Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Lorsque j’ai publié l’article précédent sur les prévisions toujours plus précises de l’élévation du niveau des océans, je ne savais pas que je m’enfonçais dans un « débat sur le changement climatique ». Mais beaucoup de lecteurs ont réagi à cet article en disant que « le changement climatique est un canular » ou que je suis « un clone d’Al Gore ». Étant donné que cet article examine et tente d’interpréter certains des rapports scientifiques les plus fiables, les plus conservateurs et les plus consensuels qui soient, il n’aurait pas dû donner lieu à la moindre controverse.
Une partie potentiellement controversée de l’article tient au fait qu’il souligne que les estimations consensuelles excluent certaines catégories de risques, qui peuvent être assez graves mais sont actuellement mal comprises. Compte tenu de ce niveau élevé d’incertitude, les scientifiques font preuve de prudence lorsqu’ils les intègrent dans leurs estimations. C’est compréhensible : un médecin y réfléchirait sans doute à deux fois avant de dire à une patiente qu’il lui reste entre 3 mois et 30 ans. Par contre, si votre médecin vous dit que vous êtes sur le point de mourir… ce jour ou le suivant, vous auriez le droit de demander un deuxième avis. Mais peu de gens ont soulevé des objections sur cette base.
J’estime qu’il n’est pas nécessaire que le débat sur le changement climatique s’enlise dans la controverse. La controverse résulte du fait que l’on tente d’intégrer et de vendre le changement climatique dans le cadre d’un processus politique : « Un changement climatique catastrophique en résultera si nous ne réduisons pas l’activité industrielle nuisible. » C’est l’idée qui sous-tend diverses initiatives internationales visant à limiter les émissions de gaz à effet de serre, telles que Kyoto et maintenant Copenhague. Les données scientifiques vont d’un côté, les politiques éclairées de l’autre, et les prix Nobel sont distribués. Le grand public est polarisé entre ceux qui applaudissent et acclament et disent « le plus tôt sera le mieux » et ceux qui secouent la tête ou lancent des invectives.
Il y a aussi quelques personnes réfléchies qui pensent que la législation internationale sur le changement climatique est l’œuvre des Illuminati qui veulent créer un gouvernement mondial, que le meilleur moyen d’aborder le sujet du changement climatique est d’étudier l’activité des taches solaires tout en laissant le reste aux mécanismes miraculeux du marché libre, et que le dioxyde de carbone ne provoque pas d’effet de serre, mais que ce ne sont que des gaz qui donnent sa saveur au champagne (cette proposition exige plus de recherche ; envoyez-moi des échantillons à tester).
Considérons, cependant, l’allégorie suivante. Imaginez que je marche le long d’une crête de montagne, alors que dans un chalet cossu dans la vallée, des scientifiques, des politiciens et des industriels progressistes se réunissent pour discuter de l’atténuation du changement climatique en buvant du Glüwein et en dégustant des fromages et des saucisses locales étonnantes. Et puis, par inadvertance (car je ne ferais jamais une telle chose exprès !), je déloge un rocher. Le rocher descend en trombe de la crête et en dévalant la pente, il déloge d’autres rochers, et bientôt il y a une avalanche de rochers, tous suivant des chemins imprévisibles comme les rochers ont l’habitude de le faire, mais certains visent clairement le chalet plein de scientifiques et d’hommes politiques. Alarmés par le tumulte qui s’approche, les scientifiques sortent leurs jumelles et leurs ordinateurs portables, font un peu d’analyse et déclarent avec une grande confiance : « Cette avalanche est causée par Dmitry Orlov qui déloge des rochers de la crête et il est très probable que ce chalet sera détruit en conséquence ! ». Et puis les politiciens décident d’agir sur la base de ce rapport faisant autorité, rigoureusement documenté et consensuel, et de proposer une évacuation forcée immédiate du chalet. Ils signent également un traité international qui interdit à Dmitry Orlov de déloger d’autres rochers de la crête au-dessus dudit chalet. Bien sûr, je vais m’abstenir de déloger d’autres blocs rocheux (ce que je n’allais pas faire de toute façon). L’avalanche, d’une manière ou d’une autre, manque le chalet, le laissant complètement intact et se va se fracasser dans un ravin de manière inoffensive. Les scientifiques et les politiciens meurent tous de toute façon, parce que, voyez-vous, la Glüwein qu’ils buvaient était contaminée par quelque chose de mortel. Plus tard, le chalet est détruit par un astéroïde.
Confus ? Parfois, une bonne façon de clarifier un point de confusion est d’introduire un nouveau terme. Permettez-moi d’ajouter un mot à votre vocabulaire : « anthropoclastique », consistant en « anthropo- » (du grec anthropos, homme) et « -clastique » (du grec klastos, cassé en morceaux). C’est un terme qui sonne très bien, mais qui n’est pratiquement pas utilisé. Le « changement climatique anthropoclastique » rappelle le « changement climatique anthropique », qui est une théorie selon laquelle le changement climatique est déclenché par l’activité humaine, comme la combustion de combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel), l’agriculture (par la déforestation, le pet de vache, etc.), la fabrication du ciment, les fuites ou la combustion de gaz dans l’atmosphère, l’industrie chimique, la liste est très longue. Le changement climatique anthropique est la théorie selon laquelle ces activités humaines perturbent fortement le climat. Le changement climatique anthropoclastique est la théorie selon laquelle un climat très perturbé, ce que nous avons déjà, perturbe fortement les activités humaines et, par conséquent, détruit la vie humaine. La théorie anthropogénique est un cas où l’homme pointe le doigt accusateur vers l’homme, alors que la théorie anthropoclastique est un cas où l’homme pointe le doigt accusateur vers la nature. Je vous laisse le soin de décider lequel des deux gestes est le plus futile, mais, hormis les gestes futiles, je crois qu’il y a des mesures à prendre pour nous permettre de survivre au changement climatique, et que ces mesures devraient être dûment prises en considération avant qu’il ne soit trop tard.
J’espère que le fait de se concentrer spécifiquement sur les dimensions anthropoclastiques du changement climatique éliminera la plupart des débats stériles ou des absurdités politiques qui assombrissent tant d’esprits, car le changement climatique en soi est quelque chose que nous pouvons tous observer de première main. Certains des éléments de preuve particulièrement convaincants nécessitent un voyage dans un endroit exotique, comme la toundra arctique, les glaciers du Groenland, les plateaux de glace de l’Antarctique ou l’océan au-dessus du cercle arctique, et comme nous ne pouvons pas tous faire un tel voyage ou avoir l’expérience et les connaissances préalables pour interpréter ce que nous pourrions y voir, nous devons nous fier aux observations des autres. Prenons, par exemple, ce que David Barber, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en sciences des systèmes arctiques à l’Université du Manitoba, a dit au Parlement canadien sur la disparition de la banquise arctique qui avait persisté pendant des dizaines de milliers d’années : « Nous sommes presque à court de glace pluriannuelle dans l’hémisphère nord…. Je n’ai jamais rien vu de tel depuis 30 ans que je travaille dans l’Extrême-Arctique…. D’un point de vue pratique, nous avons presque un Arctique libre de glace saisonnière. »Ceux qui détestent faire confiance au témoignage des experts et préfèrent ne faire confiance qu’à leurs propres yeux peuvent voir par eux-mêmes. Pour pouvoir faire vos propres observations, il serait utile que vous fassiez partie des personnes âgées qui ont vécu toute leur vie au même endroit, tirant une partie de leur subsistance et de leur inspiration du monde naturel qui les entoure, et qui sont donc obligées d’y prêter attention. Sans cela, certains de vos témoignages devraient être de seconde main : vous pourriez trouver quelques personnes comme ça, et leur demander si elles ont vu des changements importants en ce qui concerne le temps, les arbres, les animaux et ainsi de suite. S’il leur semble que vous êtes vraiment prêt à écouter, vous repartirez avec une oreille pleine, croyez-moi ! Partout dans le monde, mais surtout dans le Grand Nord, nous avons, à tout le moins, connu une longue période ou le temps s’est affolé.
Au cas où cela aiderait, je partagerai avec vous certaines de mes propres observations. J’ai grandi dans le golfe de Finlande, en Russie, un territoire finlandais occupé. Avant la Révolution, les Finlandais faisaient partie de l’Empire russe et, quelque temps après leur indépendance, ils se sont alliés à l’Allemagne nazie et ont commencé à s’armer contre la Russie. Puis l’Allemagne nazie a envahi la Pologne, et l’Union soviétique la Finlande pour reconquérir la Carélie, la province la plus orientale du pays. J’ai grandi à Kuokkala ; la ville voisine était Kilomäki, mais une fois que les Russes eurent changé les panneaux dans les gares, peu de gens à part mes grands-parents semblaient se rappeler les noms d’avant.
Malgré l’expulsion des Finlandais, grandir en Carélie m’a fait découvrir très tôt la culture finlandaise du ski de fond. Le nombre de skis par personne et par ménage était ridiculement élevé. Les greniers étaient pleins de vieux skis en bois, et toute une branche de la science était consacrée aux façons de les farter. Après avoir conquis toutes les collines locales et le labyrinthe de pistes de ski de fond qui sillonnaient les forêts avoisinantes (j’ai parfois été remorqué par un grand chien de famille désobéissant), je me suis aventuré dans le golfe, jusqu’à la voie maritime dégagée par les brises-glace, avant de revenir sur la terre ferme.
Un hiver, une énorme tempête s’est abattue sur la plage et a fait basculer de nombreuses couches de glace épaisse. Elle n’a pas complètement fondu avant le milieu de l’été, et nous avons dû grimper sur la glace pieds nus pour aller patauger dans du sable jaune propre et nager dans une eau bleue pâle, fraîche, froide et cristalline. Quelques années plus tard, ma famille a déménagé, et vingt ans plus tard, quand je suis revenu visiter mes repaires d’enfance, la ligne de flottaison autrefois vierge portait une épaisse couche d’algues en décomposition, l’eau était tiède et trouble, et on m’a conseillé de ne pas marcher dedans à cause du risque de contracter une hépatite, le Giardia et une série de parasites intestinaux.
Le golfe de Finlande continue de geler et, en 2003, il a gelé à une profondeur de 80 centimètres (2,6 pieds), mais pour de nombreux autres plans d’eau, la glace est devenue peu fiable. Un de mes amis finlandais a grandi dans le Vermont (une petite province montagneuse qui borde le Canada) où il conduisait une fourgonnette chargée sur la glace du lac Champlain, naviguant à la lumière du rivage. Il me dit qu’au milieu de l’hiver, la glace était épaisse, lisse, solide et sans neige. Si vous essayez de suivre ce chemin aujourd’hui, vous risquez fort de vous noyer. Le graphique suivant illustre l’histoire en chiffres : il montre le nombre d’années par décennie pendant lesquelles le lac a gelé pour un mois donné [source].
Si les hivers étrangement chauds sont devenus la norme, qu’en est-il des étés ? L’été dernier, alors que je vivais sur un voilier dans le port de Salem Harbour, au Massachusetts, j’ai décidé de frotter le fond de mon bateau. J’ai donc mis un tuba, des palmes et le Speedo obligatoire, pris une brosse et sauté par-dessus bord. J’en suis sorti près d’une heure plus tard, pas le moins du monde refroidi, mais incrusté de petites crevettes qui ont mis un certain temps à se détacher. Les eaux côtières de la Nouvelle-Angleterre ne sont pas censées être aussi tièdes. Je n’étais pas non plus le seul à avoir remarqué le changement. Salem News avait ceci à dire à ce sujet : « En juillet, les températures à la surface de l’océan ont atteint le plus haut niveau jamais enregistré au cours de ce mois, selon la National Oceanic Atmospheric Administration. La NOAA a commencé à tenir des registres en 1880… La température moyenne mondiale de l’eau en juillet est d’environ 63 degrés [F, 17,2 °C], selon le National Climatic Data Centre de la NOAA à Asheville, [Caroline du Nord]. Mardi, la température de l’océan à la bouée la plus proche de Beverly et Salem était de près de 73 degrés [F, 22.2 °C] selon le site Web de la NOAA. »
Ainsi, vous n’avez pas besoin de penser que l’homme a causé le changement climatique, ou que l’homme peut arrêter le changement climatique avant qu’il ne soit trop tard, mais mon sentiment est que soit vous serez d’accord que des changements climatiques étranges et dramatiques se préparent, soit vous n’avez simplement pas fait vos devoirs. Sur cette question, je ne vois tout simplement pas de place pour un débat légitime. Les preuves sont là.
Il n’est pas non plus controversé que des conditions climatiques inhabituelles affectent la capacité des agriculteurs à produire des aliments. Je n’ai pas besoin de chercher trop loin pour trouver des exemples : en Nouvelle-Angleterre, où j’habite, les agriculteurs reçoivent en ce moment une aide fédérale en cas de catastrophe, car ils ont perdu plus de la moitié de leur récolte. Selon la délégation du Congrès du Massachusetts, qui a demandé l’aide du gouvernement fédéral, « les précipitations ont été de 148 % supérieures à la normale en juin, ce qui a également été le sixième mois de juin le plus frais jamais enregistré à Boston et à Worcester, et probablement le deuxième mois le plus couvert depuis 1885. En juillet, les précipitations ont été de 200% supérieures à la normale, avec des températures plus basses correspondantes ; Les producteurs de maïs du comté de Norfolk ont vu 83% de la valeur de leur récolte détruite. Dans le comté d’Essex, les producteurs de fraises n’ont pas pu pas mettre plus de 35% de leur récolte sur le marché » rapporte le Boston Globe.
La Nouvelle-Angleterre n’est pas un cas unique ; partout où vous regardez, l’agriculture est attaquée par les changements climatiques. Le problême posé par ce temps étrange rend de plus en plus difficile pour les agriculteurs de décider quoi planter, quand et où le planter. Selon le paléoclimatologue J.P. Steffensen, c’est la stabilité du climat qui a prévalu au cours des 10 000 dernières années qui a rendu l’agriculture possible :
« Vous pouvez vous demander pourquoi les êtres humains n’ont pas fait la civilisation il y a cinquante mille ans. vous savez qu’ils avaient autant de cervelle qu’aujourd’hui. Quand on se place dans un cadre climatique, on peut dire : ‘Eh bien, c’était l’ère glaciaire’. De plus, cette période glaciaire était si instable sur le plan climatique qu’à chaque fois qu’il y avait un début de culture, il fallait qu’ils bougent. Vient ensuite l’interglaciaire actuel – dix mille ans de climat très stable. Les conditions idéales pour l’agriculture. Si vous le regardez sous cet angle, c’est incroyable. Les civilisations en Perse, en Chine et en Inde commencent au même moment, il y a peut-être six mille ans. Elles ont toutes développé l’écriture et la religion et elles ont construit des villes, toutes en même temps, parce que le climat était stable. Je pense que si le climat avait été stable il y a cinquante mille ans, cela aurait alors commencé. Mais ce n’était pas le cas. »Steffensen est un néo-catastrophiste – un climatologue qui croit aux changements climatiques abrupts et catastrophiques. Comme tous les autres climatologues. Ils ne fondent pas leur croyance sur une théorie exotique ou un modèle informatique complexe ; en fait, ils sont souvent incapables d’expliquer les mécanismes sous-jacents. Au lieu de cela, ils ne peuvent tout simplement pas ignorer les preuves empiriques accablantes qu’ils ont recueillies. Pourtant, même après avoir écouté un néo-catastrophiste dire les choses telles qu’elles sont, je ne vois aucune raison de penser que l’agriculture échouera partout à la fois, et entraînera une famine massive instantanée. Il semble plus probable que, à mesure que l’agriculture deviendra de moins en moins fiable, la malnutrition deviendra chronique dans de nombreux endroits, entraînant des taux de mortalité élevés, de faibles taux de natalité et une forte mortalité infantile, et une diminution générale de la population sur plusieurs générations.
Le changement climatique anthropoclastique ne doit pas nécessairement être une catastrophe, mais il peut être rendu catastrophique en s’accrochant à un modèle agricole de production alimentaire défaillant. Si nous insistons pour que les agriculteurs produisent des monocultures de rente sur le modèle industriel, nous mourrons tous de faim. Mais si, au lieu de cela, les gens font un effort concerté pour reconquérir l’ensemble du paysage, tant rural qu’urbain, pour la production alimentaire informelle, la culture d’espèces végétales comestibles sur les anciens terrains de golf, les parcs de stationnement, les cimetières, les espaces verts urbains, les arrières cours des banlieues, les toits et balcons urbains, les pelouses devant les maisons bourgeoises, alors il semble fort probable que, peu importe la manière dont le climat se reflète une année donnée, quelque chose quelque part portera des fruits, suffisamment pour aller jusqu’à la saison suivante.
Les aliments sauvages peuvent aussi faire une différence. L’été dernier, les forêts de la Nouvelle-Angleterre étaient pleines de baies non cueillies. Nous n’avons pas cueilli de baies cette année, mais nous avons eu l’occasion de cueillir des champignons sauvages, qui ont connu une belle année. Au moment où j’écris ces lignes, des guirlandes de champignons sauvages sèchent dans notre couloir. L’homme ne vit pas que de champignons, mais c’est un début. Et nous devrions commencer, le plus tôt sera le mieux, mais certainement avant que les étagères des magasins soient vides, tout comme celles de votre garde-manger. L’atténuation des changements climatiques anthropoclastiques ne dépendra pas des politiciens, des scientifiques ou des industriels, mais de moi et de vous.
Dmitry Orlov
Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
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