Article original de Andrew Korybko, publié le 16 août 2020 sur le site One World
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Plusieurs développements récents dans les relations russo-biélorusses – en particulier le retour en Russie de 32 mercenaires présumés de la société de mercenaires Wagner, le départ de Tsepkalo, leader de l’opposition biélorusse, et les deux appels téléphoniques entre les présidents Poutine et Loukachenko – laissent présager que les liens bilatéraux pourraient bientôt revenir à leur niveau fraternel d’antan, mais le fait est que Minsk n’a tout simplement pas d’autre option réaliste que de se réengager avec Moscou (quoique selon les termes de cette dernière) après l’échec dramatique de son « équilibre » et est donc destiné à être le « petit frère » de la Russie au lieu de son « frère égal ».
Un rapprochement russo-biélorusse ?
Certains développements notables sont survenus depuis l’analyse de l’auteur vendredi sur la manière dont l’opération « Sécurité démocratique » du Belarus ne devrait pas être exploitée à des fins russophobes. Cette article brosse un tableau sombre des relations russo-biélorussies, dans lequel l’accueil par la Russie du leader de l’opposition biélorusse Tsepkalo aurait pu être instrumentalisé pour protéger ses intérêts de sécurité nationale. Ce n’est plus le cas, cependant, puisque les événements récents ont modifié ce calcul. Certains observateurs sont aujourd’hui un peu plus optimistes quant aux liens entre les deux pays, croyant même qu’ils pourraient bientôt revenir à leur niveau fraternel d’antan, car le fait est que Minsk n’a tout simplement pas d’autre option réaliste que de se réengager avec Moscou (mais aux conditions de cette dernière) après l’échec dramatique de l’acte « d’équilibrage » biélorusse, pays destiné à être le « petit frère » de la Russie au lieu de son « frère égal ».
Résoudre l’incident Wagner
Le premier développement majeur qui s’est produit ces derniers jours est double et concerne à la fois le retour en Russie, vendredi, de 32 mercenaires présumés de Wagner et le départ (subséquent ?) de Tsepkalo de Russie. Il semble bien que les deux événements soient liés, compte tenu du moment où ils se sont produits, et il se pourrait donc très bien qu’il s’agisse d’une contrepartie. Pour expliquer cela, la détention par le Belarus de ces trois douzaines de Russes peut être considérée, avec le recul, non seulement comme une provocation anti-russe et un « signe de bonne foi » quant à son intention de continuer à améliorer ses relations avec l’Occident après les élections (avant qu’ils ne décident de renverser son dirigeant), mais aussi comme une « police d’assurance » malavisée contre ce que Loukachenko avait précédemment allégué comme étant l’ingérence de Moscou dans ses affaires intérieures. En d’autres termes, ces Russes étaient essentiellement des otages politiques pour s’assurer que leur patrie ne permettait pas à des figures anti-gouvernementales comme Tsepkalo d’opérer depuis son territoire.
L’intrigue de Tsepkalo
Son arrivée n’a pas pu être empêché par Moscou compte tenu du régime d’exemption de visa en vigueur entre les deux membres du soi-disant « État de l’Union », mais Minsk s’est manifestement senti mal à l’aise du fait qu’il ait fui vers la capitale russe à la fin du mois dernier, quelques jours avant la provocation Wagner. En fait, la provocation susmentionnée aurait même pu être lancée en réponse à cette évolution, compte tenu du « dilemme stratégique » très aigu entre les deux « alliés » nominaux après que Loukachenko eut cessé de faire confiance à la Russie en se laissant convaincre par le récit occidental de guerre de l’information selon lequel son voisin nourrissait des intentions malveillantes envers son pays. La couverture de cette contrepartie spéculative du renvoi des mercenaires présumés en échange du départ de Tsepkalo de Russie était que ce dernier avait été ajouté à une liste internationale de personnes recherchées à la demande de Minsk, d’où la raison pour laquelle Moscou ne pouvait plus l’autoriser à rester sur place.
Quid Pro Quo
Cela a permis aux deux parties de « sauver la face » et de ne pas donner l’impression de faire des « concessions » à l’autre pendant cette période de tension sans précédent de leurs relations. Les deux parties ont donc obtenu ce qu’elles voulaient. Les otages politiques de la Russie ont été libérés, tandis que le Belarus n’a plus eu à s’inquiéter de la possibilité que la Russie instrumentalise la présence de Tsepkalo dans sa capitale. Tout pouvait donc redevenir comme avant la fin juillet, lorsque Tsepkalo s’est enfui en Russie et que la provocation de Wagner n’avait pas encore eu lieu. Si les liens étaient encore tendus jusqu’à cette époque, ils n’étaient pas aussi mauvais qu’ils l’étaient après ces deux incidents. Il est toutefois prématuré d’appeler cela une « réinitialisation », le terme rapprochement étant plus précis à ce stade. Cette contrepartie indique que chaque partie comprend la nécessité de restaurer la confiance mutuelle. C’est pourquoi leurs dirigeants se sont ensuite entretenus le lendemain, samedi, pour pousser leur rapprochement encore plus loin.
Deux appels téléphoniques en deux jours
Le site officiel du Kremlin n’a pas dit grand-chose sur les détails de leur entretien, mais a néanmoins semblé optimiste quant à l’avenir de leurs relations. Loukachenko a cependant révélé plus tard que « lui et moi avons convenu que nous recevrons une assistance complète pour assurer la sécurité du Belarus chaque fois que nous le demanderons ». Le leader biélorusse a également mis en garde contre ce qu’il a décrit comme une menace de l’OTAN le long de ses frontières, laissant entendre que l’alliance pourrait tenter d’attaquer son pays. Le lendemain, dimanche, les présidents Poutine et Loukachenko se sont à nouveau exprimés, et cette fois, le site officiel du Kremlin a indiqué qu’ils avaient discuté d’une éventuelle assistance à la sécurité par le biais du pacte de défense mutuelle de l’OTSC dont les deux États sont membres. Cette dimension de la crise ajoute un peu plus d’intrigue à la situation qui se développe rapidement en faisant croire qu’une intervention militaire russe sur le modèle de celle de Crimée pourrait être imminente, bien que ce scénario ne se réalisera probablement pas.
Une Crimée 2.0 est peu probable
Premièrement, les forces étrangères sont inefficaces pour mener des opérations de « sécurité démocratique » puisque les propres forces de la nation cible sont nécessaires pour que l’État conserve sa légitimité, sauf dans les situations où les révolutionnaires de couleur et/ou les transfuges militaires prennent le contrôle de bases militaires et/ou de villes, ce qui semble peu probable. Deuxièmement, le renforcement militaire de l’OTAN n’est probablement qu’un spectacle et n’a rien de sérieux. L’alliance sait qu’attaquer le Belarus déclencherait les engagements de défense mutuelle de la Russie, ce qui pourrait aggraver la crise jusqu’au niveau de la troisième guerre mondiale dans le pire des cas. Et troisièmement, le Belarus a précédemment refusé la demande de la Russie d’établir une base aérienne à l’intérieur de ses frontières, car il sait que la présence militaire accrue de son allié dans le pays serait perçue de manière très négative par l’OTAN et entraînerait donc une pression encore plus forte sur elle. Pour ces raisons, une prochaine intervention militaire russe en Biélorussie est peu probable.
Les signaux de Loukachenko
La question devient donc de savoir pourquoi Loukachenko flirte avec cette possibilité en premier lieu si cela ne se produira probablement pas. La réponse est probablement qu’il a l’intention d’envoyer des signaux à la Russie et à l’Occident avec ses paroles. À propos du premier point, il réaffirme l’engagement de son pays envers son allié traditionnel dans une tentative de consolider le soutien de ses médias après qu’ils aient été inhabituellement critiques à son égard en réponse à son acte d’« équilibrage » raté de l’année dernière. En ce qui concerne le second, l’Occident, il veut qu’ils réalisent qu’il n’est plus aussi naïf qu’avant et qu’il ne leur fait plus confiance après qu’ils aient ordonné à leurs cadres de la Révolution de couleur de l’évincer. En d’autres termes, il essaie de recalibrer son « équilibre » en se rapprochant de la Russie en réponse à la pression occidentale qui lui est imposée d’en haut (menaces de sanctions) et d’en bas (Révolution de couleurs). Sur le plan intérieur, ces déclarations dramatiques visent également à distraire les gens en suscitant un ennemi extérieur.
Position officielle du Belarus sur l’« équilibre »
Un observateur occasionnel pourrait être enclin à penser que la Biélorussie veut de nouveau retrouver ses anciennes relations fraternelles avec la Russie, mais la situation n’est pas aussi simple que cela. Après tout, Loukachenko a déclaré au début de ce mois qu’il était « impossible » de renforcer les relations de son pays avec la Russie en tant qu’« État de l’Union ». « Même si j’acceptais la réunification aux conditions les plus favorables pour la Biélorussie, le peuple biélorusse ne l’accepterait pas. La nation n’est pas prête pour cela et ne le sera jamais. Le peuple est trop mûr. Cela aurait été possible il y a 20 ou 25 ans, lorsque l’Union soviétique s’est effondrée. Mais plus maintenant ». Néanmoins, il a également déclaré dimanche que « le Belarus ne veut pas être une « zone tampon » … pour séparer la Russie de l’Occident », ce qui exclut largement sa participation à l’« Initiative des trois mers » (I3M) dirigée par la Pologne et soutenue par les États-Unis et à des cadres connexes comme le « Triangle de Lublin », du moins pour le moment. En d’autres termes, le Belarus souhaite des relations plus étroites avec la Russie, mais pas une incorporation formelle dans un seul État. Si elle souhaite conserver des relations amicales avec l’Occident, elle ne le fera pas non plus aux dépens de la Russie.
La Russie plutôt que l’Occident
Au vu de l’évolution de la situation, il semble que le Belarus ait choisi d’abandonner son rôle d’« équilibriste » pour se réaligner sur la Russie, bien qu’il ait perdu tout moyen de pression qu’il pensait avoir au cours de l’année écoulée après avoir si terriblement échoué à profiter de ses nouvelles relations avec l’Occident pour négocier de meilleures conditions avec Moscou à l’approche de la révolution colorée en cours. Loukachenko est donc à la merci du président Poutine lorsqu’il s’agit d’une éventuelle aide russe à son gouvernement, qui ne sera probablement pas une aide militaire pour les raisons mentionnées plus haut, mais qui serait très probablement une intégration plus profonde dans le cadre de l’« État de l’Union » malgré les hésitations du dirigeant biélorusse. Dans un « monde parfait », son acte d’« équilibrage » aurait fait du Belarus la version de la nouvelle guerre froide de la Yougoslavie de Tito, mais dans la réalité imparfaite dans laquelle tout le monde vit, le Belarus n’a guère d’autre choix que d’accepter les termes de « l’État de l’Union » de la Russie.
« Sauver la face »
Il est de la plus haute importance pour Loukachenko de « sauver la face » tout en commençant ce pivot politique (à condition bien sûr qu’il reste en fonction assez longtemps pour le mener à bien), et c’est là qu’intervient la formulation de la déclaration du Kremlin de samedi, suite au premier appel téléphonique entre lui et Poutine. La dernière phrase parle des « nations fraternelles de Russie et de Biélorussie », ce qui est une « concession » symbolique à Loukachenko après qu’il se soit plaint plus tôt dans le mois « d’une Russie passant d’une relation fraternelle à un partenariat — soudainement ». Le leader biélorusse peut donc affirmer que les deux pays sont à nouveau « frères », ce qui pourrait lui servir de prétexte pour accepter de reprendre l’intégration dans le cadre de l’« État de l’Union », même si ce sera probablement aux conditions de la Russie et non aux siennes. Cela formaliserait en effet le statut du Belarus en tant que « partenaire junior » de la Russie, ce qu’il a toujours été mais qu’il a toujours refusé de reconnaître.
Une véritable « fraternité » ou une « hiérarchie fraternelle » ?
Cela ramène l’analyse à la question posée dans le titre, à savoir si les relations russo-biélorusses sont revenues à leur nature autrefois fraternelle. La réponse est oui et non. D’une part, ils continueront probablement à réparer leurs relations après l’échec de l’acte d’« équilibrage » de Loukachenko qui menaçait de les ruiner une fois pour toutes, mais d’autre part, ils n’auront jamais de relations égales étant donné la hiérarchie en jeu. Pour reprendre la métaphore de Loukachenko, le président Poutine est son « frère aîné » et, dans les arrangements familiaux traditionnels, l’ancienneté comporte certains avantages. On peut dire la même chose des relations entre une grande puissance comme la Russie et un État comparativement plus petit et beaucoup plus faible comme la Biélorussie. Indépendamment de la rhétorique que les hommes politiques aiment à épouser, il ne peut jamais y avoir de véritable égalité entre des États aussi différents. Ce qui peut exister, cependant, c’est le respect des intérêts fondamentaux de chacun, mais la reconnaissance qu’il existe toujours une « hiérarchie fraternelle » entre eux.
Réflexions finales
La crise biélorusse est toujours très grave, bien que les développements positifs de ces deux derniers jours en ce qui concerne les relations bilatérales avec la Russie inspirent un optimisme prudent pour l’avenir. Si Loukachenko peut survivre à la guerre hybride contre lui, ce qu’il devrait plus que probablement faire seul, sans aucun soutien militaire russe, compte tenu du fait que les forces militaires étrangères sont inefficaces pour faire face à la plupart des manifestations de telles guerres, il y a de fortes chances que le Belarus accepte de renforcer son intégration avec la Russie dans le cadre de l’« État de l’Union » aux conditions de Moscou. Loukachenko peut encore « sauver la face » en affirmant qu’il a rétabli la « fraternité » de son pays avec la Russie, bien que cela ne soit qu’à moitié vrai puisque aucune véritable « fraternité » n’existerait (ou n’a jamais existé) car ce qui est réellement en vigueur, c’est une « hiérarchie fraternelle ». En tout cas, Loukachenko semble avoir enfin appris sa leçon sur l’« équilibre », mais il reste à voir s’il ne l’a pas appris trop tard.
Andrew Korybko
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