Article original de Dmitry Orlov, publié le 20 février 2018 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Après un an et demi de silence, accompagné de beaucoup de bruit médiatique, autour de l’enquête de Mueller sur la collusion de Trump le Terrible avec les Russes (et leur seigneur et maître, Vladimir Poutine le pirate) afin de voler l’élection à la jeune et innocente Hillary Clinton « la scintillante » Mueller a finalement pondu un œuf. Il a inculpé 13 Russes pour vol d’identité et fraude sur le net. Il allègue qu’ils ont acheté des informations personnelles volées (numéros de sécurité sociale, noms, dates de naissance, etc.) sur Internet, les ont utilisées pour créer des comptes PayPal et Facebook, puis les ont utilisées pour acheter des publicités sur Facebook dans le but de miner la foi des Américains dans la bonté salutaire de leur démocratie.
Il n’y a aucune preuve que quelqu’un dans l’équipe de campagne ou l’administration de Trump savait que cela se produisait. Il n’y a aucune preuve que l’un des 13 Russes avait quelque chose à voir avec Poutine ou le gouvernement russe. Il n’y a aucune preuve que tout ce qu’ils ont fait a eu un effet mesurable sur le résultat de l’élection.
Il y a cependant de nombreuses preuves que cet acte d’accusation n’ira nulle part.
Il y a une différence entre être inculpé et être reconnu coupable : une personne reconnue coupable est prouvée coupable ; une personne inculpée est protégée par la présomption d’innocence jusqu’à ce qu’elle soit reconnue coupable. Pour être condamné dans un procès criminel, une personne doit être physiquement présente devant le tribunal parce qu’on a le droit de faire face à ses accusateurs. Un procès par contumace est automatiquement un tribunal arbitraire. Les 13 Russes sont des ressortissants russes résidant en Russie. Selon la Constitution russe, les citoyens russes ne peuvent pas être extradés pour être jugés devant un tribunal étranger, et il semble extrêmement improbable qu’ils fassent face à des accusations criminelles en Russie sur la base de l’acte d’accusation de Mueller. Par conséquent, ces 13 Russes doivent être présumés innocents en vertu de la loi américaine – pour toujours – même s’ils pourraient passer du temps dans une prison russe, condamnés en vertu de la loi russe.
Il est toujours possible que l’un de ces Russes se rende à l’étranger à un moment donné, soit emmené aux États-Unis pour être jugé, et soit reconnu coupable de blanchiment d’argent, de vol d’identité et de fraude sur le Net. Mais l’accusation d’avoir travaillé pour saper la foi du peuple américain dans la bonté salutaire de leur démocratie sera plutôt difficile à prouver, principalement parce qu’elle est bien faible en ce moment. L’accusation revient un peu à accuser quelqu’un de souiller des toilettes en y faisant un gros caca, comme tout le monde, mais sur les toilettes en question, il y avait un panneau qui disait : « Pas de Russes ! » Les 13 Russes l’ont ignoré et ont déféqué dedans quand même.
La raison pour laquelle les Toilettes de la Démocratie américaine affichent « Pas de Russes ! » sur la porte tient en 2 mots : « La Russie est l’ennemi ». Il n’y a pas de raison impérieuse pour laquelle elle devrait être l’ennemi, et la traiter comme telle est incroyablement idiot et dangereux, mais c’est hors de propos. Dépeindre la Russie comme l’ennemi répond à un besoin psychologique plutôt que rationnel : les Américains ont désespérément besoin d’une entité sur laquelle ils peuvent projeter leurs propres fautes. Les États-Unis progressent vers un État policier fasciste ; par conséquent, la Russie serait une dictature horrible dirigée par Poutine. Les États-Unis se mêlent traditionnellement des élections dans le monde entier, y compris en Russie ; par conséquent, les Russes se sont sûrement mêlés aux élections américaines. Les États-Unis sont le pays le plus agressif de la planète, occupant et bombardant des douzaines de pays ; par conséquent, les Russes sont accusés d’« agression ». Et ainsi de suite…
Si (pour une raison stupide) la Russie est effectivement l’ennemie de l’Amérique, il va de soi que les Américains voudraient la rendre plus faible plutôt que plus forte. Travailler pour renforcer son ennemi semble être une mauvaise stratégie. Et pourtant, c’est ce qui s’est passé : les deux dernières administrations américaines – Obama et Trump – ont toujours aidé et encouragé la montée en puissance de la Russie. Aider et encourager l’ennemi est déjà assez idiot en soit, mais il semblerait cependant qu’ils l’ont fait inconsciemment. Ainsi, si Mueller avait vraiment la santé et la beauté de la démocratie américaine dans son cœur, il aurait accusé les administrations Obama et Trump d’avoir aidé et encouragé l’ennemi par négligence grossière. Voici comment l’acte d’accusation se lirait :
1. L’administration Obama a faussement accusé le gouvernement de Syrie de mener une attaque à l’aide d’armes chimiques près de Damas le 21 août 2013 afin de trouver une excuse pour attaquer et envahir la Syrie. En fait, des armes chimiques ont été utilisées dans cet incident, mais pas par les forces contrôlées par le gouvernement syrien. Comme le gouvernement syrien n’avait aucun intérêt à utiliser des armes chimiques ou à conserver ses stocks d’armes chimiques, la Russie a pu négocier un accord international selon lequel la Syrie renonçait à tout son stock d’armes chimiques, qui a été détruit, et des inspecteurs internationaux ont certifié que la Syrie s’en était libérée. Cet incident a montré que la Russie était un partenaire digne de confiance, capable de résoudre pacifiquement les crises par la négociation. Cela a accru sa stature dans le monde et montré que les États-Unis étaient un État voyou prêt à utiliser tous les moyens, y compris l’utilisation d’armes chimiques contre des civils pour justifier son usage illégal de la force. Suivant les traces d’Obama, l’administration Trump, peu de temps après sa prise de fonction, a utilisé des accusations non vérifiées similaires, celles d’une attaque chimique syrienne, pour bombarder inutilement une base aérienne syrienne à l’aide de missiles Tomahawk.
2. En février 2014, l’administration Obama organisa et exécuta un coup d’État sanglant à Kiev, organisant un massacre à l’aide de mercenaires étrangers, accusant faussement le gouvernement constitutionnel ukrainien d’en être responsable, le renversant et installant un régime fantoche géré par la CIA et le Département d’État américain. La nature de ce régime, qui est composé d’oligarques et de criminels alliés à des groupes néo-nazis, et qui a élevé au statut de héros nationaux certains auteurs de génocide contre les juifs, les Polonais et d’autres encore pendant la Seconde Guerre mondiale, a été cachée au public aux États-Unis. Mais parce que la Russie et l’Ukraine ne sont pas ethniquement, linguistiquement, culturellement ou religieusement distinctes, et ont existé comme une entité unique pendant la majeure partie de leur histoire, la plupart des Russes ont compris ce qui s’était passé. Le chaos et l’anarchie qui suivirent le putsch donnèrent au gouvernement russe l’occasion d’organiser un référendum en Crimée, territoire qui fut brièvement annexé à l’Ukraine [par Khrouchtchev, NdT], mais qui faisait partie de la Russie depuis 1783, et de ré-annexer le territoire. Cela a également conduit à une rébellion armée dans l’Est de l’Ukraine et à la formation de deux républiques indépendantes de facto dans le Donbass, faisant de l’Ukraine un État semi-défunt qui ne contrôle plus son propre territoire. Tous ces développements ont provoqué une vague de sentiments patriotiques parmi les Russes, qui se sont sentis fiers de pouvoir réclamer ce qu’ils considéraient comme légitime et se sentaient menacés de voir l’Ukraine tomber à nouveau dans les mains des fascistes. Fidèle à elle-même, l’administration Trump a poursuivi cette politique de Barack Obama en fournissant à l’armée ukrainienne des armes létales et des conseils.
3. Bien que l’annexion russe de la Crimée, fondée sur une victoire écrasante dans un référendum populaire et une grande manifestation de soutien public, ait été parfaitement légale pour défendre le droit à l’autodétermination de la Crimée (contrairement à l’annexion précédente du Kosovo), l’administration Obama a jugé bon d’imposer des sanctions économiques à la Russie en représailles. Ces sanctions, conjuguées aux contre-sanctions de la Russie sur les exportations alimentaires de l’UE, ont finalement incité la Russie à rompre avec le modèle d’exportation de gaz et de pétrole tout en important pratiquement tout le reste, et à adopter une stratégie de remplacement des importations. Cela a permis à la Russie de devenir autosuffisante dans de nombreux domaines, tels que la technologie d’exploration et de production pétrolière et gazière, l’agriculture mais aussi dans de nombreux autres domaines. Bien que la Russie ait connu une période de difficultés économiques considérables qui a vu le pouvoir d’achat de sa population diminuer considérablement, l’économie russe a survécu. La popularité de la direction nationale n’a pas souffert parce que la plupart des Russes comprennent maintenant ce pour quoi ils se battent. Ils comprennent d’autant mieux, étant donné le barrage de nouvelles négatives venant d’Ukraine, qui est leur ennemi. Cela leur montre ce qui leur arriverait s’ils montraient de la faiblesse.
4. Bien que l’administration Trump ait surtout suivi les traces d’Obama dans ce projet de « Rendre la Russie encore plus grande » la dernière série de sanctions anti-russes, que l’administration Trump n’a pas imposée mais seulement annoncée, comme l’exige une loi du Congrès, a été involontairement un acte de pur génie. Ce que les larbins de Trump ont fait, c’est prendre le bottin du Kremlin et la liste Forbes des individus les plus riches de Russie, et les rassembler en une seule liste de personnes. Si ces sanctions étaient effectivement imposées plutôt que simplement affichées de manière menaçante, les personnes ayant des contacts avec les personnes figurant sur cette liste en subiraient des répercussions juridiques. L’éclat de ce plan est en deux parties. Premièrement, il y a eu des divergences d’orientation parmi les membres de l’administration du Kremlin : certains étaient plus orientés vers les États-Unis que d’autres. Ce que cette liste a fait, c’est de rendre ridicules leurs espoirs de pouvoir apaiser les États-Unis. Avant, les États-Unis avaient quelques fans tièdes à l’intérieur du Kremlin ; maintenant c’est terminé. Deuxièmement, la Russie a eu des problèmes avec des individus fortunés qui transféraient leurs capitaux à l’étranger, vers la Suisse, vers divers paradis fiscaux à l’étranger, et plus particulièrement vers les États-Unis, qui sont la capitale mondiale du blanchiment d’argent. Mais maintenant Trump les a menacés de confiscation de leur richesse. Dans le même temps, le gouvernement russe a prolongé une amnistie fiscale pour ceux qui souhaitent rapatrier leur capital. En conséquence, un flot d’argent réintègre désormais l’économie russe, ce qui lui donne un coup de fouet important.
Une fois que vous avez tout mis ensemble, l’accusation contre les deux dernières administrations américaines pour avoir rendu la « Russie encore plus grande » en l’aidant et en l’encourageant, involontairement et par négligence grave, devient convaincante. Il n’y a, bien sûr, aucune chance que quelqu’un soit jugé pour cela, mais ce n’est peut-être pas nécessaire. Comme le montre le mouvement #MeToo, il n’est plus nécessaire dans l’Amérique contemporaine de prouver un crime ; une simple allégation est maintenant suffisante pour mettre fin à une carrière et ruiner une réputation. Vous pouvez aussi jouer à ce jeu : sur chaque politique ou initiative américaine annoncée contre la Russie, demandez-vous : Comment cela va-t-il aider à « rendre la Russie encore plus grande » ? Parce que c’est le résultat le plus probable.
Dmitry Orlov
Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
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