). Pendant ce temps, le suicide national (via une guerre à
grande échelle) et la décision de terminer tout le projet impérial
restent politiquement impossibles. Combien de temps cette période
étrange et instable de non-sens meurtrier peut-elle persister ?
Difficile à dire, votre estimation est aussi bonne que la mienne. Mais
elle ne peut évidemment pas durer longtemps. Donnez-lui quelques années,
ou moins.
Dmitry Orlov
Le livre de Dmitry Orlov
est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que
l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de
l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
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