vendredi 1 septembre 2017

Tout va selon le plan

Article original de Dmitry Orlov, publié le 22 août 2017 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

 

Si vous regardez la condition contemporaine des États-Unis, il est facile de tomber dans le puits émotionnel des sentiments tristes, de déplorer l’état désolant des choses, de se plaindre amèrement et de maudire son destin. Tout se déglingue ! Est-il possible, dans ces conditions, de continuer à croire en la vision angélique qui prétend que tout est comme cela doit être, dans le meilleur des mondes ? Je l’espère sincèrement ! Il y a, bien sûr, les rationalisations faciles comme « cela pourrait toujours être pire » et « nous ne sommes pas encore morts ». Cependant, peu d’entre nous les trouvons entièrement satisfaisantes. Mais il y a aussi la possibilité beaucoup plus séduisante de comprendre comment nous en sommes arrivés là et où nous allons. Une fois que nous l’aurons compris, nous nous reprocherons brièvement d’avoir espéré autre chose, puis nous nous dirigerons vers des choses plus intéressantes. Cette compréhension n’est pas facilement accessible. Pour beaucoup d’entre nous, il devient de plus en plus difficile de combler le gouffre entre les observations et nos souhaits. Voyons voir !


Une nouvelle guerre civile se développe aux États-Unis entre une coalition arc-en-ciel de minorités mécontentes et les rejetons d’une race mourante se plaignant devant l’effacement de leur histoire autrefois glorieuse. Tout d’abord, les héros de la Confédération ont montré une véritable valeur en défendant courageusement leurs États d’origine contre les envahisseurs colonialistes du Nord (défendant aussi concomitamment l’horrible institution de l’esclavage américain, éventuellement le pire type d’esclavage jamais vu).

Mais pourquoi s’arrêter là-bas ? Le prochain lot de héros américains à effacer en utilisant le récemment breveté « Effaceur Magique de l’Histoire » sont tous ceux qui sont complices du génocide perpétué contre les Amérindiens (autrefois dénommés « Indiens ») en modifiant l’histoire de « Comment l’Ouest a été conquis » en « Comment l’Ouest a été violé, torturé et tué », qui, faute d’un message optimiste, ne se révélera pas aussi populaire et sera rapidement oublié. Et pourquoi les Latinos (et les Latines) devraient-ils vénérer les auteurs de la guerre hispano-américaine ou ceux qui sont venus après et continuent de se mêler aux affaires intérieures des pays d’Amérique latine jusqu’à ce jour ? Et qu’en est-il de ce terrible propriétaire d’esclave et suprématiste blanc George Washington ? Abandonnons son nom partout et renommons Washington, le District de Columbia (DC), en Obamaville !

En parlant du District de Columbia… En fin de compte, tout cela va inévitablement retomber sur Christophe Colomb – l’homme coupable d’avoir commencé tout ce désordre accidentellement en « découvrant » l’Amérique. Il est tout à fait évident que l’accident historique qu’est « l’Amérique » ne devait pas être découvert. Plus facile à dire qu’à faire ! Ce n’est pas un petit objet qui peut simplement se perdre, ou se rater sur une carte, ou se cacher sous une pierre. C’est une civilisation, et pour être rendue à sa pureté originelle, elle doit être alimentée par une machine spéciale de dé-civilisation.

Est-ce suffisant de renverser toutes les statues, d’exploser les visages du mont Rushmore et de criminaliser un discours politiquement incorrect ? À peine ! Les bibliothèques peuvent encore contenir des enregistrements de nombreux énoncés politiquement incorrects, tels que la phrase classique de Sir Winston Churchill : « Je n’admets pas (…) qu’un grand tort a été fait aux Indiens rouges d’Amérique ou aux Noirs d’Australie. Je ne reconnais pas que du tort a été fait à ces personnes par le fait qu’une race plus forte, une race de plus haut niveau, une race sage plus expérimentée (…) est venue et a pris leur place. » Un jeune impressionnable pourrait le lire et décider que les efforts visant à promouvoir la diversité lui permet de donner le pouvoir aux perdants et de déchoir les gagnants, ce qui ferait perdre tout le monde, et nous ne pouvons certainement pas y penser. Par conséquent, les bibliothèques doivent également être brûlées. Et le monument de Churchill à Washington… Désolé, Obamaville… doit évidemment être renversé.

Une fois que l’Amérique sera dépouillée de son histoire, ses monuments défigurés et détruits, ses tombes profanées, ses bibliothèques brûlées et leurs histoires oubliées, les survivants de ce cataclysme de colère et d’oubli pourront être réaffectés à une myriade de minuscules micro-identités conçues pour célébrer la diversité.

Idéalement, ces micro-identités devraient être basées non pas sur des temps, des lieux ou des événements historiques, mais sur des particularités et des propriétés personnelles, cosmétiques et d’autres sous-la-ceinture. Ensuite, ceux qui seront soumis à une réaffectation d’identité pourront être déplacés vers des espaces sûrs où on leur enseignera à s’exprimer avec des platitudes soigneusement écrites pour éviter des micro-agressions envers telle micro-identité ou telle autre.

Dans le cours normal des affaires humaines, il y a habituellement un ou deux adultes à portée de main qui empêchent une classe maternelle de s’armer et de faire des ravages meurtriers. Mais ici, aux États-Unis, il n’y a plus d’adultes parce que tout le domaine politique semble avoir presque disparu. J’hésite à appeler cela un spectre politique, car un spectre se compose de lumière, alors qu’il ne reste juste que l’infrarouge – la chaleur résiduelle – plus une puanteur de mort accablante.

Considérez les Démocrates : incapables de prendre en compte le fait que la moitié du pays (à peu près tout le monde en dehors des grandes villes) les déteste et refuse de voter pour eux, ils ont inventé un faux récit dans lequel leur défaite a été causée par un « piratage/entremise russe ». Quand ce récit s’est avéré n’être qu’un tissu de mensonges, ils ont actionné le Plan B : Trump est un fasciste, tous ceux qui le soutiennent sont des fascistes, et nous devons donc nous battre dans une guerre civile contre le fascisme.

Parmi les Républicains, moins on en dit mieux c’est, sauf qu’il faut souligner que les partis majoritaires qui ne peuvent rien faire de leur pouvoir ne restent généralement pas des partis majoritaires pendant très longtemps. Quant aux autres partis, je me limiterai à une seule phrase, afin d’éviter de faire perdre son temps à tout le monde. En bref, ce n’est pas la manière de gérer une classe de maternelle.

Et alors le pauvre malheureux Trump qui pensait que prétendre être un politicien et se faire élire président lui permettrait de changer les choses pour le mieux : sécuriser les frontières, remettre les gens au travail, arrêter de perdre des guerres, reconstruire l’infrastructure, réparer le système de soins de santé, retravailler sur les accords commerciaux défavorables, etc. Mais apparemment, il a demandé le travail sans se soucier de lire la description du poste, même si elle est assez courte. En fait, elle ne contient qu’une seule phrase : « Promettez le soleil et la lune, mais conservez le statu quo. » Trump est un acteur qui ne savait pas qu’il était un acteur et qui est tombé sur une scène de farce sans savoir que c’était une farce. Il a rapidement perdu le fil de l’intrigue, le reste du casting a perdu l’esprit, et le public son déjeuner.

Dans le cas où vous êtes curieux de savoir ce que l’intrigue de la farce devait être, voilà. Tout d’abord, vous avez votre premier président noir ; ensuite, vous avez votre première femme présidente. Après cela, vous pouvez vous déplacer tout droit pour avoir votre première femme présidente noire ou présenter un nouvel élément : votre premier président gay. De toute évidence, l’élection de votre première présidente noire gay devient désormais essentielle, et ainsi de suite en passant par votre premier président gay noir transsexuel. Un robot multi-sexuel androgénique sera probablement le suivant… Utilisez votre imagination !

Si cela ressemble à un complot pour détourner l’attention de l’entreprise de destruction d’un pays, c’est parce que c’en est un. Les changements demandés par les gens perturberaient le statu quo exigé inconditionnellement par l’alliance impie des intérêts spéciaux, étrangers et nationaux, qui sont encore occupés à gratter la viande sur les os de ce qui était autrefois un puissant empire industriel. Peu importe qui est élu président, l’Amérique va déambuler en traînant les pieds, cherchant plus de cerveaux à manger tout en perdant ses oreilles, ses globes oculaires et ses membres, jusqu’à ce que cet empire finisse.
* * *
Il y a un peu plus de 21 ans, j’ai compris comment cette histoire finirait, mais j’ai gardé la bouche fermée. Puis, il y a un peu plus de 17 ans, j’ai senti un changement d’humeur et j’ai écrit un article sur le site Web de Mike Ruppert : Les leçons post-soviétiques pour un siècle post-américain. Dans cet article, qui a lancé ma carrière d’écrivain, ce passage se révèle particulièrement pertinent pour ce qui se passe aujourd’hui, et j’espère que vous le prendrez à cœur pour vous sauver vous et ceux qui vous entourent d’une aggravation insensée de la situation.
« Bien que les gens déplorent souvent l’apathie politique comme si c’était une grave maladie sociale, il me semble que c’est comme cela devrait être. Pourquoi les gens essentiellement impuissants veulent-ils s’engager dans une farce humiliante conçue pour démontrer la légitimité de ceux qui exercent le pouvoir ? Dans la Russie de l’ère soviétique, les gens intelligents ont fait de leur mieux pour ignorer les communistes : leur porter attention, en quoi que ce soit par la critique ou l’éloge, ne sert qu’à leur donner du réconfort et des encouragements, ce qui leur fait ressentir leur importance. Pourquoi les Américains devraient-ils agir de manière différente par rapport aux Républicains et aux démocrates ? Pour l’amour des ânes et des éléphants ? ».
J’ai publié trois livres et des centaines d’essais depuis lors, mais je reste sur ce que j’ai écrit au tout début : tout va selon le plan. Je ne sais pas quel est le plan, et je pense que c’est un plan vraiment stupide, mais tout se passe selon lui.

Dmitry Orlov
Les cinq stades de l'effondrement

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie », c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Note du traducteur

Il faut noter que l'article en lien en fin de texte vient du site d'Olivier Berruyer, les-crises.fr via orbite.info, site qui n'existe malheureusement plus. C'est là que j'y ai découvert Dmitry Orlov et son analyse de l'effondrement de l'Union Soviétique si riche en enseignement.

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