mardi 12 septembre 2017

L’arrêt des sanctions anti-syriennes serait bon mais pour de mauvaises raisons

Article original de Andrew Korybko, publié le 1er septembre 2017 sur le site Oriental Review
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

Syrian citizens hold portraits of President Bashar al-Assad as they protest against sanctions outside the EU offices in Damascus, Sept 2011.
Les citoyens syriens tiennent des portraits du président Bashar al-Assad alors qu’ils protestent contre les sanctions à l’extérieur des bureaux de l’UE à Damas, en septembre 2011
Personne ne dit que cela ne devrait pas se produire, mais tout simplement, si jamais cela se faisait, ne vous attendez pas à ce que ce soit fait avec des intentions pures.

Il y a eu récemment des spéculations selon lesquelles l’UE pourrait supprimer certaines des sanctions anti-syriennes promulguées au cours des six dernières années, ce qui constituerait une bonne initiative pour les millions de personnes qui souffrent du manque de médicaments et d’autres nécessités humanitaires. L’aide russe, iranienne et autre a été essentielle pour maintenir la population en vie pendant ce temps, tout comme les efforts héroïques de Damas pour faire de son mieux pour subvenir aux besoins de sa population dans des circonstances aussi difficiles.


Néanmoins, les sanctions anti-syriennes de l’Ouest ont toujours laissé un impact indélébile sur la société, et ce serait un mouvement bienvenu et attendu si elles devaient être abrogées, ce qui pourrait se produire maintenant, au moment où il est évident pour tous que le Président Assad ne sera pas renversé par les « rebelles modérés ». Les gains impressionnants de l’armée arabe syrienne (SAA) depuis le début de l’intervention antiterroriste de la Russie au cours des deux dernières années, ainsi que les victoires rapides qui se sont produites tout au long de cet été, ont conduit les observateurs à conclure que Daesh est au bord de la défaite et qu’une « solution politique » négociée par Moscou pourrait enfin être à l’horizon.

C’est en relation avec les dernières prévisions de fin de la guerre, qui devient une perspective réaliste, que l’UE ressent l’« opportunité pressante » de lever les sanctions anti-syriennes afin de favoriser ses propres intérêts. Pour mieux l’expliquer, Bruxelles pourrait tenter de lier ce mouvement humanitaire de changement de jeu en faisait accepter à Damas un certain niveau de réinstallation de réfugiés et de migrants et / ou le lier aussi à l’acceptation de la Syrie des revendications politiques spécifiques de l’« opposition » liée au projet Russe de « Constitution » ou à d’autres questions pertinentes. Cette tactique d’arrêt des sanctions « lié à des ficelles » ne fonctionnerait que si la Syrie était suffisamment désespérée pour s’y plier, ce qui devient moins le cas chaque jour qui passe.

Aussi, cela vaut la peine de se demander si l’UE pourrait inconditionnellement lever les sanctions contre la Syrie, même si cette mesure, tout comme l’autre, ne se produira jamais, à moins que les États-Unis n’en donnent le feu vert. Dans le cas où cela se produirait, les motifs de Washington seraient d’utiliser cela comme moyen d’aider les entreprises de l’UE à contrer les transactions concernant la reconstruction qui sont déjà promises à la Russie, la Chine et l’Iran ou devraient être obtenues par ces pays. Bien qu’il soit logique pour la Syrie de récompenser ses alliés pour leur fidélité, l’État économiquement assiégé pourrait être soumis à la pression des forces de la « société civile » soutenues par l’Ouest pour équilibrer les contrats.

« L’opposition », sa tendance citoyenne,  pourrait tenter d’agiter des troubles en alléguant que ce n’est rien de plus que de la « corruption politique inutile » et que l’argent du peuple serait « mieux utilisé » dans le cadre d’un processus d’appel d’offres ouvert à l’UE. L’argument selon lequel cette approche serait fondée par le fait que les entreprises européennes fournissent parfois des services de meilleure qualité que leurs homologues pour un coût plus compétitif signifie que le pays déchiré par la guerre pourrait économiser certains de ses précieux fonds en donnant des contrats à des entreprises occidentales au lieu de celles de l’Est. Le point ici n’est pas de discuter des mérites de cet argument, mais juste d’avertir qu’il pourrait devenir un outil de propagande militarisé à l’avenir.

Dès que l’UE aura levé ses sanctions unilatérales contre la Syrie, Damas pourrait inclure théoriquement certaines de ses entreprises dans ce processus d’appel d’offres éventuel s’il y avait suffisamment de pression « à la base » pour que cela le fasse, tout en prenant soin de ne le permettre qu’à des nations « semi-amicales » qui n’ont pas directement contribué à la souffrance de son peuple en y prenant part, comme les Hongrois et les Suédois, par exemple, au lieu des Français et des Britanniques. Même si ce scénario ne se déroule pas, cela ne signifie pas que l’allégement inconditionnel des sanctions anti-syriennes ne pourrait pas non plus renforcer les intérêts occidentaux dans le pays sortant d’un conflit.

Par exemple, l’UE pourrait accorder des droits commerciaux préférentiels tacites aux « rebelles modérés » afin qu’ils puissent tenter de monopoliser certaines industries (qu’elles soient dans des « zones de désescalade » ou au-delà) et les laisser y gagner un avantage sur la concurrence afin de compenser en partie leurs pertes politiques et territoriales. Il est peu probable que l’Occident coupe tous ses liens avec les forces par procuration qu’ils ont soutenu depuis des années déjà, et il en va de même pour lesdits substituts qui ne voudront pas couper le cordon ombilical qui les relie à leurs clients, ce qui pourrait devenir une façon créative pour les États-Unis et leurs alliés de tenter d’établir une influence asymétrique en Syrie après la guerre.

En fin de compte, qu’il s’agisse de l’arme de guerre hybride assez visible de l’allégement des sanctions « lié à une ficelle » ou de celle plus clandestine de l’élimination inconditionnelle des restrictions économiques humanitaires sur la Syrie, on peut s’attendre à ce que l’Occident ne fasse la « bonne chose » que pour de « mauvaises raisons », et la Syrie a le droit d’être sceptique quant aux intentions de l’UE si une telle démarche devait avoir lieu. Cela n’implique pas que des millions de citoyens ne pourraient pas en bénéficier, mais seulement que Damas ferait bien de se méfier de ce qui pourrait se révéler être une manœuvre rusée conçue pour déstabiliser la Syrie avec le temps.

Andrew Korybko

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