Article original de Ambrose Evans-Pritchard, publié le 22 janvier 2018 sur le site The Telegraph via brunobertez.com
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Le système financier mondial est aussi dangereusement étiré
aujourd’hui qu’il l’était au sommet de la grande dernière bulle, mais
cette fois les autorités sont prisonnières, prises dans un piège tendu
par leur propre politique, ce qui fait que les moyens de se défendre ont
quasi disparu.
Neuf années d’urgence monétaire ont eu une série d’effets
pervers et ont attiré les marchés émergents vers la dépendance à la
dette, sans s’attaquer aux causes structurelles du désordre mondial.
William White dit que les leçons de la GFC ont été oubliées.
« Tous les indicateurs du marché semblent très similaires à ce
que nous avions vu avant la crise de Lehman, mais la leçon a été
oubliée » a déclaré William White, chef de la commission d’examen de l’OCDE et ancien économiste en chef de la Banque des règlements internationaux.
Le professeur White a déclaré que des signes inquiétants de
dégradation du crédit apparaissent presque quotidiennement. La dernière
en date est la révélation que le groupe de construction britannique
Carillion, en grande difficulté, a tranquillement levé 112 millions de £
(195 millions de dollars) par l’intermédiaire des obligations
allemandes Schuldschein. Le détaillant sud-africain Steinhoff a
également exploité ce marché obscur en empruntant 730 millions d’euros
(1,11 milliard de dollars).
Les obligations Schuldschein étaient autrefois un exemple de prêts solides aux entreprises familiales du Mittelstand en Allemagne. La transformation de ce coin du marché en une forme de shadow banking
à haut risque montre comment le système de crédit a été faussé par les
assouplissements quantitatifs (QE) et les taux d’intérêt négatifs. Le
professeur White a dit qu’il y avait un optimisme enivrant au sommet de
chaque boom instable quand les gens se persuadent que le risque
s’estompe, mais c’est alors que les pires erreurs sont commises. Les
indicateurs de stress étaient également très calmes en 2007, juste avant
la tempête.
Cette fois, les banques centrales tiennent un tigre particulièrement
féroce par la queue. Les ratios de la dette mondiale ont augmenté de 51
points en pourcentage du PIB depuis la crise de Lehman, atteignant un
record de 327% (données de l’IIF).
C’est un nouveau phénomène dans l’histoire économique qui peut être
tracé par les fuites de liquidité venant des QE à l’Ouest, qui ont
inondé l’Asie de l’Est, l’Amérique latine et d’autres marchés émergents,
avec une énorme poussée de la Chine poursuivant sa propre aventure. « Les banques centrales ont déversé plus de carburant sur le feu » a-t-il déclaré au Telegraph, avant le Forum économique mondial de Davos.
« Les régulateurs devraient-ils vraiment se féliciter que le
système soit désormais plus sûr ? Personne ne sait ce qui va se passer
quand ils vont détricoter les QE. Les marchés feraient bien de faire
très attention car il y a beaucoup de points de fracture » a-t-il déclaré.
« Les sociétés pharmaceutiques sont soumises à des lois qui les
obligent à tester des conséquences inattendues avant de lancer un
médicament, mais les banques centrales ont lancé l’énorme expérience
sociale du QE avec peu de réflexion sur les effets secondaires » a-t-il déclaré.
La Réserve fédérale américaine a déjà annulé ses achats d’obligations
– ignorant les avertissements de l’ancien président de la Fed, Ben
Bernanke – et elle accélèrera le rythme avec une baisse d’achat jusqu’à
50 milliards de dollars américains par mois cette année. Cela entraînera
une augmentation de l’offre en bons du Trésor américain, au moment où
la campagne éclair sur les impôts et les dépenses de l’administration
Trump va pousser le déficit budgétaire américain à 1 000 milliards de
dollars américains. La Chine et le Japon réduisent aussi leurs avoirs en
bons du Trésor.
Tout cela a l’étoffe d’une tempête parfaite. Au mieux, l’implication
est que les rendements sur les bons du Trésor à 10 ans – le prix de
référence de l’argent dans le monde – seront assez élevés pour envoyer
des secousses à travers les marchés du crédit.
L’édifice sur-gonflé des marchés d’actions et d’actifs repose sur le
principe que les taux d’intérêt resteront épinglés au plancher. Le
dernier rapport de stabilité de l’Office of Financial Research du Trésor
américain a averti qu’une hausse de 100 points de base réduirait la
valeur de l’indice Barclays US Aggregate Bond à 1200 milliards de
dollars US, avec des pertes supplémentaires sur les bons pourris et les
hypothèques à taux fixe. Les dérivés sont inclus.
Les retombées mondiales pourraient être violentes. Les crédits en
dollars hors des États-Unis ont quintuplé en 15 ans pour atteindre plus
de 10 000 milliards de dollars américains. « C’est un très gros
chiffre. Dès que le monde aura des problèmes, beaucoup de gens auront de
la difficulté à rembourser cette dette en dollars » a déclaré le professeur White. Les emprunteurs subiraient le double choc de la hausse du dollar et de la hausse des taux.
Tandis que les banques ont maintenant des amortisseurs élevés en
capital, le risque a migré vers des fonds d’investissement concentrés
dans les métiers surpeuplés de la finance. La part des actions négociées
en « dark pools » en dehors des bourses s’est envolée à 33%.
On peut s’inquiéter de savoir ce qu’il adviendra des fonds « à parité de risque »
lorsque le cycle de l’inflation tournera. RBI Capital a prévenu dans sa
lettre aux investisseurs que ces fonds pourraient mener à un « crash de liquidité ». La Deutsche Bank a conseillé à ses clients de sortir des options « put »
en juin 2018 sur le S&P500 – une couverture contre une baisse du
marché – arguant que le rallye semble tendu et que les fonds sur les
risques de parité vont amplifier toute correction.
Ces fonds gèrent le risque en faisant correspondre les obligations et
les actions grâce à une pondération dynamique. La stratégie a
fonctionné pendant la phase « Goldilocks »
de faible inflation et de hausse des marchés boursiers. Les deux ailes
de opération ont bien répondu. Le danger est que les deux puissent aller
mal en même temps.
Que le cycle de l’inflation tourne vraiment, et à quelle vitesse, est
la question élémentaire de ce marché haussier. Ce qui est clair, c’est
que les États-Unis ont comblé l’écart de production et qu’ils ont des
contraintes de capacité.
La grande désinflation de ces trois dernières décennies était essentiellement un « choc de l’offre »
à l’échelle mondiale. L’ouverture de la Chine et la chute du mur de
Berlin ont ajouté 800 millions de travailleurs à l’économie marchande,
faisant baisser les salaires et déclenchant un tsunami de biens bon
marché. L’effet « Amazon » de la technologie numérique provoque
un plafonnement des hausses de prix. La démographie de l’ère du
baby-boom a joué son rôle en stimulant la surabondance de l’épargne
mondiale.
Mais il y avait une autre caractéristique qui est souvent négligée. Les banques centrales sont intervenues « de manière asymétrique »
à chaque cycle, laissant les booms se succéder, mais intervenant avec
des mesures de relance pour amortir les crises. La BRI affirme que l’un
des résultats a été de maintenir en vie les entreprises « zombies » insolvables et de bloquer la destruction créatrice qui mène à une productivité croissante.
« Tout pourrait basculer : les baby-boomers sont partis ; la
population chinoise en âge de travailler est en baisse ; et les
entreprises zombies vont enfin être obligées de fermer leurs portes
alors que les coûts d’emprunt augmentent » a déclaré le professeur White.
Bien qu’une inflation plus élevée soit nécessaire dans un certain
sens pour redresser le navire mondial – puisqu’elle soulève le PIB
nominal plus rapidement et réduit la dette – le danger est que le choc
des taux plus élevés frappe en premier.
Les banques centrales sont désormais prises dans un « piège de la dette ».
Elles ne peuvent pas maintenir des taux proches de zéro à mesure que
les pressions inflationnistes se développent, mais elles ne peuvent pas
non plus facilement augmenter les taux parce qu’elles risquent de faire
exploser le système. « C’est franchement effrayant » a déclaré le professeur White.
Les autorités n’ont peut-être pas encore atteint le bout de la route,
mais cette stratégie est clairement dangereuse. La finance mondiale est
devenue si sensible à la politique monétaire que les banques centrales
risquent de déclencher un ralentissement bien avant d’avoir accumulé un
coussin de sécurité de 400 à 500 points de base pour réduire les taux
d’intérêt nécessaires pour lutter contre les récessions.
« Nous manquons de munitions. J’ai peur qu’à un moment donné,
cela se résoudra avec beaucoup de défauts de paiement. Et qu’avons-nous
fait avec le dividende démographique ? Nous l’avons gaspillé » a-t-il dit.
Ambrose Evans-Pritchard
Note du traducteur
Je ne saurais trop vous conseiller de suivre les analyses de Bruno Bertez.
« C’est lorsque la prise de conscience se fera clairement que ce système touchera ses limites internes et qu’il volera en éclats. Nous disons bien ses limites internes. C’est la dynamique bullaire qui le fera exploser. »
Son analyse est aussi intéressante que l'article. La question centrale reste : combien de temps le système va-t-il pouvoir monétiser les dettes ?
Dès cette prise de conscience par les élites intermédiaires puis rapidement par les peuples, on va voir se mettre en place des boucles de rétro-action, chacun cherchant à défendre ses intérêts, états, multinationales, peuples, individus. On reviendra sur ce sujet dans quelques semaines avec une traduction fort passionnante sur les constantes historiques des fins d'Empire.
Et si c'est la BRI qui le dit ...
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