samedi 20 octobre 2018

La disparition d’un journaliste saoudien pourrait secouer les marchés pétroliers

Article original de Cyril Widdershoven, publié le 14 octobre 2018 sur le site oilprice.com
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

Riyadh

Dans Le monde ne suffit pas, l’espion britannique James Bond s’attaque aux cartels pétroliers internationaux et aux opérateurs illégaux. La fiction de l’histoire est claire pour tous, mais le sujet sous-jacent est toujours d’actualité, car l’émeute médiatique en cours sur Khashoggi, le journaliste du Washington Post de nationalité saoudienne, fait pression sur la Maison des Saoud



La disparition de l’ancien journaliste saoudien, vraisemblablement au consulat saoudien d’Istanbul la semaine dernière, provoque un conflit diplomatique et stratégique sans précédent entre l’Occident et l’Arabie saoudite. Les écrivains britanniques de roman d’espionnage, John LeCarré et Ian Fleming, auraient été stupéfaits ces jours-ci, en voyant la crise croissante entourant la réputation internationale de l’Arabie saoudite et la position du Prince héritier Mohammed bin Salman. Le rôle possible de la famille royale dans l’enlèvement de Khashoggi, soutenu par la Cour royale saoudienne et les services secrets, ne s’effacera pas sans laisser d’immenses traces. La crise actuelle n’aura pas seulement des répercussions possibles pour le Royaume, car sa position internationale est menacée, elle a également influencé le jeu de pouvoir qui se déroule actuellement au Palais Royal.

Sans même connaître les faits réels de la disparition de Khashoggi, une chose est claire : l’auréole rose entourant le jeune prince à Riyad a été effacée brutalement.

Tant qu’il n’y aura pas de fait imparable, le gouvernement saoudien, qui prétend ne pas être impliqué, et le gouvernement turc, qui prétend avoir des faits tangibles montrant l’enlèvement et le meurtre de Khashoggi, la crise se poursuivra, ouvrant encore plus de plaies horribles dans les jours qui viennent. La question de Khashoggi pourrait même conduire à une situation beaucoup plus dangereuse que ce qui est actuellement discuté dans les médias ou par les politiciens occidentaux ou les forces anti-saoudiennes au Qatar, en Turquie et en Iran.

Les forces anti-MBS s’affrontent sur le terrain, car elles sont capables, sans intervention militaire ou assassinat, de saper considérablement la position du prince héritier.

Déjà, des sénateurs américains, des politiciens européens et des responsables turcs réclament des mesures très sévères à l’encontre du Royaume saoudien si des preuves de l’implication directe du gouvernement saoudien ou de membres de la famille royale, dont MBS, dans l’enlèvement et le meurtre du journaliste apparaissent.

Le blocage d’investissements potentiels ou des ventes militaires pourraient déjà faire l’objet de discussions à Washington, Londres ou Bruxelles. Le secteur financier international, qui devrait se rendre à Riyad pour la Future Investment Initiative 2018 (FII2018) dans une semaine et demie, est également à l’honneur. Une liste croissante d’investisseurs et de conférenciers, tels que Richard Branson, PDG de Virgin Group ; Khosrowshahi, PDG d’Uber ; Patrick Soon-Shiong, propriétaire du Los Angeles Times ; Steve Case, co-fondateur d’AOL, et Arianna Huffington, co-fondatrice de The Huffington Post, menacent de boycotter la conférence, ce qui porte un coup majeur au rêve de Riyad. D’autres PDG occidentaux devraient rejoindre cette liste, faisant pression sur Riyad pour qu’elle agisse rapidement. Riyad et MBS devront s’attaquer rapidement à ces problèmes, notamment en ouvrant leurs sources sur Khashoggi. À long terme, l’avenir de Riyad dépendra d’un afflux de liquidités et d’entreprises prêtes à participer à son avenir.

Un autre personnage espion, Jack Ryan (héros des livres de Tom Clancy), serait un bon conseiller pour MBS à l’heure actuelle. Le prince héritier devra maintenant jouer sur plusieurs échiquiers en même temps, traitant avec des grands maîtres à Moscou, Pékin et New Delhi pour contrer l’opposition occidentale et pour soutenir sa propre position dans le Royaume, l’OPEP et au niveau régional. De tous côtés, les dangers sont clairs. MBS est très probablement aussi un lecteur assidu de Clancy, qui essaie maintenant d’atténuer les dégâts en organisant un pivot vers l’est, vers des pays qui ont fait preuve d’une extrême retenue dans l’affaire Khashoggi.

Pourtant, les soutiens ou contrats extérieurs ne sauveront pas encore le prince héritier. Montrer de la faiblesse, alors que son rêve, Saudi Vision 2030 et FII2018, montre des fissures, cela pourrait être fatal. Il devra faire preuve de force et de dureté politique. Le réalisme est de retour en ville, les gentils docteurs vont saler les plaies déjà purulentes.

La menace qui pèse sur la position de MBS, et peut-être aussi sur le roi, fera dérailler les discussions en cours au cours des prochaines semaines entre l’OPEP et les pays non membres de l’OPEP sur la manière de traiter les sanctions américaines contre l’Iran, les tweets de Trump pour produire plus de pétrole et l’instabilité régionale. Si la position de MBS est ouvertement affaiblie, ou confrontée à un faible succès au FII2018, c’est tout l’avenir du royaume du pétrole qui est en jeu. L’instabilité interne, qui se trouve actuellement sous le tapis, éclatera à coup sûr à l’air libre. Pour le marché mondial du pétrole, cette situation constitue également une menace directe pour la stabilité actuelle du marché.

Avec le premier producteur de l’OPEP, partisan actuellement d’un accord de production pétrolière avec la Russie, affaibli ou même menacé par l’implosion du régime, les requins vont chasser très bientôt. Plusieurs membres de l’OPEP ne seront pas totalement mécontents de la volte-face de MBS, comme certains l’ont indiqué. Une Arabie saoudite instable laisse une marge de manœuvre à l’Iran, au Qatar et au Venezuela. Ces trois-là chercheront n’importe quel point faible dans la constellation de la puissance saoudienne, car cela affaiblira aussi le lien Moscou-Riyad. La disparition de Khashoggi à Istanbul fait également entrer la Turquie en tant que joueur. Erdogan et MBS ne se parlent plus depuis des années, tandis que l’Iran et le Qatar ont Ankara dans leur poche.

Cyril Widdershoven

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