jeudi 27 août 2020

Le piège de Thucydide

Article original de Andreas Kluth, publié le 29 juillet 2020 sur le site Bloomberg

Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
 

Xi Jinping pourrait faire les mêmes erreurs que l’empereur Guillaume II

Nicolas Asfouri/AFP via Getty Images

L’animosité entre la Chine et les États-Unis était montée d’un cran au début de l’année, et elle ne cesse de s’aggraver. Que les deux puissances lancent des accusations sur la Covid-19, qu’elles ferment leurs consulats respectifs, qu’elles s’entrechoquent dans la mer de Chine méridionale, qu’elles intensifient leur guerre commerciale ou qu’elles se vilipendent mutuellement dans des discours, elles semblent se diriger vers des affrontements de plus en plus âpres.

Certains disent qu’il s’agit d’une nouvelle guerre froide. Mais cette étiquette ne correspond pas tout à fait à lq réalité, car rien ne semble figé dans l’impasse, et le reste du monde n’est pas – ou pas encore – divisé en camps opposés. Il s’agit d’un type de rivalité différent, qui touchera tous les aspects de la politique, de l’économie, de la technologie et de la finance mondiales au fur et à mesure qu’elle se durcira, et cela pourrait un jour se terminer par une guerre chaude.

Les spécialistes appellent ce genre de spirale de conflit un « piège de thucydide ». Il s’agit de la tendance apparente à la guerre , tout au long de l’histoire, chaque fois qu’une nation montante défie une puissance en place. L’étiquette vient de l’historien de la Grèce antique qui a fait une chronique si perspicace de la guerre complexe du Péloponnèse, qu’il croyait causée en fin de compte par la montée d’Athènes et la peur que cela a provoqué à Sparte.

Mais dans le cas des États-Unis et de la Chine, il y a une bien meilleure analogie, décrite par des historiens et des économistes. Il s’agit de la lutte entre l’Empire britannique et le jeune Empire allemand après son unification en 1871.

Cette époque, comme la nôtre, était celle de la révolution industrielle et technologique et de l’inquiétude autour de la mondialisation. Comme les États-Unis, la Grande-Bretagne était une démocratie qui croyait largement à la liberté des marchés. Et comme les États-Unis l’ont fait depuis la Seconde Guerre mondiale – du moins, jusqu’à la présidence de Donald Trump – le Royaume-Uni a chaperonné un ordre international réglementant le commerce et la finance, en supervisant la « Pax Britannica ».

À l’opposé, ressemblant à la Chine d’aujourd’hui, se trouvait l’Allemagne, un État autocratique qui était frustré d’avoir tardé à s’industrialiser et était déterminé à dépasser le leader, avec des politiques économiques et nationalistes dirigées par l’État. Tout comme la Chine aujourd’hui, l’Allemagne a fait cela en partie en volant des brevets et des technologies, et en poussant agressivement à adopter des alternatives aux normes de son rival.

À l’époque, par exemple, une course était engagée pour la norme dominante dans les communications radio. Les Britanniques ont utilisé et soutenu la technologie mise au point par l’inventeur italien Guglielmo Marconi. Les Allemands, sur ordre du Kaiser Wilhelm II, ont tout fait pour développer et diffuser leur propre norme, à partir d’une société appelée Telefunken, à laquelle la Grande-Bretagne a résisté à chaque fois que c’était possible mais qu’elle n’a pas pu faire taire. Aujourd’hui, l’analogie serait les réseaux de télécommunications 5G, et la campagne mondiale de l’Amérique pour exclure le principal fournisseur chinois, Huawei Technologies Co.

À ces deux époques, le challenger craignait d’être encerclé géographiquement et cherchait à s’imposer avec d’énormes projets d’infrastructure à motivation géopolitique. L’Allemagne, tournée vers l’Est, a tenté de construire la voie ferrée Berlin-Bagdad [La BagdadBahn, NdT] pour avoir un accès à l’océan Indien et contourner la marine britannique [le détroit de Gibraltar et le canal de Suez, NdT]. La Chine, en regardant vers l’ouest, a développé l’initiative « Belt and Road », un plan pour relier les ports, les voies maritimes, les lignes ferroviaires et les systèmes d’information à travers l’Eurasie et l’Afrique. Le projet allemand a été interrompu par la Première Guerre mondiale ; celui de la Chine se heurte à l’opposition de certains pays situés le long de la route.

Ces rivalités se sont d’abord intensifiées sans provoquer de conflit militaire. Le Royaume-Uni, tout comme les États-Unis aujourd’hui, a alors imposé des droits de douane punitifs qui n’ont pas donné grand-chose, a ensuite essayé d’autres choses, sauf le conflit armé. Sur le plan diplomatique, le fait que l’Allemagne au XIXe siècle et la Chine plus récemment aient d’abord eu des dirigeants suffisamment sophistiqués les a aidé à rendre leur propre pays plus fort sans risquer un conflit généralisé.

Dans le premier cas, il s’agit du chancelier Otto von Bismarck, qui a orchestré la montée de l’Allemagne sous le règne de deux Kaisers jusqu’à ce qu’il soit renvoyé par le troisième, Guillaume II, un personnage vaniteux et peu sûr de lui qui se sentait aussi menacé par les « experts » que Trump aujourd’hui.

L’équivalent de Bismarck en Chine était Deng Xiaoping, qui, en tant que « chef suprême », a supervisé l’industrialisation de la Chine, mais sans s’opposer ouvertement aux Américains. Sous l’impulsion de l’un de ses successeurs, Hu Jintao, cette politique visant à éviter le piège de Thucydide – et plus précisément le précédent anglo-allemand – ici évoqué et que Pékin avait étudié en profondeur – est devenu la doctrine officielle sous l’étiquette de « montée pacifique ».

Mais finalement, l’esprit du temps avait changé. Guillaume II, un cousin du roi d’Angleterre George V, d’une part, admirait et enviait tout ce qui était anglais et, d’autre part, cultivait un militarisme grossier et chauvin, changeant d’uniforme plusieurs fois par jour. Le président chinois Xi Jinping estime suffisamment les États-Unis pour envoyer sa fille – sous un pseudonyme – obtenir un diplôme de l’université de Harvard. Mais sa politique étrangère est connue sous le nom de « diplomatie du guerrier-loup », d’après un film burlesque sur les crampons chinois qui bottent les fesses des Occidentaux.

Trump, qui est Wilhelmien dans son narcissisme et sa myopie stratégique, a certainement aggravé la situation. Mais même une victoire de Joe Biden en novembre pourrait ne pas suffire à modifier la dynamique fondamentale du piège de Thucydide.

Tandis que l’Allemagne de Guillaume II intimidait, posait et provoquait, la Chine de Xi sévit de plus en plus contre Hong Kong et les Ouïgours du Xinjiang, affronte ses voisins de l’Himalaya à la mer de Chine méridionale et menace Taïwan.

L’histoire, bien sûr, n’est pas condamnée à se répéter. Et pourtant, les habitants de Pékin, de Washington et d’autres capitales feraient bien de la relire, de peur que notre génération ne soit elle aussi « somnambule » dans une guerre mondiale. En 1914, comme aujourd’hui, le système international était devenu trop complexe pour que les antagonistes puissent le comprendre. Et puis une mèche a été allumée en Bosnie, un endroit que beaucoup d’Allemands et de Britanniques n’auraient pas pu trouver sur une carte. À notre époque, cela peut se produire sur le journal de bord d’un ordinateur qui a été piraté par un ennemi, ou sur un rocher inhabité dans la mer de Chine méridionale.

Andreas Kluth

Note du traducteur 
 
Le parallèle historique est intéressant. Il est même fort probable que l'auteur pense réellement ce qu'il écrit au delà de la caricature de l'ennemi, chinois en l'occurrence. Même si ses arguments sont quelque peu fallacieux, il n'en demeure pas moins que le danger existe bel et bien car dans le cadre du politiquement correct occidental, le "camp du Bien" s'est donné moralement le droit d'attaquer.
 

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