mardi 21 avril 2020

Liquidation forcée

Article original de James Howard Kunstler, publié le 27 mars 2020 sur le site kunstler.com
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr


Les historiens du futur, qui, en juin, feront griller des insectes fraîchement attrapés sur leur feu de camp, pourront se demander quand, exactement, a eu lieu le moment où le monde financier a largué la réalité. Était-ce lorsque Nixon a fermé la « fenêtre de l’or » [1971] ? Quand le « maestro » Alan Greenspan a embobiné pour la première fois une commission des finances du Sénat ? Quand pets.com a été liquidé 268 jours après son introduction en bourse ? Quand Ben Bernanke a déclaré que la bulle immobilière était « contenue » ?





Si notre réalité est un monde d’activité humaine, alors la finance en est aujourd’hui complètement dissociée pour la raison évidente que, pour l’instant, il n’y a plus d’activité humaine. Tout le monde, sauf les médecins, les infirmières et certains fonctionnaires, est enfermé. Ainsi, la seule autre chose qui tourne encore par elle-même est la finance et, pour ceux d’entre nous qui la regardent depuis leur isolement, cela ressemble de plus en plus à une hallucination en format IMAX avec le son Dolby.

Combien de mortels peuvent même prétendre comprendre les transactions qui se déroulent actuellement entre les fonctionnaires du Trésor et les banques ? Leurs propres termes – TALF, véhicules à usage spécial, facilités de financement de papier commercial, opérations de sauvetage de repo, « argent jeté par hélicoptère » – sont un jargon de plus en plus vide qui signifie des efforts de plus en plus futiles pour dissimuler l’essence de la situation : le monde est en faillite. C’est aussi simple que cela.

Le monde est verrouillé et dans la merde jusqu’aux yeux. Il est confronté à ce que les banquiers appellent par euphémisme un « workout », c’est-à-dire en arrêt pour maintenance. Les responsables résistent de toutes leurs forces à une restructuration, car elle va changer de nombreuses conditions de la vie quotidienne – en particulier la leur – mais elle se fera quand même. Lorsque la dette ne peut être remboursée, l’argent disparaît. L’argent n’est pas du capital. Il représente un capital lorsque le système économique fonctionne. Lorsque ce n’est pas le cas, le capital cesse d’être de l’argent. Maintenant, le monde entier réalise que la dette ne peut pas être remboursée, qu’elle ne le sera jamais… et c’est là que le bât blesse.

Dans l’univers financier, le bilan de la Réserve fédérale est le trou noir où l’argent va mourir. L’argent s’y engouffre à un rythme fantastique ces jours-ci, et la Fed essaie d’imprimer de l’argent neuf à un rythme égal pour le remplacer – ce qui soulève la question suivante : est-ce encore de l’argent, ou juste un fantasme dans une plus grande hallucination ? C’est ce qu’il semble, un peu quand même. Ils ont sorti leur plus gros bazookas pour arroser le Système d’argent il y a quelques jours seulement, et il se peut que cette gigantesque salve ne soit plus qu’un souvenir après quelques jours. Et ensuite ?

La clé est peut-être de savoir combien de temps les gens ordinaires vont accepter leur confinement obligatoire, même face au coronavirus. Ce moment est peut-être un peu plus éloigné, avec la montée du mélodrame, en particulier à New York en ce moment, la courbe du nombre de personnes malades en forme de crosse de hockey, et les scènes effrayantes dans les hôpitaux. Mais alors, que ce soit dans une semaine, ou le dimanche de Pâques, ou quelque temps après, que feront les gens ordinaires lorsqu’ils décideront de sortir en masse de leur confinement et de venir rugir dans les rues ?

Je dois imaginer qu’un entrefilet dans le journal montrera une foule excitée d’habitants de Long Island, autrefois de la classe moyenne, grouillant dans les Hamptons [Côte d’Azur pour riches à côté de New york, NdT], les yeux injectés de sang pour débusquer les dirigeants de fonds spéculatifs, terrés dans leurs majestueuses villas, qui découvriront avec une déception extrême que la haie de troènes n’est pas du tout une protection contre la colère de la plèbe. Il n’y a jamais eu de plus grande escroquerie dans l’histoire que l’ensemble des manigances de Wall Street en ces années du nouveau millénaire, et nous le savons tous, même s’il est difficile d’expliquer comment ils l’ont fait. Les Money Boys devraient prendre leurs pertes et se taire au lieu de se plaindre pour être renfloués, mais la perversité de la cupidité humaine est telle qu’ils font une dernière tentative désespérée pour s’en sortir alors que les autres perdent… tout.

Vous comprenez que le secteur bancaire et financier se dirigeait fermement vers la faillite bien avant que le coronavirus n’arrive sur la scène. Les secousses ont commencé en septembre avec la Fed qui a bloqué des milliers de milliards de dollars dans le trou noir qui s’était ouvert sur le marché interbancaire du repo, où les banques se refinancent au jour le jour. C’était aussi une infection, et elle s’est répandue – aussi vite que le coronavirus ! Il s’agit en effet d’une convergence d’événements des plus regrettables, mais elle devrait vous dire que le système bancaire et financier, et les arrangements économiques mondiaux qui ont évolué avec lui, avaient déjà dépassé leur horizon de viabilité. L’Histoire a poinçonné notre ticket et nous a embarqués dans un nouveau voyage, que nous soyons prêts ou non.

Est-ce réconfortant de savoir que Joe Biden attend patiemment sur la touche pour agiter ses lunettes d’aviateur et rendre tout à nouveau normal ? Je ne le pense pas. Trump, malgré l’auto-satisfaction affichée de son équipe, n’est pas beaucoup mieux placé pour faire faire demi-tour au navire sur lequel nous voguons maintenant. Une mer agitée nous attend, dans des eaux inconnues, alors que nous chercherons à toucher terre dans le prochain nouveau monde.

Too much magic : L'Amérique désenchantée 

James Howard Kunstler

Pour lui, les choses sont claires, le monde actuel se termine et un nouveau arrive. Il ne dépend que de nous de le construire ou de le subir mais il faut d’abord faire notre deuil de ces pensées magiques qui font monter les statistiques jusqu’au ciel.

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