samedi 2 septembre 2017

Quand les Fake News tuent

Article original de Ugo Bardi, publié le 24 juillet 2017 sur le site CassandraLegacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr


Mata Hari, l’espionne qui ne l’a jamais été



Un siècle après sa mort, Mata Hari demeure pour nous la figure prototypique de l’espion féminine, un cas extrême de « femme fatale ». Elle est considérée comme quelqu’un qui non seulement séduisait les hommes en convoitant l’argent et le pouvoir, mais aussi pour sa grande envie de les voir s’entretuer par milliers sur les champ de bataille. Mais elle n’a jamais été ce qu’on en a dit. Plutôt, elle a été l’une des premières victimes de ce que nous appelons aujourd’hui les « Fake News », également connues sous le nom de « propagande », un ensemble de techniques de manipulation de masse développées à l’époque et qui ont atteint aujourd’hui la perfection.




Il y a cent ans, le 24 juillet 1917, Margaretha Gertruida Zelle, connue sous le nom de Mata Hari, a été condamnée à mort par un tribunal militaire à Paris sur l’accusation d’être une espionne des Allemands. On a dit qu’elle leur avait transmis des informations qui ont causé la mort de « peut-être cinquante mille soldats français ». Elle a été fusillée quelques mois plus tard.

Aujourd’hui, en regardant les actes du procès, nous pouvons facilement voir l’absurdité et l’incohérence des accusations. S’il y avait un exemple d’une cour de justice composée de marsupiaux, c’était bien là le cas. Il est impossible que Mata Hari ait pu faire ce qu’elle a été accusée d’avoir fait. Elle a plutôt été un bouc émissaire tué afin de distraire le public dans un moment où la guerre allait mal pour la France. Dit simplement : c’est un montage. C’est l’un des premiers exemples des effets mortels de la propagande (également connue aujourd’hui comme « Fake News ») qui démarrait, à l’époque, pour devenir une caractéristique commune de notre monde.

Le procès a été la fin d’une carrière de danseuse et d’interprète que Margaretha Zelle avait commencé quand elle est revenue en Europe en provenance d’Indonésie, alors appelée « Indes néerlandaises ». Elle avait passé quelques années là-bas en tant que femme d’un officier hollandais, mais cela lui a suffi pour ramasser quelque éléments de la culture locale qui lui a permis de se dire bouddhiste. Elle a également appris assez de la langue locale pour pouvoir choisir « Mata Hari » comme nom de scène, ce qui signifie (il me semble) « La lumière de l’Aube » [En fait cela se traduit tout simplement par soleil, NdT]. En tant que danseuse, Mata Hari a supporté beaucoup de critiques à son époque et il est probable que ses danses étaient un peu plus que des strip-teases avec une saveur orientale. Pourtant, elle est devenue très populaire en Europe après avoir donné sa première représentation à Paris en 1905.

Au cours des années suivantes, Mata Hari a progressivement abandonné l’effeuillage à nu en public et on a dit qu’elle est devenue une courtisane de haut rang, séduisant les riches et les célèbres (cela aussi a peut être aussi été obscurci par la propagande). Pendant la guerre, elle a peut-être essayé de faire l’agent secret, mais il semble plus probable qu’elle ait simplement été manipulée. D’une certaine manière, les services secrets français et allemands ont collaboré pour l’envoyer au peloton d’exécution. Les Allemands l’ont vue comme un « objet de propagande » pour montrer combien les Français étaient capable de tuer une femme innocente, tandis que les Français ont vu ce procès comme un moyen de montrer combien ils étaient résolus contre les traîtres (et les traîtresses).

Le procès et la détention de Mata Hari sont une vitrine de cruauté et d’intimidation. Les dernières images que nous avons d’elle ne montrent plus la danseuse qu’elle était, mais une femme physiquement détruite par des mois de vie en prison. Après l’exécution, Mata Hari a reçu aussi l’insulte ultime, celle de se voir refuser un enterrement décent, d’en faire un objet de dissection pour une table d’hôpital et de voir ses restes jetés aux ordures. On dit que sa tête momifiée a été gardée pendant quelques années au musée d’anatomie de Paris, avant d’être elle-même jetée et perdue. On lui a refusé le statut d’être humain et on l’a considéré plutôt comme une sorte de gros insecte à éliminer. La transformation des êtres humains en insectes et leur extermination subséquente est quelque chose que Kafka avait déjà décrit prophétiquement dans son roman La Métamorphose.

Plus tard, l’anthropologue Roy Rappaport a défini comme des « mensonges diaboliques » ces mensonges qui « manipulent le tissu même de la réalité ». Aujourd’hui, nous appelons ces mensonges avec le terme plus neutre de « fake news », comme s’ils n’étaient qu’une mode qui allait et venait. Mais les « fake news » peuvent tuer et une de leurs victimes a été Mata Hari. La combinaison mortelle du nationalisme et de la propagande qui l’a tuée, devait continuer et exploser dans les années qui ont suivi avec la Seconde Guerre mondiale, menant l’Europe à s’embarquer pour l’une des plus grandes exterminations d’innocents de l’histoire jusqu’à présent. Mata Hari a été parmi les premières à être englouties par cette vague de tueries sans aucun sens. Elle a été tuée de sang-froid par des personnes qui, très probablement, savaient parfaitement qu’elle était innocente.

Il se peut fort bien que l’influence orientale de Mata Hari ne soit pas seulement un placage pour l’ennoblir un peu, mais il se peut aussi qu’elle ait étudié sérieusement le bouddhisme et d’autres voies orientales alors qu’elle était dans les Indes néerlandaises. Son comportement à son exécution, son calme, sa conviction évidente que la mort était simplement un passage, peut nous dire que son bouddhisme n’était pas seulement une pose, mais quelque chose qu’elle avait pris à cœur. Cent ans plus tard, nous pouvons encore apprendre quelque chose de son histoire.



Ces notes sont basées principalement sur le livre de Rusell Warren Howe, Mata-Hari. L’histoire vraie (Éditions de l’Archipel, Paris 2007), et sur le rapport contemporain d’Emile Massard Espionnes à Paris (Gallimard, 1922), mais il y a beaucoup d’informations sur son histoire. Alors qu’avant, il y avait encore des discussions indiquant qu’elle pouvait vraiment avoir été une espionne, aujourd’hui l’opinion répandue est qu’elle ne l’était pas.

Ugo Bardi

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