Article original de James Howard Kunstler, publié le 9 mai 2016 sur le site Kunstler.com
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Pendant des années, il était facile de voir les nuages noirs
politiques s’amonceler sur l’Europe, avec ses coalitions hargneuses et
ses vieilles rengaines sur les conflits. Le père de Marine Le Pen, le
sévère et vieux Jean-Marie, était sur la scène en France, des décennies
avant que Donald Trump n’ait commencé son ascension vers la gloire en
surfant sur les nuages nocifs de la culture merdique de l’Amérique,
assisté par des hôtes célestes comme les anges Kardashian et le chérubin booboo.
Pour tous les moutons de la vie américaine moderne, le système des
deux partis avait toujours semblé aussi solide que les tours de granit
du pont de Brooklyn. Pas même l’estimable Teddy Roosevelt n’a pu le
faire sauter quand il a essayé en 1912 – bien que son parti progressiste
(Bull Moose [Parti politique créé pour l’occasion, NdT]) ait enlevé la Californie, la Pennsylvanie, et le Minnesota, et qu’il ait devancé largement le titulaire républicain, le Président Taft, qui n’avait recueilli que de maigres votes (le démocrate Woodrow Wilson a gagné cette année-là). Ross Perot a eu un impact en 1992, avec certainement un gros point fort, à propos de l’ALENA et le bruit de succion géant
créé par le drainage des emplois américains. Mais ses manières de
freluquet ne l’ont pas aidé et au moment critique, lors de l’élection
générale, il a perdu son sang-froid et s’est retiré pour bêtement
revenir quelques semaines plus tard. Ensuite, il y a eu Ralph Nader en 2000, dont la croisade égoïste a sans doute donné la Maison Blanche à George W. Bush.
Depuis lors, le pays navigue entre les longs mandats des équipes de
l’État profond de chaque grand parti, les mettant dans un tel état que
Trump grimpe maintenant au dessus de leurs vapeurs méphitiques. Ce qui
pose la question, bien sûr: qu’est exactement cet État profond?
Réponse : un Léviathan de rackets symbiotiques, produisant une
incompétence maximale nuisant à la majorité des citoyens. C’est une bête
suceuse de sang de cent mille têtes, drainant la vitalité faiblissante
des États-Unis, mentant sur ses intentions alors qu’elle annonce les
certitudes piétistes de la gauche et les shibboleths
superstitieux de la droite, laissant un trou fumant au milieu, là où
les problèmes pratiques de la vie quotidienne devraient être résolus par
des moyens pratiques.
L’État profond est aussi la somme des conséquences imprévues et des
rendements décroissants d’un stade tardif, bureaucratique, de l’économie
techno-industrielle se cannibalisant pour rester en vie. Une conclusion
évidente est que cette économie doit changer avant qu’il n’y ait plus
rien à manger, et aucune personnalité politique sur la scène, y compris
Trump ou Bernie Sanders, n’a une vision plausible d’où cela nous mène.
Les deux supposent seulement que le moteur va continuer à sortir de plus
en plus de richesses matérielles à répartir selon leurs désirs. La
vérité est qu’il y aura beaucoup moins de richesses matérielles du genre
auxquel nous sommes habitués, et une représentation du Kapital des choses beaucoup plus faible dans ce que nous appelons l’argent.
En fait, la scène visible aujourd’hui n’est qu’un spectacle des rôdeurs
les plus rusés et les plus gros, se déchirant pour les miettes de notre
festin de ces 200 dernières années, un long banquet.
Hillary Clinton, bien sûr, est l’incarnation de l’État profond, et
c’est la vraie raison pour laquelle si peu de citoyens lui font
confiance. Chaque pauvre schnock qui a été sacrément secoué par le
projet de loi sur l’appendicectomie à 90 000 dollars regarde Hillary et
sait exactement ce qu’elle représente. Chaque jeune de 25 ans sans
travail, né avec le millénaire, squattant les canapés et endetté par ses
études, voit le visage de l’État profond dans son demi-sourire
auto-satisfait. Elle a dupé principalement les soutiens de la diversité –
parce qu’ils sont la garde de l’État profond – et les femmes, parce que
c’est le tour de maman de diriger l’État profond. Jim
Rickards, auteur, financier et agent de l’État profond, continue
d’insister pour dire que l’oncle Joe Biden va finir comme candidat
démocrate. (Il l’a dit dans un tweet l’autre jour). Vous devez vous
demander ce que ce gars sait. Ne croyez pas que l’oncle Joe soit le
chevalier sur un cheval blanc que vous attendiez. Après tout, il est
vice-président de l’État profond.
Les électeurs semblent attirés par Trump, parce qu’il est si désireux de mettre un doigt à l’État profond. Il mérite ce doigt [l’État profond, NdT],
mais il doit aussi être soigneusement démonté sans faire sauter ce qui
reste de ce pays. Trump a déjà pris un bon départ en faisant sauter le
Parti républicain. Jamais auparavant, autant de responsables du parti ne
se sont dissociés (jusqu’à présent) du candidat présomptif. Je pense
que des mesures plus extrêmes contre Trump vont encore être tentées par
les mandarins du parti dans les deux mois avant la convention. Je doute
que vous entendiez parler d’elles avant qu’elles n’apparaissent.
Face à cela, le comportement de Trump devient seulement plus
enfantin. Son discours après la primaire de l’Indiana était un
chef-d’œuvre d’incohérence. Tout cela tournait autour de la magnificence
de sa victoire qui était incroyable. Intéressant, c’était le
mot juste. Il est à l’écoute de la dépression nerveuse nationale en
cours. De temps en temps, quand il ne parle pas dans le vide sur sa cote
d’amour, Trump exprime l’inquiétude légitime des victimes de l’État
profond. Il y a peu d’emplois décents en dehors des rackets de l’État
profond. Nous ne sommes pas obligés de prendre un flux illimité
d’immigrants. L’édification de la nation par des moyens militaires a été
un échec lamentable. La dette nationale est un problème.
L’infrastructure du pays est décrépite. Trump dit qu’il peut négocier
une solution à tout cela : l’art de la transaction. Souffler la fumée de
son cigare dans le cul de l’État profond n’est pas un plan.
La tragédie est de ne voir aucune figure sérieuse, adulte, s’avancer
dans ce moment dangereux de l’histoire. Le parti que prétend représenter
Trump, est lui-même perdu dans un désert de cupidité, de chauvinisme et
d’avocasserie surnaturelle. Le Parti démocrate rival plane sur les
fumées de la diversité et de l’inclusion, une politique de
niveau maternelle, qui corrode ce qui reste de notre culture commune
déjà en lambeaux. L’État profond d’Hillary ne pouvait pas trouver un
meilleur subterfuge pour faire diversion. Les deux partis sont proches
d’une complète implosion. Je ne suis pas convaincu qu’ils vont survivre à
leurs propres conventions cet été. Puis quoi?
James Howard Kunstler
Note du traducteur
J'ai laissé la traduction littérale de certaines expressions, pour montrer l'énervement palpable de l'auteur, qui tape de moins en moins sur Trump au fur et à mesure qu'il prend conscience de la capacité de celui-ci à briser le Léviathan. Il reste à surveiller le père Trump, maintenant que sa stratégie de boule dans le jeu de quilles lui a donné l'investiture.
Il faut attendre de savoir si c'est Killary qu'il aura en face, ce qui lui permettrait de continuer sur le même rythme et visiblement, il excelle à ce jeu.
Si c'est Sanders, ça sera plus délicat, car je ne le vois pas utiliser ce genre d'arguments qui glisseraient sur son adversaire. Mais ça peut aussi être fort intéressant et déboucher sur un vrai débat sur les vrais enjeux du monde. Les deux ont probablement beaucoup à apprendre l'un de l'autre.
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