Article original de Andrew Korybko, publié le 20 février 2018 sur le site Oriental Review
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Assistance astucieuse à des alliés ou Armageddon en devenir ?
La Syrie aurait accepté la demande de la milice « fédéraliste » du PYD-YPG kurde d’entrer dans Afrin et d’arrêter l’avance militaire des Turcs, bien qu’il reste à voir si Damas va réellement mettre en œuvre cette décision ou non.
Il y a eu des rapports contradictoires sur ce sujet tout au long de la semaine dernière, mais l’Agence de presse officielle arabe syrienne (SANA) a confirmé que les Unités de Mobilisation Populaire (UMP) se déploieraient dans la région pour contrecarrer les Turcs, contredisant des affirmations antérieures selon lesquelles c’est l’Armée arabe syrienne (AAS) qui le ferait directement. Même ainsi, ce serait un développement très dangereux si cela se produisait réellement car cela pourrait rapidement amener l’Armée arabe syrienne (AAS) à entrer dans la mêlée pour soutenir ses partenaires pro-gouvernementaux et déclencher ainsi une guerre conventionnelle d’État à État avec la Turquie. La Syrie a le droit souverain de déployer ses propres forces et celles de ses alliés n’importe où sur son territoire, mais en prenant du recul par rapport à cet idéalisme de principe et en évaluant sobrement la réalité, cette décision n’est peut-être pas la plus sage.
Carte de la situation en Syrie 12 février 2018
Le ministre turc des Affaires étrangères a averti dans des termes non équivoques que les forces militaires de son pays ne seraient pas arrêtées par l’AAS ou les UMP, son allié si elles intervenaient au nom des Kurdes « fédéralistes » du PYD-YPG qu’Ankara assimile au PKK désigné comme une entité terroriste. Il est très probable que l’armée syrienne, lassée par la guerre et complètement épuisée, pourrait être mise en déroute par les Turcs beaucoup plus puissants si « la pression venait à se faire sentir ». Non seulement cela, mais il est pratiquement impossible que la Russie s’engage à « sauver la Syrie » puisque son mandat militaire est strictement anti-terroriste et la plus proche conseillère du président Assad, Mme Bouthaina Shaaban, a confirmé que Moscou a retiré toutes ses forces terrestres sauf quelques avions.
En outre, le Dr. Vitaly Naumkine – le premier expert russe du Moyen-Orient et l’homme qui joue un rôle crucial dans l’organisation des efforts de paix en Syrie – a écrit dans un document, prenant position et publié au début de la conférence de deux jours du Club Valdai : « Une partie de l’élite gouvernementale pourrait avoir de plus grands espoirs dans une victoire militaire que dans les dividendes que finiront par offrir les négociations. » C’est la déclaration la plus forte de l’impatience grandissante de Moscou face au refus de Damas d’entériner les « compromis » que le président Poutine a suggérés aux autorités d’accepter en novembre, afin de faciliter une paix négociée au niveau international. Qui plus est, Damas a rejeté les résultats du Congrès du dialogue national syrien la semaine dernière, ce qui a peut-être incité Naumkine à mettre en garde contre les soi-disant « partisans de la ligne dure » qui pourraient entraver le processus de paix.
Gardant à l’esprit les paroles de ce haut responsable et le fait que la Russie a retiré la plupart de ses forces militaires de Syrie, ainsi que le mécontentement visiblement croissant de Moscou face aux tergiversations du gouvernement syrien sur la réalisation d’une « solution politique » il y a de fortes raisons de penser que la Russie ne soutiendrait pas l’AAS si elle entre en conflit avec les Turcs, amplifiant davantage le risque existentiel auquel Damas fait face si cela permet aux Kurdes de « jouer un tour à Damas » et que la Syrie tombe droit dans ce scénario désastreux. C’est peut-être pour cette raison que les autorités n’ont jamais concrétisé leur menace implicite d’envoyer des unités militaires conventionnelles à Afrin, réalisant, à contrecœur, après l’appel téléphonique du président Poutine avec le président Erdogan, que la Russie allait les « planter là » si elles initiaient ce qui pourrait constituer un « suicide national ».
Néanmoins, la situation est encore très explosive à l’heure actuelle et une guerre de plus grande ampleur pourrait éclater à tout moment si la partie syrienne fait la moindre erreur, laissant le monde entier regarder la suite des évènements avec une impatience fébrile.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime 2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
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