Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Les écoles en Amérique aujourd’hui sont moins préoccupées par le bien-être global des élèves qu’elles ne le sont à veiller qu’ils obéissent à toutes les règles, peu importe si elles sont utiles et si cela produit de bons résultats aux tests. L’accent mis sur l’obéissance aveugle et l’apprentissage par cœur les prépare à un travail de bureau déshumanisant, où les employeurs ne cherchent même pas à faire semblant de se soucier de leur bien-être. Au lieu de cela, ils leur font honte s’ils prennent des vacances et les forcent à faire des heures supplémentaires gratuitement. Les employeurs et les administrateurs scolaires ne se soucient que de ce qu’ils peuvent produire : les enfants ne sont pas traités différemment de jouets et les employés ne sont pas traités différemment de robots.
Il est à peine exagéré de dire que la structure hiérarchique du pouvoir incarnée dans nos écoles et nos emplois est réglementée rigidement, et ces contrôles ressemblent étroitement à la relation entre un maître et un esclave. Mais il y a une différence: les esclaves ne sont pas tenus de croire qu’ils sont libres et peuvent être aussi maussades et apathiques qu’ils le souhaitent. Ils savent qu’ils sont une propriété. Ils font le strict minimum pour éviter la punition, et ils ne peuvent pas être humiliés, pas plus qu’une tondeuse à gazon ou un grille-pain pour un tel comportement. Nous, de notre côté, exigeons à la fois des étudiants et des employés qu’ils nient joyeusement et humblement leur statut de quasi esclave, et perpétuent la fiction qu’ils ne sont pas obligés de se conformer, mais agissent de leur propre gré. Ils sont progressivement rendus fous par la dissonance cognitive chronique causée par le décalage entre leur semblant de liberté et leur esclavage bien trop réel. Dans l’extrait suivant de son nouveau livre, Démence bureaucratique: Les bureaucrates américains deviennent fous, Sean Kerrigan se penche sur la nature de cet effet.
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Nous nous trouvons souvent à la merci d’exécuteurs zélés qui agissent comme s’ils étaient nos maîtres. La relation entre un maître et un esclave crée une hostilité silencieuse qui ne peut être dépassée que lorsque l’esclave est libéré. Il n’y a pas d’interaction humaine possible entre un maître et un esclave parce que leur relation est toujours éclipsée par l’inégalité de leur statut relatif. La même chose est souvent vraie des relations entre les esclaves, s’ils sont en compétition pour un statut, ou s’ils tentent de devenir des maîtres eux-mêmes, en insistant sur le respect des règles.
Sur un lieu de travail américain contemporain, cette dynamique maître-esclave est dominante et presque incontournable. Elle n’est nulle part plus apparente que dans le système scolaire, où des dizaines d’étudiants sont soumis à la volonté d’un seul enseignant. Si cet enseignant a été bureaucratisé et a renoncé à son sens de la sympathie et de la compassion, les résultats seront probablement désastreux pour les étudiants. Ils sont cooptées dans la hiérarchie en tant que serviteurs obéissants, ou, s’ils se rebellent ou sont incapables de se conformer de manière adéquate, ils sont étiquetés défectueux et jetés.
En 1832, le membre du Congrès américain James H. Gholson a dit : «Notre population esclave est non seulement heureuse, mais elle est satisfaite, paisible et sans danger.» À l’époque, ce raisonnement a été largement accepté, en grande partie parce les rébellions d’esclaves aux États-Unis étaient rares. Bien que ce point de vue puisse sembler évident pour certains dans la classe dirigeante, c’était finalement une observation peu profonde qui n’a pas reconnu la complexité de la psychologie de l’esclave. L’attitude de soumission de la plupart des esclaves a été obtenue grâce à l’utilisation répétée de la violence, et la promesse de plus de violence contre eux s’ils résistaient. Dans certains cas, les esclaves se sentaient responsables de leurs maîtres, s’identifiant avec leurs objectifs et croyant que leur position était inférieure. La privation spirituelle maintenant bien comprise qui a accompagné l’esclavage en Amérique a été rarement interrompue par des révoltes explicites d’esclaves.
Kenneth Stampp, professeur d’histoire à l’Université de Berkeley, décrit dans son livre L’institution particulière plusieurs méthodes de manipulation psychologique nécessaires pour garantir la conformité d’un esclave:
1. L’esclave doit être placé sur un pied de «soumission inconditionnelle […] L’esclave doit savoir que son maître le gouverne absolument, et il doit obéir implicitement».
2. L’esclave doit avoir un sentiment d’infériorité personnelle.
3. Faire que les esclaves «se tiennent dans la crainte» du pouvoir du maître et dans sa propension à la violence.
4. Obtenir de l’esclave de «prendre un intérêt dans l’entreprise du maître et d’accepter ses normes de bonne conduite». En général, l’esclave doit assimiler les objectifs de son maître avec les siens.
5. Créer chez l’esclave «une habitude de dépendance parfaite envers ses maîtres».
Parmi ces méthodes de contrôle, la numéro quatre est particulièrement pertinente pour la mentalité bureaucratique. Pour que les bureaucrates suivent aveuglément un ensemble précis et souvent inhumain d’instructions, il est extrêmement utile qu’ils croient en un objectif plus large que celui de l’entreprise ou du gouvernement. Et toutes ces méthodes peuvent être observées dans un environnement de travail contemporain. Alors que les pressions économiques continuent d’augmenter, la relation travailleur-employeur continue de se détériorer.
Si je pouvais ajouter un élément supplémentaire à la liste de Stampp, je soulignerais que la relation moderne maître-esclave essaie souvent de limiter le niveau du discours, en rendant certains sujets tabous et en isolant les esclaves les uns des autres, assurant que des idées corrosives ne gagnent pas de terrain parmi eux.
Chaque jour aux États-Unis, des millions de personnes se lèvent, se douchent, s’habillent et vont au travail. Elles mangent à des moments particuliers de la journée, de peur de rater une occasion. Elles suivent les instructions de leur patron, qui violent parfois directement leur code moral personnel. Elles paient des impôts, même si l’argent va vers des causes qu’elles trouvent moralement répréhensibles. Les gens rebelles qui tentent d’échapper à ces restrictions en démarrant leur propre entreprise, ou en rejoignant les rangs toujours plus nombreux des chômeurs, doivent faire face à des difficultés et des obstacles qui rendent ces chemins moins que souhaitables.
L’exigence selon laquelle ils doivent se conformer aux règles est claire pour eux très tôt dans la vie. Contrairement au mythe respectueux que l’enfance est un temps libre, idyllique et heureux, les jeunes sont soumis à une surveillance constante. Le travail est évalué avant le jeu. Ce que les enfants veulent faire est sans importance. Leurs parents, qui sont normalement les personnes les plus importantes dans leur vie, ne les voient que pendant une heure ou deux par jour et parfois seulement le week-end. Ils prennent le rôle de contremaître autoritaire. Au fil du temps, les enfants apprennent rapidement à prendre les commandes de quelqu’un qui agit comme une figure d’autorité. Pour ceux qui résistent naturellement, brutalisés par des étrangers, le coût de la résistance est souvent rude. Il est attendu d’eux qu’ils apprennent à accepter le chemin de la moindre résistance, à croire aux mensonges, à la fois les grands et les petits, ce qui leur permet de ne pas éprouver un inconfort psychologique majeur.
Naturellement, quand ils grandissent, ils imaginent qu’ils veulent vraiment se lever pour aller au travail, suivre les instructions de figures d’autorité et faire leurs preuves dans des contextes sociaux prédéfinis sur lesquels ils n’ont aucun contrôle. Ceux qui s’adaptent bien sont conformes, semblent normaux, et même le sont ou présentent ce qui passe pour la normalité dans une société qui exige la conformité. Les conformistes les plus atteints et engagés semblent profiter et trouver du réconfort dans leur capacité à intégrer, en évitant heureusement les complexités morales qui viennent souvent avec l’exercice du libre arbitre.
Au début de 1931, Aldous Huxley dans son roman Le meilleur des mondes, fait valoir que, dans une société future, pour être fonctionnel, il faudra que les gens aiment leur servitude:
Plus tard, leur esprit serait fait pour approuver le jugement de leur corps. «Nous les conditionnons à s’adapter à cette chaleur […] Nos collègues à l’étage vont leur apprendre à aimer ça. Et […] c’est le secret du bonheur et de la vertu – aimer ce que vous avez à faire. Tout conditionnement vise à cela: faire coller les gens à leur destin social incontournable.»Bien sûr, tout cela est assez arrogant; un tel contrôle rigide peut être possible lorsqu’on s’occupe de dispositifs mécaniques, mais dans le domaine de la psychologie humaine, les conséquences involontaires sont la norme, pas l’exception. En fin de compte, les ingénieurs sociaux finissent inévitablement par être des apprentis sorciers, mettant en branle des processus qu’ils ne peuvent ni comprendre ni contrôler.
Sean Kerrigan est l’auteur de La folie bureaucratique: La descente vers la folie de la bureaucratie américaine. Il a été un écrivain et critique social ces 15 dernières années, en se concentrant sur les questions de déclin économique, politique et social aux États-Unis. Formé à l’Université Temple à Philadelphie, il a travaillé pendant plusieurs années en tant que journaliste en se concentrant sur la couverture des nouvelles difficiles. Désabusé par la crise économique de 2008 et ses conséquences, il a recentré son attention sur les questions politiques et spirituelles, la plupart de ses écrits récents contestant la mythologie acceptée de la société américaine. Son travail a été présenté sur la BBC World Service Radio, les blogs populaires comme Zero Hedge et plusieurs journaux quotidiens, y compris les Bucks County Courier Times. Il maintient un site Web régulièrement mis à jour à www.seankerrigan.com et tweete comme @SeanJKerrigan.
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