Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Les trois pays les plus peuplés du monde sont enfermés dans une lutte pour le pouvoir dans la région indo-pacifique. Les États-Unis veulent renforcer leur partenariat de défense avec l’Inde dans le cadre d’un effort plus large visant à contrer l’influence grandissante de la Chine dans la région et dans le monde. L’Inde aussi est intéressée à défier la Chine en s’imposant dans les domaines politique, économique et de sécurité en Asie du Sud-Est alors qu’elle poursuit sa politique « Agir à l’Est ». Mais bien qu’ils partagent un rival en commun, Washington et New Delhi ont des objectifs différents dans leurs efforts pour contenir Pékin. Les divergences dans leurs stratégies finiront par entraver l’amélioration de la coopération dans la région entre les États-Unis et l’Inde.
L’ennemi de mon ennemi…
Les États-Unis sont la première puissance maritime au monde. En tant que telle, son principal objectif dans l’Indo-Pacifique est de préserver la liberté de navigation dont dépend la marine américaine pour sauvegarder [contrôler, NdT] les routes commerciales et énergétiques mondiales. Mais les objectifs stratégiques de Pékin dans la région sont en contradiction avec ce programme, du moins selon Washington. En élargissant sa présence en mer de Chine méridionale pour protéger ses propres routes de transit maritime, la Chine a compromis la liberté de navigation dans ces eaux. Conjuguées à ses efforts d’intégration avec les pays asiatiques et européens, les activités maritimes de la Chine constituent une menace à long terme pour la principale priorité en termes de politique étrangère des États-Unis : empêcher la montée en puissance de la Chine qui pourrait remettre en question la suprématie américaine en Eurasie.
Pour l’Inde, la menace de la montée en puissance de la Chine frappe plus près de chez elle. Les deux pays – deux puissances nucléaires – se partagent une frontière contestée de 4 057 kilomètres. En 1962, leurs différends territoriaux ont conduit à la guerre, et dans les années qui ont suivi, des affrontements et des escarmouches ont continuellement vu le jour y compris récemment, pas plus tard que l’année dernière. De plus, les projets d’infrastructure en cours de la Chine en Asie du Sud sont en train de mettre au défi l’impératif géopolitique central de l’Inde de maintenir sa domination sur le sous-continent indien. Les activités de Pékin dans la région sont particulièrement inquiétantes pour New Delhi à la lumière de l’alliance de la Chine avec le Pakistan. Le couronnement du partenariat, le corridor économique sino-pakistanais de 62 milliards de dollars, traverse le Cachemire, un territoire contesté au cœur de la rivalité acharnée entre l’Inde et son voisin de l’Ouest.
Leur méfiance mutuelle envers la Chine a amené les États-Unis et l’Inde à coopérer étroitement en matière de sécurité et de défense. En 2016, Washington a désigné ce pays sud-asiatique comme partenaire majeur de défense, une désignation qui permet à New Delhi d’acheter des armes avancées habituellement réservées aux alliés américains, comme les drones Sea Guard que les États-Unis ont récemment offert à l’Inde. Les États-Unis soutiennent la candidature de New Delhi pour rejoindre le Nuclear Suppliers Group, une organisation multinationale engagée dans la non-prolifération, malgré l’opposition de la Chine à ce dernier. Pendant ce temps, Lockheed Martin et Boeing, sociétés aérospatiales basées aux États-Unis, envisagent de construire des avions de combat en Inde, un arrangement qui soutiendrait la campagne du premier ministre Narendra Modi visant à faire du pays un centre mondial de fabrication. De plus, New Delhi occupe une place de premier plan dans les stratégies de l’administration américaine tant en Afghanistan que dans la région indo-pacifique, ce que le Pentagone a souligné dans sa récente Stratégie de défense nationale. L’Inde, à son tour, s’est jointe aux États-Unis, au Japon et à l’Australie dans le groupe quadrilateral Security Group, un regroupement récemment ressuscité mettant en vedette les États-Unis, le Japon et l’Australie.
… n’est pas tout à fait mon allié
Mais les liens de plus en plus profonds entre Washington et New Delhi sont encore loin d’une alliance, à la grande frustration des États-Unis. Les limites du partenariat de l’Inde – produit de sa doctrine d’autonomie stratégique et de son aversion pour les alliances formelles – continueront d’être un point de blocage dans ses relations avec les États-Unis. D’une part, New Delhi a accepté de ne signer que l’un des trois pactes fondateurs que Washington entretient avec ses partenaires de défense, et encore, une version modifiée. (L’accord, résultat de 10 années de négociations laborieuses, établit simplement que chaque pays peut utiliser les bases de l’autre pour le ravitaillement – un pas de géant pour la coopération en matière de défense). Pour le reste, les États-Unis et l’Inde ont des points de vue différents sur la mer de Chine méridionale.
New Delhi partage une partie des préoccupations de Washington au sujet des eaux maritimes contestées. India’s Oil and Natural Gas Corp. possède les droits d’un bloc d’exploration pétrolière au large des côtes du Vietnam, et en 2015, Modi a accepté d’inclure la mention de la mer de Chine méridionale dans la déclaration commune entre l’Inde et les États-Unis. Au-delà de ce soutien rhétorique, cependant, New Delhi n’a pas grand chose à ajouter à la campagne maritime de Washington dans la région. En 2016, le ministre indien de la Défense a exclu de mener des patrouilles conjointes aux côtés de la marine américaine dans les eaux contestées de la mer de Chine méridionale. Du point de vue de New Delhi, cela risquerait de contrarier Pékin, d’inviter peut-être à des représailles le long de leur frontière contestée ou par le biais de patrouilles conjointes sino-pakistanaises dans la mer d’Arabie. Considérant l’accumulation militaire en cours de part et d’autre de sa frontière avec la Chine, l’Inde va probablement résister à l’idée de franchir cette ligne rouge avec Pékin.
Au lieu de cela, New Delhi se concentrera sur l’océan Indien – une priorité plus élevée pour l’Inde en raison de son importance économique pour le pays. L’Inde, à l’instar des États-Unis, doit protéger les voies maritimes dont elle dépend pour ses activités commerciales critiques, telles que l’importation de pétrole et son raffinage au large des côtes. Et tout comme elle le fait dans la mer de Chine méridionale, la Chine renforce sa présence dans l’océan Indien. Pékin a non seulement des plans pour développer le port de Gwadar au Pakistan et le port de Hambantota au Sri Lanka, mais elle envoie aussi chaque année environ huit navires chinois dans la région au nom de la lutte contre la piraterie. De plus, la Chine a conclu des accords avec le Pakistan, le Bangladesh et la Thaïlande pour vendre des sous-marins à ces pays, y compris ceux de la classe Yuan et des engins diesel de classe Ming. Ces développements expliquent pourquoi la marine indienne a annoncé l’année dernière qu’elle augmenterait ses patrouilles dans l’océan Indien en déployant au moins une douzaine de navires pour surveiller tous les points d’étranglement et les routes maritimes principales tout au long de l’année.
Bien qu’ils abordent la question sous différents angles, l’Inde et les États-Unis considèrent tous deux l’influence croissante de la Chine comme un argument convaincant pour œuvrer à la création d’une région indo-pacifique libre et ouverte. La vaste étendue d’eau qui relie les hémisphères de l’Est et de l’Ouest jouera un rôle plus déterminant dans la politique de la grande puissance dans les années à venir. En cours de route, les États-Unis continueront d’encourager l’Inde à résister à la Chine, son plus redoutable adversaire pour la maîtrise des océans.
Note du Saker Francophone
Stratfor est un think tank américain proche du pouvoir, du moins avant l'élection de Trump, surnommée la CIA privée, donc le mot « libre » est à prendre avec les pincettes habituelles. Mais l'article rebondit, comme celui d'Andrew Korybko, sur cette nouvelle « Stratégie de défense nationale » américaine qui met l'accent sur cet espace maritime stratégique du fait du pivot mondial vers l'Asie. À noter aussi cet autre article de Korybko sur l'idée de renommer la zone en Afro-Pacifique pour contester la vision américaine du rapport de force.
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