Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Notre tâche consiste à définir les aspects louables de l’irresponsabilité, et pour ce faire, nous devons d’abord définir l’irresponsabilité elle-même. Et là, nous découvrons immédiatement plusieurs possibilités. Il y a l’irresponsabilité par action, être irresponsable en commettant des actes irresponsables. Il y a aussi l’irresponsabilité par omission, être irresponsable en n’agissant pas de manière responsable. Et ne négligeons pas de mentionner l’irresponsabilité volontaire, qui consiste à refuser d’accepter ou de reconnaître ses responsabilités. Enfin, il y a la méta-irresponsabilité, qui consiste à considérer la question de la responsabilité d’une manière irresponsable, comme dans : « Votre discussion sur la responsabilité devient fatigante ! »
Mais un tel recueil d’irresponsabilité ne semble guère éclairer la question de savoir ce qui est digne d’éloges à ce sujet. Faisons donc un peu marche arrière. Tout d’abord, définissons la responsabilité. Ensuite, nous exposerons ses nombreux aspects déplorables, détestables, répréhensibles. Et puis, enfin, par une simple négation, nous arriverons à l’irresponsabilité et à ses aspects louables et dignes d’éloges. Allons-y, jetons-nous à l’eau !
Partie 1
Pour commencer, la responsabilité n’est pas un trait humain unique, et certains des sentiments de responsabilité les plus puissants, et leurs expressions, sont basés sur l’instinct. Observez une chatte de gouttière évacuer ses chatons d’une étable en feu, ou le hérisson mâle surmonter son aversion naturelle pour toutes les choses vivantes autres que les choses savoureuses, en particulier les autres hérissons, afin de s’accoupler. Dans les espèces plus sociales, y compris la nôtre, ce sens inné de la responsabilité envers nos jeunes va au-delà de notre propre progéniture et englobe celle de notre famille, notre bande, notre tribu et notre espèce. Quels monstres serions-nous si nous n’étions pas poussés à la compassion par la vue d’un enfant sans défense laissé dans un panier au bord d’une autoroute ? Mais il n’est pas nécessaire de moraliser, car c’est ce que fait la nature pour nous, triant toutes les espèces et variétés d’animaux en deux tas : ceux responsables envers leurs petits, et ceux en voie d’extinction.
Il est clair qu’agir de façon responsable envers nos propres jeunes et, par extension, envers ceux des autres, est une bonne et louable sorte de responsabilité, à laquelle la nature et l’homme doivent donner leur approbation. Mais pour être si responsable, il faut d’abord produire des jeunes envers qui agir de façon responsable. Notre responsabilité s’étend-elle alors à la procréation ? La nature dit « oui » : considérez, encore une fois, le hérisson mâle héroïque, dépassant sa haine naturelle pour tous les êtres non comestibles et bravant le danger d’aiguilles tranchantes pour y risquer son bas-ventre afin de générer quelques bébés hérissons.
Mais nous entendons souvent de nos concitoyens des cris larmoyants : comment il serait irresponsable de faire naitre un enfant dans un monde aussi horrible et misérable, plein d’armes nucléaires prête à être lancées, de systèmes financiers instables prêts à imploser, de ressources naturelles épuisées, de dégâts environnementaux, de réchauffement planétaire, de bla-bla-bla. Et, bien sûr, il y a cette surpopulation ! Peu importe le fait que beaucoup de pays sont plutôt surpeuplés de personnes âgées et sous-peuplés de jeunes. La surpopulation chez les personnes âgées est toujours un problème temporaire, parce que peu importe leur nombre, et peu importe l’héroïsme des efforts pour prolonger leur vie, les personnes âgées
- Ne vivent pas éternellement et,
- Ne se reproduisent pas.
Parce que si les origines de la responsabilité se trouvent dans notre nature instinctive et englobent ceux qui nous sont les plus proches – notre famille, notre bande, notre tribu… – il semble naturel de penser que nous devrions nous sentir plus responsables envers ceux qui nous sont les plus proches – nos parents et nos enfants. En retour, il va de soi que nous sommes d’abord et avant tout responsables d’avoir des enfants, sans quoi notre sens des responsabilités envers eux fonctionnerait à vide. Il va de soi, en outre, que cette responsabilité doit être assumée en priorité absolue, tant que nous sommes jeunes et en bonne santé, au lieu d’attendre qu’il soit trop tard et de laisser l’exercice de la procréation se transformer en une expérience médicale longue, coûteuse et risquée. Un autre avantage de cette approche est qu’avec un peu de chance, vos enfants auront des grands-parents relativement jeunes et capables à qui vous pourrez rapidement confier la plus grande partie de la responsabilité de leur éducation, vous libérant ainsi du temps pour faire autre chose.
À ce stade, certaines personnes pourraient se lever et dénoncer une approche aussi irresponsable à l’égard de la parentalité, prétendant que la bonne approche consiste d’abord à poursuivre toutes les possibilités d’éducation que le monde a à offrir, puis à travailler avec diligence pour établir une carrière illustre, et seulement après avoir établi un niveau de vie de classe moyenne, donner naissance (ou, pour un petit supplément, adopter) un ou deux enfants précieux (à l’aide des technologies miraculeuse de reproduction) sur lesquels prodiguer argent et attention. Mais la plupart des gens ignorent ces conseils non sollicités et ont d’abord et avant tout des bébés. En d’autres termes, près de la moitié de tous les enfants qui naissent actuellement aux États-Unis naissent dans des conditions qui sont techniquement définies comme de la « pauvreté ». (Cela signifie en réalité que l’État et le gouvernement fédéral doivent payer la nourriture, le logement et les soins médicaux.)
Est-il irresponsable d’avoir des enfants, juste parce que vous êtes en âge de procréer et fertile, que vous n’avez pas les moyens de subvenir financièrement à leurs besoins ? Oui, c’est irresponsable, et c’est louable ! C’est aussi votre plus grande responsabilité. Comment, me demanderez-vous, est-il possible d’être à la fois responsable et irresponsable ? La responsabilité est une question de contrôle. Vous ne pouvez être responsable que de ce que vous pouvez contrôler. Si vous êtes forcé d’assumer la responsabilité de ce que vous ne contrôlez pas, votre responsabilité est de repousser cela aussi fort que possible.
Vous contrôlez votre corps. Vous pouvez, jusqu’à un certain point, et si vous avez de la chance, contrôler vos enfants. Vous pourriez être en mesure d’exercer un certain contrôle sur les autres autour de vous, surtout une fois que vous aurez établi que vous avez déjà agi de façon responsable envers eux. Votre domaine de responsabilité et votre domaine de contrôle ont tendance à être égaux et concentriques, et toute asymétrie entre eux est rarement en votre faveur. Au-delà d’eux se trouvent toutes les choses que vous ne pouvez pas contrôler, pour lesquelles vous pouvez être le plus louablement irresponsable.
La pratique d’une telle irresponsabilité louable est loin d’être simple, car être forcé d’accepter la responsabilité de choses sur lesquelles on n’a aucun contrôle est l’une des formes les plus courantes d’oppression, et se débarrasser du joug de l’oppression n’est jamais une tâche facile. Nous aborderons dans la Partie III la question de savoir en quoi consiste la responsabilité sans contrôle.
Dmitry Orlov
Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
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