mardi 24 mai 2016

Le delta des taux d'intérêt négatifs

Article original de Dmitry Orlov, publié le 17 Mai 2016 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr


Si on revient au début des années 1980, l'économie américaine a fait l'expérience d'une stagflation : une économie stagnante et une monnaie augmentée artificiellement.





Paul Volcker, qui était à l'époque président de la Réserve fédérale, a franchi une étape décisive et a relevé fortement à 18 % le taux des fonds fédéraux, qui détermine le taux auquel la plupart des autres acteurs économiques arrivent à emprunter, gelant l'inflation. Ce fut une étape audacieuse, non sans conséquences négatives, mais il l'a fait pour maintenir l'inflation sous contrôle et, après un certain temps, l'économie américaine a arrêté sa stagnation.

Eh bien, en fait, pas tout à fait.





Les salaires n'ont pas cessé de stagner ; ils stagnent toujours depuis lors. Mais la fortune du 1 % des Américains les plus riches s'est certainement bien améliorée ! De plus, l'économie américaine a progressé un peu depuis cette époque. Bien sûr, une grande partie de cette croissance provient des déficits structurels stupéfiants et d'une explosion de l'endettement à tous les niveaux, mais, et alors ? Bien sûr, la dette nationale a grimpé de façon exponentielle et le passif non capitalisé du gouvernement est maintenant de plus de 200 mille milliards de dollars, mais tout est OK. Vous avez juste à aimer la dette. Répétez après moi  : «La dette, c'est bon !» Parce que si tout le monde devait commencer à penser que la dette est mauvaise, alors l'ensemble du château de cartes financier imploserait et on se retrouverait en slip.

Mais depuis que les taux d'intérêt ont atteint un sommet au début des années 1980, ils sont depuis sur une tendance baissière, avec des petits hauts et plutôt des bas en ce moment et, encore une fois, c'est une tendance à la baisse globale indubitable. La Réserve fédérale a dû le faire pour, en langage Fed, «soutenir l'activité économique et la création d'emplois en créant des conditions financières plus accommodantes». Une fois qu'elle a commencé à faire cela, elle a constaté qu'elle ne pouvait pas s'arrêter. Les États-Unis étaient entrés dans une spirale descendante, de paresse, d'obésité, d'ignorance, de toxicomanie, d'aventures militaires étrangères coûteuses et désastreuses, de folie bureaucratique, de corruption massive à tous les niveaux. Dans ces circonstances, il faut de l'argent toujours moins cher, afin de maintenir le château de cartes des ressources financières et d'éviter l'implosion.
Et puis, à la fin de 2008, la Fed a finalement atteint l'objectif ultime : le Fed Funds Rate a fini par toucher le zéro. C'est connu sous le nom de ZIRP, politique de taux zéro. Et, malheureusement, on en est resté là.

On en est resté là, au lieu de continuer à dériver doucement vers le bas comme avant, à cause d'une difficulté conceptuelle : comment un taux d'intérêt peut-il être négatif ? Est-il devenu un taux de désintérêt ? Comment cela peut-il fonctionner ? Après tout, les prêteurs sont intéressés à accorder des prêts, parce qu'ils en retirent plus qu'ils ne prêtent (en acceptant un certain degré de risque) ; et les déposants sont intéressés à garder de l'argent dans les banques, car ils en retirent plus qu'ils n'en déposent. Et si ces activités deviennent d'un intérêt nul, pourquoi les prêteurs continueraient-ils à prêter et et les déposants à déposer ? Ils ne devraient plus, maintenant, n'est-ce pas ? Ils devraient acheter de l'or, ou des Bitcoin, ou s'offrir des biens tangibles.



Mais finalement d'autres banques centrales dans le monde ont mis en place cette brillante innovation : les taux d'intérêt négatifs. Les deux banques centrales japonaise et européenne ont permis des taux négatifs. C'est vrai, maintenant l'argent, non seulement n'est plus gratuit, mais vous pouvez être payé pour en emprunter ! Adieu ZIRP, bonjour NIRP ! Et si vous êtes assez bête pour garder votre argent à la banque, la banque vous facture ce privilège. Bien sûr, les gens ne sont pas si bêtes, donc au lieu de mettre leur argent à la banque, ils vont acheter des métaux précieux.

Et s'ils ne possèdent pas l'argent pour acheter des métaux précieux, ils peuvent toujours être payés pour emprunter, et acheter des métaux précieux avec. Mais cela va causer une pénurie de métaux précieux. Ne vous inquiétez pas, vous et moi allons encore être en mesure d'acheter une poignée de pièces d'or et d'argent, mais qu'en est-il des fortunes du 1 % ? Elles ont besoin de la capacité d'acheter de l'or en gros, des tonnes d'or, et si elles ne le peuvent pas, alors elles vont faire une crises de nerfs et renverser la table de jeu, détruisant le château de cartes financier avec elles, et ne nous laissant rien.

Oui, c'est un danger, mais le monde est un endroit dangereux, et en attendant, nous avons un problème plus grave : la déflation. Contrairement aux années 1980, lorsque le dollar américain connaissait une inflation à deux chiffres, maintenant la plupart des choses sont de moins en moins chères. Les prix des produits sont très bas  : le pétrole, le gaz, le cuivre, l'acier, et d'autres, et cela affecte gravement toutes sortes d'entreprises. Bien sûr, l'éducation, les soins médicaux, le loyer et quelques autres choses n'ont jamais été aussi chers, mais ils sont tous facultatifs parce que, contrairement aux magnats des affaires qui souffrent, vous pouvez simplement rester ignorant, malade et sans-abri. La chose importante est qu'un litre de lait bourré de pesticides est toujours aussi bon marché, et que Walmart peut encore aligner des prix bas chaque jour sur les produits importés de mauvaise qualité. Mais il y a un problème : quand tout ne cesse de baisser, les entreprises ne peuvent plus faire d'argent et il y a des pertes d'emplois. Allo, la Réserve fédérale ?

Je pense qu'il est clair que la Fed doit faire quelque chose pour lutter contre la déflation et «soutenir l'activité économique et la création d'emplois en offrant des conditions financières plus accommodantes». Ils ont besoin de conduire les taux d'intérêt en terrain négatif. Au cours des dernières années, la Fed n'a pas suivi son programme de taux d'intérêt toujours plus bas, et a permis à un dangereux vide de se développer, que je vais appeler le delta ZIRP-NIRP. Vraiment, pour rester au milieu de leur gentil canal des taux d'intérêt toujours plus bas, ils auraient dû fixer le taux de référence à -1 %, idéalement un peu plus bas, à droite de la courbe maintenant. Je trouve cette lenteur totalement irresponsable !



Ma recommandation est donc que la Fed laisse tomber tout ce qu'elle fait et commencer à travailler dur pour conduire les taux d'intérêt à -1 % tout de suite. Et elle ne devrait pas s'arrêter là : pour rester entre les lignes de tendance qu'elle a suivies pendant des décennies, et qui sont maintenant devenues une tradition, elle va avoir besoin de maintenir l'abaissement du taux d'intérêt à partir de maintenant jusqu'à… la fin des temps. C'est parce que nous devons financer 200 mille milliards de dollars (et plus) de passif non capitalisé et que nous ne pourrons le faire qu'à travers une énorme quantité d'emprunts qui éclipseront tous nos efforts précédents, et les emprunts à intérêts annuels de -1 % ne sont pas assez bons. Mais si nous pouvons emprunter à, disons, -5 % ou -7 %, tout devrait joliment se terminer.

Maintenant, je sais que certaines personnes ne pensent pas beaucoup de bien de cette histoire. Apparemment, il y a ces choses appelées conséquences imprévues, quelles qu'elles soient. J'ai mentionné un tel scénario possible ci-dessus : les 1 % vont piquer une crise lorsque les prix de l'or et de l'argent monteront de façon stratosphérique, mais qu'ils ne pourront pas en obtenir parce que le marché des métaux précieux sera cassé. (Oups, il semble qu'il le soit déjà… Le taux de l'or à terme (GOFO) est déjà passé en territoire négatif récemment. Cela signifie que les gens vont vous donner de l'argent uniquement pour détenir votre or en garantie.)

Mais peut-être il y a une meilleure explication au dysfonctionnement du NIRP, que de faire appel à des notions vagues comme des conséquences imprévues. Après tout, l'autre côté du 0 % est une sorte de terra incognita, un monde derrière le miroir où le soleil se lève à l'ouest et les souris mangent les chats, et où des lois économiques tout à fait différentes peuvent s'appliquer, et nous ne savons pas ce qu'elles sont.

Peut-être est ce un monde dans lequel les voleurs se postent aux coins des rues et vous forcent à accepter de l'argent gratuit sous la menace d'une arme, où aller au travail est une chose stupide à faire parce que les banquiers prennent votre salaire et vous disent «Disparu !» et où tous les productifs, les gens qui réussissent, restent tout simplement au lit toute la journée en chantant des chansons de travail et en faisant danser leur doigts de pieds.

Donc, si vous pouvez imaginer une raison particulièrement bonne (ou deux ou trois) qui vous ferait penser que le NIRP pour toujours va faire effondrer tout le château de cartes financier, nous laissant sans rien, alors parlez. Mais si ça ne vient pas, alors qu'est-ce qui ne vous plaît pas dans le terme argent gratuit ? Que ce soit de l'argent, ou qu'il soit gratuit ?

Dmitry Orlov

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