mercredi 7 février 2018

Jusqu’où la situation peut-elle empirer pour la compagnie pétrolière d’État vénézuelienne ?

Article original de Amy Myers Jaffe, publié le 23 janvier 2018 sur le site Council on Foreign Relation
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

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La dernière tentative du Venezuela pour lever des capitaux en émettant une crypto-monnaie, le petro, liée prétendument à ses réserves de pétrole de l’Orénoque est problématique à tant de niveaux qu’il est difficile de savoir comment la commenter au-delà du fait que le gouvernement américain a déjà dit que le nouveau marché risquerait d’être exposé aux sanctions américaines. L’arrêt de cette crypto-monnaie pourrait devenir l’élément le plus facile à traiter par l’administration de Donald J. Trump pour contrer les mesures prises par Caracas pour gérer les créanciers de la compagnie pétrolière publique du Venezuela, Petróleos de Venezuela, PDA (PDVSA). 

PDVSA s’engage dans toutes sortes de transactions sans argent pour contourner les saisies de cargaisons de pétrole. Mais la société pourrait faire face à encore plus de difficultés cette année car les difficultés financières du Venezuela ont mordu dans sa capacité à maintenir ses champs pétroliers en activité. Citibank estime que la capacité de production de pétrole du Venezuela pourrait chuter à un million de barils par jour au cours de l’année 2018, contre 2,8 millions b/j en 2015, alors que son accès au crédit se détériore, accentuant encore plus le délabrement de ses installations. Les sociétés de services internationales limitent leurs activités dans le pays en prenant prétexte des centaines de millions de dollars de frais impayés. Les champs de pétrole du Venezuela ont un taux de déclin naturel de 25% qui nécessite une attention constante pour maintenir les capacités de production.



Trouver un atterrissage en douceur pour traverser la crise pour la filiale américaine de PDVSA, Citgo Petroleum, pourrait devenir de plus en plus complexe pour les États-Unis, alors qu’ils cherchent à gérer la détérioration de la situation au Venezuela. Washington a imposé des sanctions aux membres critiques du gouvernement vénézuélien, mais a été réticent à prendre des mesures qui pourraient déborder sur la capacité d’exploitation de Citgo. Citgo exploite trois des plus grandes raffineries de pétrole d’Amérique pour une capacité totale de 750 000 b/j, y compris une installation régionale importante près de Chicago. Citgo a fourni quinze milliards de gallons d’essence aux États-Unis en 2015. Jusqu’ici, Citgo a été protégé des créanciers par sa structure d’entreprise. Mais récemment, les créanciers de la compagnie pétrolière publique PDVSA, impatients, ont commencé à utiliser des tactiques plus agressives, l’un de ces groupes essayant de s’emparer d’un cargo pétrolier pour tenter de se faire payer. Pour éviter de telles déconvenues, PDVSA, qui à toutes fins pratiques ne peut plus obtenir de lettres de crédit bancaire, est la propriétaire en « temps partagé » de certaines cargaisons de pétrole brut non désignées qu’elle peut exporter en échange de la livraison ultérieure de carburant et de matière première désespérément attendus. Les arrangements sont conçus pour décourager les créanciers d’essayer de tenter de bloquer ce pétrole à l’étranger parce que, en réalité, le pétrole appartient déjà à d’autres parties avant qu’il ne quitte le Venezuela.

L’année dernière, le Venezuela a expédié environ 450 000 b/j vers la Chine dans le cadre d’un remboursement de 60 milliards de dollars de prêts chinois. C’est moins de la moitié du volume de pétrole initialement prévu dans le calendrier de remboursement. En fait, l’un des plus grands prêteurs, China Development Bank, a reçu à peine assez de pétrole et de produits pétroliers raffinés du Venezuela pour couvrir les paiements d’intérêts sur ses prêts, selon Energy Intelligence Group. La Chine et la Russie continuent de recevoir des remboursements via les livraisons de pétrole, un petit pourcentage de la valeur des cargaisons revenant à Caracas. D’autres acheteurs tels que les raffineurs indiens sont encore été vus en train d’« attraper » des cargaisons sur une base « sans frais à bord » qui leur en donne la propriété immédiate.

La question est de savoir si le statu quo prévaudra ou si les opérations de Citgo seront affectées par l’escalade des problèmes financiers. Le sort des obligations de PDVSA, qui sont également dans un état de « quasi-défaut », est particulièrement délicat, car de nombreuses parties différentes revendiquent leurs droits d’une manière qui pourrait permettre la saisie des actions de Citgo. Un accord qui promettait des actions de la société pour des obligataires a créé une ouverture pour accélérer cette prise de contrôle. Dans un autre accord, Goldman Sachs a acheté 2,8 milliards de dollars d’obligations PDVSA à 30 cents sur la base du dollar de 2017. La thèse derrière l’achat de Goldman, et de la plupart des autres lignes de crédit étendues à PDVSA, est que l’entreprise d’État a des actifs précieux, dont certains sont à l’étranger, et des réserves géantes de pétrole. Les gouvernements vont et viennent mais finalement, selon ce raisonnement, le pétrole peut être transformé en argent. L’affaire du Venezuela pourrait servir de test à ce genre de thèse, avec des implications pour les autres producteurs de pétrole qui essaient d’aller sur les marchés mondiaux pour transformer leurs réserves de pétrole en liquidités.

La perturbation des exportations pétrolières vénézuéliennes au niveau du commerce international a été progressive, ce qui en a peut-être quelque peu atténué les effets à ce jour. L’effondrement du système de raffinage du pays a créé des possibilités pour les raffineurs américains d’exporter des volumes croissants d’essence et de diesel vers l’Amérique latine et ailleurs. Dans une certaine mesure, la baisse de ses exportations de pétrole brut a facilité la collaboration en cours entre l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et d’importants producteurs non membres de l’OPEP pour stabiliser les prix du pétrole à des niveaux plus élevés. La hausse des prix du pétrole aide un peu le régime vénézuélien, mais la majeure partie de son pétrole devant être vendue par du troc, les devises convertibles seront de plus en plus difficiles à obtenir, surtout si les problèmes de production de champs pétroliers laissent moins de barils disponibles à la vente.

Au fur et à mesure que la situation financière de PDVSA se détériore, les effets sur le marché du pétrole pourraient se creuser, surtout si cela conduit à l’effondrement de Citgo Petroleum. Les décideurs des États-Unis devraient se demander s’il est souhaitable d’élaborer un plan d’urgence maintenant pour l’anticiper. L’administration Trump pourrait envisager d’être proactive, créant peut-être un appel d’offres ouvert pour la réserve stratégique américaine de pétrole (RSP) avec d’autres raffineurs américains afin de créer au moins un petit stock d’avance de produits raffinés qui pourrait être dirigé vers l’Illinois ou d’autres marchés touchés au printemps, si les opérations de Citgo sont interrompues de façon inattendue par des problèmes financiers ou des poursuites judiciaires. Un tel plan pourrait améliorer l’effet sur les consommateurs américains de tout événement soudain lié au Venezuela et donner à Washington plus de flexibilité pour répondre à la crise en cours au Venezuela. Si rien ne se passe mal dans les semaines à venir, la planification d’urgence pourrait toujours être un deal gagnant-gagnant. Les stocks de produits raffinés pourraient offrir les mêmes protections avant la saison des ouragans de l’été prochain et servir de test pour moderniser la RSP afin d’inclure les produits raffinés sans aucune dépense de l’État.

Amy Myers Jaffe

Note du Saker Francophone

Le CFR, think tank globaliste devant l’Éternel, donne son point de vue sur la situation du pétrole au Venezuela. Vu la politique anti-Maduro du Système, on pouvait s'attendre au pire mais l'article reste assez factuel. On peut noter quand même deux subtilités. Les problèmes d'exportation du Venezuela, structurels ou poussés en avant, arrangent bien les affaires des pétroliers US dans le schiste, libérant le marché pour leurs produits. Il y a même un deuxième effet encore plus intéressant, la prise de contrôle progressive des actifs vénézuéliens, au moins ceux à l'étranger, en toute « légalité » par les grandes firmes habituelles. Couplé à des manques d'investissement semble-t-il bien réels, l'avenir du modèle social, financé en grande partie par le pétrole, semble bien sombre.

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