dimanche 15 mars 2020

Le pic de production de pétrole du Permien pourrait arriver bien plus tôt que prévu

Article original de Justin Mikulka, publié le 3 février 2020 sur le site DeSmog
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr


Publicité notant le déclin des champs de pétrole, affichée à l’aéroport intercontinental George Bush de Houston. Crédit : Justin Mikulka, DeSmog
À la mi-janvier, Adam Waterous, qui dirige la société de capital-investissement Waterous Energy Fund, a fait une prédiction sur le joyau de l’industrie américaine du pétrole de schiste, la zone de schiste du Permien qui chevauche le Texas et le Nouveau-Mexique.



« Nous pensons que nous sommes au pic de production du Permien ou près de celui-ci », a déclaré Waterous à Bloomberg. « Le marché pétrolier nord-américain a été grossièrement sur-capitalisé, ce qui n’est pas viable. »
Le journaliste de Bloomberg Simon Casey a ajouté que « la prédiction du pic de production du Permien pour 2020 n’est pas une vision mainstream ».

Cependant, les preuves s’accumulent que l’industrie américaine du schiste pourrait bien être proche du pic, car elle est à court des deux éléments nécessaires pour continuer à augmenter la production de pétrole : d’argent et de ce qu’on appelle des « surfaces de premier rang » (tear one).

La superficie de premier rang est le terme utilisé pour désigner les zones qui produisent le plus de pétrole par puits. On l’appelle aussi « sweet spots », « core acreage » ou « good rock ».

L’idée que la révolution du schiste américain atteigne son apogée bien avant que l’industrie pétrolière et gazière au sens large ou l’Energy Information Administration ne s’y attende n’est pas très populaire. Et l’idée a été encore moins populaire lorsque DeSmog a commencé à expliquer en détail pourquoi elle était probable dès octobre 2018, et même lorsque le Wall Street Journal a présenté ses arguments un an plus tard.

Aujourd’hui, alors que de plus en plus de compagnies pétrolières du Permien font faillite et que les puits dans le secteur pétrolier le plus prolifique du pays sont de moins en moins productifs, une alerte précoce semble particulièrement judicieuse. En 2018, Paal Kibsgaard, le PDG de Schlumberger – l’un des plus grands fournisseurs de services pétroliers – a mis en garde contre la baisse de productivité des puits dans le bassin du Permien, en soulignant l’augmentation des « puits enfants«  et la fin de l’essor du champ pétrolifère texan, le Eagle Ford Shale.

« Nous commençons déjà à observer une réduction de la productivité des puits similaire par unité à celle déjà constatée dans le cas de l’Eagle Ford, ce qui suggère que le potentiel de croissance du Permien pourrait être plus faible que prévu », a averti M. Kibsgaard, qui a été remplacé en tant que PDG en 2019.
Un autre avertissement d’un ancien cadre de Schlumberger a noté que les résultats de la performance dans le Permien étaient trompeurs, car les données satellites avaient révélé qu’un millier de puits qui avaient été fracturés n’avaient pas été signalés, faussant la performance globale du bassin pour qu’elle paraisse meilleure qu’elle ne l’est.

Schlumberger a perdu 10 milliards de dollars en 2019 et a licencié 1 400 travailleurs américains, ce qui fait que Kibsgaard avait plutôt raison d’être inquiet l’année précédente. L’entreprise a également réduit de moitié la quantité de matériel de fracturation dont elle disposera. Ce n’est pas un signe d’optimisme pour l’avenir de la fracturation américaine ou de son joyau, le Permien.
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GRANDE SAISON DE BÉNÉFICES PÉTROLIERS : Les résultats d’Exxon Mobil et de Chevron sont plutôt faibles, en raison de la faiblesse des prix et des marges en aval (et pour XOM, les compagnies chimiques). Plus inquiétant encore, le Permien semble ralentir (du moins, sur la diapositive XOM ; CVX n’a pas fourni de graphique Permien) #OOTT

La fin de l’ère de la « surcapitalisation »

Comme l’a expliqué DeSmog, l’industrie de la fracturation a perdu des centaines de milliards de dollars et se retrouve aujourd’hui avec des dettes qu’elle ne pourra jamais rembourser, car les meilleurs jours de la production américaine d’huile de schiste semblent être du passé.

Le flux de prêts à faible taux d’intérêt accordés aux sociétés d’exploitation du pétrole et du gaz de schiste s’est tari, signalant la fin de l’ère de la « surcapitalisation flagrante ».

Et si le débat sur la quantité de pétrole que le Permien peut encore produire est toujours d’actualité, il n’y a plus guère de débat sur le fait que les investisseurs ne sont plus désireux ou disposés à prêter de l’argent aux entreprises pour qu’elles fracturent – à moins que les entreprises puissent prouver qu’elles sont rentables – ce que la majorité d’entre elles n’ont pas réussi à faire.

La semaine dernière, le site d’investissement Seeking Alpha a mis en avant Abraxas Petroleum, une société basée au Texas et possédant des actifs dans le Permien, en décrivant l’« historique sans faille de la société en matière de production de cash-flow libre négatif » – une façon brutale de dire que la société n’a jamais fait de profit, comme beaucoup de ses pairs.

Mais Abraxas a produit du pétrole et du gaz à une époque où l’industrie était « largement surcapitalisée« , ce qui a permis à la société de continuer à emprunter plus d’argent pour continuer à forer. Mais cette époque est révolue et des entreprises comme Abraxas ne peuvent pas continuer à exister sans que des investisseurs quelque part leur donnent plus d’argent pour maintenir un processus de production très coûteux. Seeking Alpha a spéculé qu’une éventuelle faillite en vertu du chapitre 11 pourrait se produire dans l’avenir du fraiseur.

Toute la situation a été bien résumée dans un article récent de Barron’s :
Les injections de capitaux se sont taries, et les prêteurs sont de plus en plus pointilleux. Ils insistent pour que les emprunteurs fassent preuve de liquidités et de durabilité, qualités dont témoigne la diminution du nombre de producteurs de schiste. Et à partir de 2020, ces entreprises sont confrontées à un mur de dettes totalisant 71 milliards de dollars et arrivant à échéance au cours des sept prochaines années, selon le fournisseur de recherche et d’analyse Rystad Energy.
L’industrie dans son ensemble est confrontée à d’énormes dettes et la seule façon de les rembourser est de gagner de l’argent en vendant du pétrole et du gaz, ce que l’industrie n’a pas réussi à faire de manière rentable, même à des prix beaucoup plus élevés.

La faiblesse des prix du pétrole combinée à des prix négatifs du gaz naturel dans le Permien, plus la fin de l’accès facile aux investisseurs, n’est pas une formule pour le succès dans le Permien. Bien qu’il soit amplement prouvé que les PDG des compagnies travaillant dans le schiste n’ont aucun problème à perdre l’argent des autres tant qu’ils sont payés, attendez-vous à ce que les opportunités de ce type de travail soient beaucoup moins nombreuses dans le Permien à l’avenir. Mais ne pensez pas que cette stratégie s’arrêtera avant que tout l’argent restant dans l’industrie ne soit épuisé.

Il est possible que l’industrie ait atteint un pic d’endettement, et donc que le pic de production suive.

Les roches se moquent que les PDG promettent du pétrole

Même si l’industrie du schiste avait gagné de l’argent au cours de la dernière décennie et était assise sur un tas d’argent, elle aurait encore un autre problème sérieux : elle est à court de superficie de premier rang. L’argent sert à payer le forage, la fracturation et les bonus des PDG, mais il ne peut pas faire apparaître du pétrole là où il n’y en a pas.

En 2018, Mark Papa, alors PDG de la société de schiste Centennial Resource Development, mettait déjà en garde contre le manque de surfaces de premier rang.

« Il y a de bonnes zones géologiques dans les zones de schiste et des zones géologiques plus faibles, et beaucoup de ces bonnes zones ont déjà été forées », a expliqué Papa lors d’une discussion lors de la conférence industrielle CERAweek.

Papa est maintenant le président de Schlumberger et a fait une autre prédiction sur la production américaine de schiste lors d’une conférence de l’industrie en janvier dernier. Trent Jacobs, du Journal of Petroleum Engineering, a tweeté en direct les commentaires de Papa, qui comprennent l’avertissement : « Un changement est en train de se produire. »
Le spécialiste du schiste, Mark Papa, prévoit une croissance de la production de 400 000 tonnes aux États-Unis cette année. Il indique au #IPTC2020 que le pétrole de l’OPEP ne deviendra plus important qu’au cours de la prochaine décennie. « Un changement est en train de se produire. » La famine du capital joue un rôle, mais l’épuisement des ressources est plus important. #oilandgas
Et même si l’industrie est en grave difficulté financière, Papa dit que l’épuisement des ressources est le plus grand problème. Même si les investisseurs étaient assez stupides pour continuer à prêter de l’argent à l’industrie du schiste, le pétrole n’est pas là pour rembourser les prêts, et encore moins pour faire des bénéfices. « Famine » et « épuisement » ne sont pas des mots utilisés pour décrire un boom. L’industrie écoutera-t-elle les avertissements de Schlumberger en 2020 après les avoir ignorés en 2018 ?
Jacobs a également rapporté que Papa pense que deux autres grands bassins de schiste – le Bakken dans le Dakota du Nord et l’Eagle Ford au Texas – ont déjà atteint leur pic de production.

Cette semaine, le Journal of Petroleum Technology (JPT) a souligné la rapidité avec laquelle la production des puits de schiste décline et les nouvelles ne sont pas bonnes pour les perspectives dans le Permien. Le JPT a noté que de nouvelles données révèlent une faille dans « l’une des principales hypothèses qui justifient l’économie à long terme » des puits de schiste.

Pour faire simple, les compagnies pétrolières ont promis aux investisseurs 30 ans de production de pétrole, mais en réalité, les puits se tarissent beaucoup plus vite que cela.

Il est de plus en plus évident que les PDG ont promis une quantité de pétrole du Permien qui n’existe très probablement pas.

Le boom du schiste devient un fiasco

Comme DeSmog l’a signalé en décembre dernier, les analystes de l’énergie de Wood Mackenzie ont un très bon dossier de prévisions précoces et précises sur l’industrie du pétrole de schiste. Dans un webinaire sur le déclin des puits de pétrole du Permien, le directeur de recherche de Wood Mackenzie, Ben Shattuck, a présenté un avenir potentiel pour la production de puits dans ce secteur.

« Nous sommes en train de passer le moment où la communauté des investisseurs était enthousiasmée par le prochain puits et par sa taille », a déclaré M. Shattuck. « Cela a changé pour diverses raisons. Une raison très importante est que le prochain puits pourrait ne pas être plus grand. Il pourrait être plus petit ».

C’est une raison très importante. Et cela se résume à la géologie, à la fin de la superficie du premier rang, et à l’industrie qui essaie de produire plus de pétrole en installant plus de puits plus proches les uns des autres (« puits enfants » qui entourent un « puits parent »).  Tout cela fait qu’un champ pétrolifère commence à atteindre son pic de production, puis à décliner.

Pour être clair, le Permien n’a pas encore atteint son pic. Et parce que des sociétés comme Exxon et Chevron sont désormais des acteurs majeurs dans la région et ont toujours accès à l’argent nécessaire à la production de pétrole – contrairement à de nombreux autres producteurs – ces sociétés continueront à augmenter la production même si elle n’est pas rentable. Cependant, ces deux sociétés ont simplement obtenu des résultats financiers décevants, ce qui signifie que même ce scénario ne peut pas durer éternellement.

L’absence de surfaces restantes de premier rang est une chose que même Exxon et Chevron ne peuvent pas changer.

Le calcul est simple. Si chaque nouveau puits foré produit moins que les précédents, et que les puits ne sont pas rentables, alors le pic approche rapidement.
« J’en ai fini avec les combustibles fossiles. Ils sont finis », déclare @MadMoneyOnCNBC après que les géants du pétrole Exxon Mobil et Chevron aient annoncé leurs résultats pour le quatrième trimestre ce matin. « Nous sommes dans la phase du glas ». https://cnb.cx/2OdZdLG
Justin Mikulka

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