Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Note d'Ugo Bardi
Dans ce post, Jacopo Simonetta pose une question fondamentale (et politiquement incorrecte): sommes-nous sûrs que l'égalité sociale serait bonne pour l'environnement? La réponse se révèle ne pas être très politiquement correcte.
Les inégalités exagérées sont sûrement un problème majeur dans les sociétés d’aujourd’hui, et elles ne cessent d’augmenter. Moi aussi, je crois certainement que ce scandale doit cesser, mais le sujet de l’article est tout autre : est-il vrai que la redistribution de la richesse aurait un effet positif sur la santé de la Terre? Beaucoup de gens très influents croient cela, mais je n’en suis pas si sûr.
Évidemment, les gens aisés consomment beaucoup plus que les pauvres, mais de combien? Pour autant que je sache, il n’y a aucune étude corrélant l’impact environnemental et les classes sociales mais, comme point de départ, nous pourrions comparer la façon dont les émissions de CO2 changent avec le revenu. (Données de la Banque Mondiale et de Wikipedia respectivement).
Il est clair que les émissions de CO2 augmentent avec le revenu, mais moins que proportionnellement dans la partie centrale de la courbe. En fait, dans les très faibles revenus, l’augmentation des émissions est très rapide, comparativement à des hausses modestes de revenu. Puis les émissions montent assez lentement, pour revenir faire un pic avec les gens très, très riches. Les fluctuations locales importantes sont également corrélées au climat, à la géographie, aux traditions locales, à l’organisation sociale et ainsi de suite. Maintenant, comme exercice mental, nous pouvons prendre pour vraie la déclaration que 1% de la population mondiale s’approprie 50% du revenu mondial. Cela signifie que près de 75 millions de personnes gagnent un revenu moyen de 500 000 dollars par habitant et par an. Alors, imaginons que nous puissions distribuer toute cette richesse parmi les 99% restants de la population mondiale (appelons-la Opération Robin des Bois). Cela signifie plus ou moins 5 000 dollars par habitant. Même pour une grande partie de la classe moyenne occidentale, ce serait une grande aide. Pour la majorité des gens, cela changerait radicalement leur vie. Des milliards de personnes pourraient enfin manger à satiété, s’habiller décemment, vivre à l’intérieur de maisons, envoyer leurs enfants à l’école, guérir leurs malades et bien plus encore. Les gens, un peu plus haut dans l’échelle des revenus, pourraient obtenir une nouvelle voiture, aller en vacances, et ainsi de suite.
Très bien, mais quelles seraient les conséquences pour la planète ?
Essayons d’analyser la question. Si on fait une approximation grossière, nous pouvons commencer à classer l’humanité en 5 méta-catégories : les très riches (présumons qu’ils sont 1%, donc environ 75 millions); les riches (supposons 1 milliard de personnes); la classe moyenne (selon The Economist, environ 3 milliards de personnes); les pauvres (peut-être 2 milliards), et les très pauvres (selon la FAO, environ 1 milliard).
En comparant les revenus et les émissions dans les différents pays par habitant, et en supposant qu’il y a toutes les classes sociales dans chaque pays, nous pouvons affirmer que les très riches produisent environ 20 tonnes de CO2 chacun par an. Les riches 10 tonnes chacun ; les classes moyens 6 tonnes chacun, les pauvres 2 tonnes chacun, et les très pauvres 0,1 tonnes chacun. Pour un montant total d’environ 36 milliards de tonnes de CO2. L’Opération Robin des bois conduirait à la disparition de la classe inférieure et une amélioration sensible dans le style de vie des pauvres et de la classe moyenne. Dans le même temps, les super-riches disparaîtraient, alors que rien ne changerait pour les gens aisés.
Et qu’est-ce que cela signifierait en termes d’émissions de CO2 ? Eh bien, nous multiplions simplement les émissions par habitant par le nombre total de personnes par catégorie. Le résultat est un total général d’environ 55 milliards de tonnes, soit une augmentation de 50% par rapport aux émissions actuelles. L’égalité sociale ne semble pas être si bonne pour la planète.
Mais il y a plus : l’Opération Robin des bois produirait une réduction sensible de la mortalité, et probablement une augmentation de la natalité aussi, chez les personnes à bas salaires. Ainsi, on peut prédire une forte augmentation de la population, au moins pour une ou deux générations.
De toute évidence, c’est juste un exemple, pas une simulation réaliste. Mais la conclusion de base, à savoir qu’une vie meilleure pour la majorité des gens serait désastreuse pour la planète, est compatible avec les modèles les plus sophistiqués disponibles. Dans l’édition 2004 (Limites de la croissance: la mise à jour 30 ans après), le groupe Meadows a publié un scénario où les chercheurs ont supposé que, depuis 2002, le taux de natalité serait de deux enfants par femme et la production industrielle également distribuée à tout le monde, à un niveau de 10% au dessus de la moyenne mondiale de l’an 2000. Cela signifie beaucoup moins pour les gens riches et beaucoup plus pour les pauvres.
Sautant les détails, nous pouvons voir que dans ce scénario, il y a une période d’abondance qui dure environ 20 ans de plus qu’elle ne durerait dans le scénario de base (business as usual -rien ne change). Mais plus tard, le système s’effondre d’une manière très similaire. Et notez qu’aucune des personnes qui demandent aujourd’hui une répartition des richesses plus équitable ne veut de contrôle des taux de natalité. Nous n’avons aucun scénario publié à propos de ce que serait le résultat de ces hypothèses, mais ce n’est pas difficile de faire valoir qu’avec une distribution temporaire de plus de richesse à la population, le système s’effondrerait très rapidement. Un autre modèle qui est pertinent pour notre étude est HANDY. Du point de vue scientifique, ce modèle, dérivé d’un autre ultra-célèbre de Lotka et Volterra, est trop simplifié pour représenter un système aussi complexe qu’une société avancée. En particulier, il néglige des évaluations existant entre la hiérarchie, la complexité sociale, la spécialisation et la capacité du système de la société à absorber une faible entropie de l’extérieur. Malheureusement, ceci est l’une des évaluations de base qui façonnent l’évolution des sociétés humaines. Cela réduit largement la viabilité du modèle et explique l’absurdité de certains des scénarios proposés. Quoi qu’il en soit, HANDY a le mérite d’être le premier modèle à essayer d’introduire l’élément social à l’intérieur d’un modèle dynamique. Voici quelques-uns des résultats du modèle.
Le résultat ci-dessus est assez absurde, car il implique que les élites continuent de croître, même après que les roturiers se soient effondrés. Cependant, dans l’ensemble, les résultats de ce modèle peuvent donner au moins l’indication selon laquelle un niveau d’inégalité faible tend à former des sociétés plus stables et résilientes. À mon avis, un coup d’œil sur l’histoire semble confirmer cette hypothèse. Elle est compatible aussi avec ce que nous avons dit avant et avec World 3. Un bas niveau d’inégalité produit une société plus solidaire et une direction très légitime qui tend à abaisser et à étendre la phase maximale d’une société.
Mais, ce qui est important, c’est que l’égalité sociale ne suffit pas à éviter un effondrement systémique si la société est basée sur les ressources non renouvelables.
Après tout, nous avons déjà vu tout cela dans le monde réel. S’il vous plaît, observez les courbes d’émissions de CO2 aux États-Unis et en Chine entre 1990 et 2010.
L’économie américaine se traîne péniblement avec une petite augmentation du PIB, des bénéfices qui se concentrent complètement dans la classe supérieure, avec une détérioration du niveau de vie dans les classes moyennes et basses. Le résultat a été une modeste réduction des émissions.
Dans le même temps, en Chine, la vie de la grande majorité des gens s’est améliorée et les émissions ont monté en flèche. A cause de cela, la population a aussi augmenté, en dépit d’un faible taux de natalité. Imaginez si on duplique l’expérience de la Chine: croyez-vous vraiment que la planète va survivre?
Conclusions
Il est vrai que les milliardaires sont riches et que je ne le suis pas ; cela indique qu’ils sont plus experts que moi concernant l’argent et le pouvoir. Mais, néanmoins, il me semble que, historiquement, un leadership intelligent a toujours réussi à redistribuer une partie de ses revenus de manière utile pour consolider sa légitimité et donc son pouvoir politique. Cela signifie qu’une redistribution partielle des revenus serait à l’avantage, tout d’abord, des gens de la classe supérieure. Mais ceci est une leçon que l’actuelle élite, en grande partie constituée de pirates et de sociopathes, a apparemment oublié.
Deuxièmement, une telle action pourrait sûrement améliorer la vie des pauvres, mais juste pour un temps limité parce que, si cela se faisait dans le monde entier, l’expérience se terminerait par une catastrophe mondiale inimaginable. Est-ce que cela signifie que nous devons être reconnaissants à nos kleptocrates ? Je ne crois pas. Cela signifie que la réduction des inégalités doit être faite en réduisant le revenu des très riches et non en améliorant les salaires des roturiers. Mais cette perspective est refusée par tous : à droite et à gauche, au sud et au nord, et vers le bas.
Jacopo Simonetta
Note du traducteur
Cette analyse peut être considérée comme neo-malthusienne ou simplement réaliste, mais c'est là que le site d'Ugo mérite bien son nom de Cassandre. Autant pour le CO2, je doute et d'autant plus que ce sont nos amis les sociopathes qui en font la promo, autant pour la répartition de la richesse, on ne peut pas mieux le dire. Si vous relisez le dernier article de Gail Tverberg, elle explique bien que sans augmentation de salaire de la classe moyenne pour consommer, le système financier va s'effondrer et, avec lui, notre capacité à extraire des ressources fossiles supplémentaires.
Une boucle de rétroaction négative se mettrait en place, avec comme corollaire la baisse brutale de la population, spécialement là où les populations ont défié la nature, Arabie saoudite, Las Vegas, Canada, etc... Les rares pays qui semblent échapper à ce phénomène, en maîtrisant la chaîne de production de l'infrastructure de base et disposant d'une profondeur géographique pour s'étaler en cas de coup dur, sont la Russie et le Brésil, avec chacun des faiblesses, mais ils disposent de marges. Si on tient compte d'un autre facteur qui est la stabilité politique, il ne reste que la Russie, d’où probablement la pression qu'elle subit actuellement.
Si on met en avant une capacité de l’État à tenir sa population, y compris violemment, il se pourrait que la Chine puisse aussi résister. En Occident, et plus particulièrement chez nous, les villes ont été construite dans des lieux stratégiques en des temps reculés où l'énergie était comptée, et c’est peut être ce qui nous sauvera. Pour la Russie, notre ami Dmitry Orlov vient de publier un livre qui explique les trajectoires d'effondrement de l'URSS et des USA. Gageons que la Russie, ayant acquis une certaine expérience en la matière, sera prête. Il y a aussi un autre scénario qui permettrait de pallier l'impossibilité de faire monter le niveau de salaire et donc de consommation : augmenter le niveau culturel. Mais on n'en prend pas vraiment le chemin.
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